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Kylian Football Club : doit-on forcément soutenir son équipe post-nationale pendant l’Euro ?

Isidore Rouvier

Hier soir, « j’ai fait mon noir » : devant ma télévision, j’ai compté les blancs. Et le présent, dans ma boule de cristal en haute définition, était assez sombre. Presque aussi sombre que le fondement de Dembélé, quand il se courbe le vendredi à la mosquée.

Pourtant, je m’étais bien préparé ; j’avais vu Jules Koundéarriver à Clairefontaine, quelques semaines auparavant, et m’étais déjà demandé ce qu’un individu pareil pouvait bien venir faire ici accoutré de la sorte, perché sur ses talons aiguilles ? J’avais écouté un à un tous ces millionnaires basanés intimer au reste d’un petit peuple blanchouillet de mieux voter à l’avenir, d’oublier ses passions tristes et de considérer désormais, avec un peu plus d’humanité et moins d’égoïsme, le sort de leurs héros et leurs tribus. Qui d’entre nous, après ça, aurait encore bien pu trouver l’audace de pousser ces derniers à l’exil, de contraindre le moindre de ces galériens à s’expatrier définitivement en territoire qatari, de les forcer à mettre enfin, et une bonne fois pour toute, leurs familles à l’abri ? Non, il n’était absolument plus question de cela. Moi-même je m’apprêtais à me taire ; avec ces bêtises d’un autre âge, par le passé, nous avions déjà tous perdu Benzema…

Pour ce premier match de l’Euro, j’avais rejoint mon canapé à reculons, tenu par une étrange prémonition, au moment d’allumer ma télévision. Pour être tout à fait franc avec vous, j’appréhendais tout particulièrement de voir Antoine Griezmann marquer un but. Je prévoyais le pire ; il me faudrait garder toute la soirée ma télécommande à la main, me tenir prêt à tout moment, à chacune de ses prises de balle, à interrompre le supplice. Je tremblais en mon for intérieur de le voir, dans l’insouciance d’une célébration ridicule, s’en aller soudainement dans un coin du terrain, agrippant des deux mains le drapeau de corner, en remuant son popotin aux yeux du monde entier, comme s’en va se trémousser tous les soirs, à une heure avancée de la nuit, la dernière des putains de ce bouge infâme du trou-du-cul du monde qu’est devenu l’Occident. Oui, en définitive, et contre toute attente, je craignais finalement de regretter qu’il y ait encore trop de blancs sur le terrain…

Autour de moi, on m’avait dit « tu verras ! il y aura Giroud sur le terrain… il paraît même qu’il est chrétien ! »… Alors, un petit peu pour toi mon grand Giroud, pour vous aussi cher pape François, je le reconnais, j’ai pris chrétiennement sur moi. J’allumai ma télévision et tout s’annonçait étrangement bien ; Antoine Griezmann, ce soir-là, n’avait pas eu le mauvais goût de teindre ses cheveux en rose. Pourtant, alors que les caméras faisaient défiler sous mes yeux l’ensemble de l’équipe rangée en ligne avant le coup d’envoi, aucun Giroud à l’horizon. Marcus Thuram trônait victorieusement à sa place. Chacune de ses apparitions en bleu m’était toujours apparue comme un immense glaviot craché avec arrogance à la têted’un vieux pays moribond ; et celle de ce soir ne dérogeait en rien à la règle. Je pris soin d’éteindre préventivement ma télévision.

Footballistiquement, le joueur semblait, bien sûr,irréprochable ; et rien ne l’empêchait ce soir-là de faire correctement son travail en inscrivant un but. En prenant le risque de laisser ma télévision allumée, qui sait si je ne me serais pas surpris moi-même, d’ici quelques instants, et comme mon propre père en toute innocence avant moi, à applaudir tout à coup le digne fils de son père à lui ? Mais en vingt-six ans, depuis ce fameux mondial 1998, les choses avaient sensiblement changé ; le réel avait péniblement refaitsurface et nous avions désormais perdu trop de terrain pour pouvoir encore prétendre applaudir, en toute innocence, à l’interminable défaite de la France.

Français, avant d’aller bientôt voter, ayons l’élégance de laisser, au moins le temps d’une compétition de ballon rond, la Nouvelle-France et son équipe aux Nouveaux-Français. Soyons en quitte pour cet Euro, reconnaissons qu’ils le méritent bien plus que nous ! Il faudra bien à ces gens-là, pour occuper les longues nuits d’hiver de leur exil qatari, quelques souvenirs joyeux à ressasser, quand nous aurons récupéré le pays de nos pères…