par Antoine de Lacoste
Les Chinois n’ont finalement pas que des défauts. Ils ont en tout cas une grande qualité : ils aiment le cognac. Cette appellation, célèbre dans le monde entier depuis des siècles, n’est plus beaucoup prisée dans notre pays. Les Français boivent moins mais pas mieux. Des breuvages étranges venus d’ailleurs supplantent progressivement nos gloires nationales, nos bons vins et nos grands digestifs.
SAUVER LE COGNAC
L’hygiénisme militant est solidement installé (quand serons-nous libérés de l’insupportable « à consommer avec modération » infligé par la loi Évin ?) et mène avec succès une offensive générale contre l’alcool. Sauf la bière que notre président consomme volontiers lors de ses sorties hors protocole. Il est certain que les boissons énergisantes, les faux jus de fruits chimiques et le coca-cola sont bien meilleurs pour la santé que les fruits de la vigne cultivés depuis des millénaires (environ -3000 avant Jésus-Christ pour le premier vin produit en Géorgie).
Pour nos viticulteurs et négociants, l’heure est grave. Plus de 95% de la production de cognac sont exportés, notamment en Chine, deuxième consommateur mondial après les États-Unis. Les Chinois ont, en outre, le bon goût de le boire pur, contrairement aux Américains qui le noient dans des cocktails contestables, voire barbares.
Or, l’Europe, sur injonction de Washington, transforme progressivement l’Empire du milieu en ennemi qui va submerger le monde libre, économiquement d’abord, peut-être militairement ensuite. Deux sujets font l’objet d’une propagande occidentale particulièrement soignée : les Ouïghours et Taïwan.
SAUVER LES OUÏGHOURS
Les Ouïghours, ethnie d’origine turkmène convertie à l’islam, peuplent la province du Xinjiang au nord-ouest de la Chine. Travaillés par l’expansion de l’islamisme, plusieurs milliers d’entre eux ont basculé dans le djihadisme au cours des années 1990 et multiplié les attentats contre des policiers et des fonctionnaires chinois et même sur des marchés. On en a peu parlé en Occident. De même, lors de la guerre en Syrie, de nombreux Ouïghours ont rejoint Daech ou d’autres milices islamistes. Beaucoup y sont morts, mais il en reste encore, installés dans la province d’Idleb que les islamistes co-gèrent avec la Turquie.
Des mesures drastiques ont été prises par le gouvernement chinois et une féroce répression s’est abattue sur les Ouïghours, notamment ceux qui étaient soupçonnés de sympathies islamistes.
Pendant longtemps, ce sujet n’a pas intéressé grand monde en Occident. Mais lorsque l’Amérique, menacée à terme d’être détrônée de sa position de première puissance économique mondiale, a décidé que la Chine était dorénavant un ennemi, tout a changé. Le sort des Ouïghours est devenu à la mode et les appels à faire cesser ce « génocide » se sont multipliés.
Il en est de même de Taïwan, même si, soyons justes, le sujet a souvent été traité depuis 1949, date du repli sur cette île chinoise des restes de l’armée vaincue de Tchang Kaï-chek.
TAÏWAN EST-IL MENACÉ ?
Mais l’approche géopolitique du problème a bien évolué. La seule question posée maintenant est : quand la Chine envahira-t-elle Taïwan ? Ce sujet complexe mériterait tout de même une approche plus subtile. Chacun se considère comme la Chine, c’est la raison pour laquelle Taïwan n’a jamais proclamé son indépendance. C’est aussi la raison pour laquelle les échanges sont multiples entre l’île et le continent. De nombreux hommes d’affaires taïwanais ont des bureaux en Chine continentale et font régulièrement la navette. Pour une île assiégée et bientôt envahie, c’est un peu paradoxal.
Personne ne sait si la Chine envahira un jour Taïwan mais en l’état c’est très peu probable. Les régulières intimidations militaires venues du continent s’adressent surtout aux Américains afin de leur faire comprendre qu’ils ne sont pas chez eux. Et n’oublions pas que la Chine n’a envahi personne depuis des siècles (hormis la mainmise sur le Tibet, cas très particulier), alors que les Occidentaux y ont multiplié les incursions militaires tout au long du XIXe siècle. Les Britanniques avaient même mis en place un gigantesque et très lucratif commerce d’opium sur le sol chinois. Cela entraîna la célèbre « guerre de l’opium » couronnée par de nombreuses exactions britanniques. Tout cela est très présent dans l’imaginaire collectif chinois.
