Nouvelle-Calédonie : 35 ans pour rien ?
Il est définitivement acquis que, face à des indépendantistes certes minoritaires mais dépourvus de tout scrupule, le troisième référendum d’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie, en 2022, n’a rien résolu, si bien qu’on est en droit de se demander si on ne se retrouve pas à la case départ. Trente-cinq ans pour rien ?
BIS REPETITA
Depuis 1984 au moins, année de la fondation du FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste), les indépendantistes menaient des actions violentes, notamment contre les Caldoches, si bien qu’en 1987 se déroule un premier référendum d’autodétermination, qui donne 98,3% de voix favorables au maintien dans la France. C’est que les indépendantistes, déjà, avaient boycotté le scrutin, contestant la composition du corps électoral, qui faisait à leurs yeux une part trop belle aux non-Kanaks. C’est un autre prétexte (la covid-19) qu’ils invoqueront en 2022, mais la démarche est identique, même si la ficelle est un peu grosse : boycotter un référendum qu’on craint de perdre afin d’en contester la légitimité… Si l’État n’entend pas, c’est un prétexte commode à la violence, hier comme aujourd’hui.
En 1988, avec l’assaut entre les deux tours de la présidentielle de la grotte d’Ouvéa, un point de non-retour semble atteint, d’autant que François Mitterrand ne soutient pas le camp patriote. Aussi, est-ce dans l’urgence que, le 26 juin 1988, à l’hôtel Matignon, sont signés des accords entre indépendantistes et loyalistes, sous l’égide du Premier ministre Michel Rocard, qui prévoient un délai de dix ans avant un nouveau référendum d’autodétermination et instaurent un statut transitoire. Le référendum étant repoussé — parce qu’il allait de nouveau être perdu par les indépendantistes ? —, en 1998, sous l’égide de Lionel Jospin, alors Premier ministre de Jacques Chirac, est signé à Nouméa un nouvel accord, qui, entre autres choses, prévoit une succession de trois référendums en cas de vote négatif pour les deux premiers, et surtout, grâce à la création d’une « citoyenneté » néo-calédonienne, un corps électoral idoine, puisqu’est instauré, au profit des Kanaks, un apartheid à caractère ethnique entre les différents citoyens français résidant sur l’archipel. D’abord censurée en 1999 par le Conseil constitutionnel, la mesure fut relancée en 2006, Pierre Pujo évoquant alors, dans L’Action française 2000 du 21 décembre 2006, « la dernière trahison de Chirac ». En 2007, le corps électoral est gelé dans son état de 1998.
UN LOGICIEL DÉCOLONIAL ÉCULÉ
C’est que les gouvernements français successifs, depuis le début de cette affaire, sont tombés, par mauvaise conscience occidentale, dans le piège du FLNKS, en adoptant, sous la pression de l’ONU, un logiciel décolonial éculé que, trente ans plus tard, le président Macron a confirmé dans son allocution d’octobre 2020 faisant suite au deuxième référendum : « Nous regardons en face notre histoire en Nouvelle-Calédonie, qui est une histoire coloniale ». Comme si le statut de la Nouvelle-Calédonie, et celui des Kanaks n’avaient pas bougé depuis 1858, date de notre arrivée. Comme si les Néo-Calédoniens, de quelque origine qu’ils soient, n’élisaient pas des députés à l’Assemblée nationale au même titre que leurs compatriotes ultramarins et métropolitains ! Comme si la Nouvelle-Calédonie, territoire jouissant d’une autonomie partielle, ne disposait pas de compétences que bien des régions métropolitaines envieraient — ce qui incite la Corse à réclamer un statut d’outre-mer ! Ce logiciel n’a pu évidemment que nourrir, contre le « colonisateur » caldoche, voire « blanc », même si les communautés sont nombreuses en Nouvelle-Calédonie et d’origines très diverses, le manichéisme d’une jeunesse kanake élevée dans un triple ressentiment historique, ethnique et social.
LA CHINE À L’AFFÛT
Certes, les deux puissances anglo-saxonnes voisines que sont l’Australie et la Nouvelle-Zélande, n’appuient plus l’indépendance avec autant de morgue que sous Mitterrand ou Chirac. C’est que la situation géopolitique a changé : l’impérialisme chinois (plus qu’azerbaïdjanais !) est devenu menaçant dans la région, l’empire du Milieu étant attiré à la fois par la richesse en minerai (nickel) et par la situation de l’archipel. Une base militaire chinoise à 2 300 kilomètres de la Nouvelle-Zélande et à 3 300 de l’Australie ? Une perspective qui fait certainement davantage peur à Canberra et à Wellington qu’aux indépendantistes. Comme l’avouait déjà le 2 octobre 2020 dans Le Monde le leader indépendantiste Roch Wamytan, président du Congrès de Nouvelle-Calédonie : « Nous n’avons pas peur de la Chine. C’est la France, pas elle, qui nous a colonisés. Elle ne nous gêne pas outre-mesure. Jean-Marie Tjibaou disait il y a trente ans que l’indépendance, c’est gérer les interdépendances. Nous ne nous tournons pas que vers l’Europe, elle est loin d’ici, on ne va pas faire aujourd’hui comme si la Chine n’existait pas ».
PROPOSITION AHURISSANTE DE MARINE LE PEN
En décidant de « laisser du temps au temps », Mitterrand-Rocard, puis Chirac-Jospin n’ont pas rendu service à la Nouvelle-Calédonie : ils ont bloqué depuis 1998 son évolution sans réussir à ressouder les communautés qui la composent. Au contraire, les référendums successifs, en rendant incertain l’avenir, ont figé, voire aggravé, les fractures ethniques, historiques et géographiques, tout en freinant les investissements et le développement économique de l’île et donc la possibilité d’une meilleure répartition des richesses. Et voici que par une proposition ahurissante Marine Le Pen veut en remettre pour quarante ans en prévoyant à cette date un nouveau référendum d’autodétermination, accréditant ainsi le « narratif » indépendantiste sur l’absence de légitimité du troisième référendum de 2022. Ce qui plongerait pour plusieurs décennies encore l’archipel dans l’incertitude et le marasme.
MACRON : LE POMPIER PYROMANE
En cautionnant, par idéologie ou par manque de courage politique et géopolitique — un manque de courage qui fait déjà plonger Mayotte dans le chaos —, une mauvaise conscience sans fondement, qu’il fallait au contraire dépasser par une forte implication politique et économique, Paris n’a fait que laisser pourrir la situation. Le voyage éclair de Macron fin mai n’aura évidemment rien résolu, puisqu’il s’est conclu par ces mots : « J’attends », devant le manque évident de bonne volonté d’indépendantistes soudoyés par l’étranger. La passivité en réponse à la violence ! En revanche, il aura saisi au bond la balle lancée par Marine Le Pen. Si même l’extrême droite est favorable à la fuite en avant que représenterait un nième référendum, pourquoi s’en priver ?
L’archipel est de nouveau entré dans une période de troubles d’une rare violence, en raison de la précipitation du pouvoir à « clore » le » dossier calédonien : le dégel du corps électoral était-il désormais si urgent que cela ? Ne fallait-il pas commencer par le commencement, à savoir mesurer la complexité de la situation ? Et l’ouverture de négociations entre toutes les parties concernées avec la nomination d’un médiateur impartial — à laquelle semble enfin s’être rangé Macron —, acceptée par les différents interlocuteurs, comme l’a très vite demandé le Groupe de réflexion sur les outre-mer français dans la zone d’influence indo-pacifique ? L’amateurisme est malheureusement devenu la marque de fabrique du macronisme.
Le vandalisme vient de coûter au moins 2 milliards d’euros à l’archipel : l’État va payer. Cette somme n’aurait-elle pas été plus utilement employée au développement de l’archipel, dans lequel Paris doit jouer tout son rôle ? Il faut bien comprendre que ceux qui tirent les ficelles indépendantistes se moquent comme de l’an 40 du développement de l’archipel. Soyons certains que tous ceux qui sont intéressés au départ de la France continueront d’envenimer la situation. Malheureusement, ils ne trouveront face à eux qu’un tigre de papier.