Pour autant, si la Chine a produit un effort militaire considérable ces dernières années afin de pouvoir tenir tête à l’Amérique, elle reste d’abord une puissance commerciale.
Le récent voyage de Xi Jinping en Europe s’inscrit dans ce contexte. Il s’est d’abord rendu en France. Reçu à dîner à l’Élysée, il a pu discuter avec Bernard Arnault et Carlos Tavares, tout en échangeant des amabilités avec Sophie Marceau et Mireille Mathieu, très populaires en Chine. Le cognac était bien sûr à l’honneur.
Emmanuel Macron avait jugé utile de convier Ursula von der Leyen. Ce n’était guère nécessaire mais il fallait bien un peu de supranationalité à table, sinon cela aurait fait un peu trop franchouillard. Le Chancelier Olaf Scholz, invité également, s’est récusé pour se promener dans les pays baltes. Le couple franco-allemand a, de toute façon, divorcé depuis longtemps.
Ursula s’est encore distinguée et, avec la finesse qui la caractérise, a interpellé Xi en lui assénant que « le monde ne peut pas absorber la production excédentaire de la Chine ». Le dirigeant a répondu placidement que « le prétendu problème des surcapacités chinoises n’existe pas ». Une saillie d’Ursula baroque alors que l’Europe se jette sur les voitures électriques et les panneaux photovoltaïques chinois.
Carlos Tavarès, s’est montré plus pragmatique et a annoncé le rapprochement de Stellantis avec Leapmotor, le constructeur chinois de voitures électriques. La Chine est en effet très en avance sur ce sujet et a beaucoup à apprendre aux Européens. Le mythe du pays copieur de technologies occidentales a vécu.
Au cours des conversations qu’il a eues avec Xi, Emmanuel Macron, obsédé par ses Jeux olympiques, lui a demandé s’il était d’accord pour appeler à une trêve olympique. Xi a dit oui, sachant bien que ni Poutine ni Zelensky ne veulent d’une telle initiative. Ça ne coûtait pas cher.
Finalement, le seul point concret de cette rencontre est pour le cognac qui ne se verra pas surtaxé pour s’exporter en Chine. Tant mieux pour nos bons producteurs charentais.
À BELGRADE, 25 ANS APRÈS L’AGRESSION DE L’OTAN
Après ce hors d’œuvre (ou ce digestif) français, ce fut en Serbie que Xi atterrit. Tête de pont assumée des nouvelles routes de la soie, Belgrade a réservé un accueil chaleureux à la délégation chinoise. Entretien convivial avec le Président Alexandre Vukic et promesses de la poursuite des investissements dans ce pays ont été au menu. Xi et Vukic ont célébré ensemble le vingt-cinquième anniversaire de l’agression de l’OTAN qui a bombardé la Serbie pendant 78 jours pour l’obliger à abandonner sa province du Kosovo. Au cours de cette campagne honteuse, l’ambassade chinoise de Belgrade fut également bombardée. Pékin n’a pas oublié.
Budapest a conclu ce voyage. La Chine a confirmé ses investissements, notamment en termes d’automobiles. La Hongrie accueille déjà Audi, BMW et Mercedes ; les marques chinoises complèteront le pôle auto de ce pays qui, sous la houlette de Viktor Orbán, a installé le pragmatisme avant l’idéologie états-unienne.
C’est tout l’enjeu de notre relation avec Pékin. Comme toujours Macron adopte le « en même temps », c’est-à-dire le vide. D’accord pour sauver notre cognac, mais la Chine doit cesser de soutenir la Russie, doit arrêter de réprimer les Ouïghours et se tenir tranquille en Mer de Chine. Mais qui sommes-nous pour parler ainsi à un pays infiniment plus puissant que nous ?
L’intérêt de la France serait bien évidemment de tourner le dos aux injonctions de Washington et de rétablir une diplomatie indépendante. Pour cela, il faudrait un chef d’État qui ait le sens de l’intérêt national et non supranational. Il faudra attendre.