Marc-François de Rancon
L’Algérie, par la voie de la Commission mixte algéro-française sur l’histoire et la mémoire (forme contemporaine de la collaboration avec l’ennemi), a eu le front de présenter le mois dernier à la France une liste d’œuvres d’art, de biens culturels et d’archives pour en exiger la « restitution ». On ne sait si la réponse officielle de notre pays fut ce qu’elle aurait dû être : un coup de chasse-mouches, mais on en doute…
Dans l’inventaire à la Prévert des prétentions algériennes figurent notamment « des biens appartenant à l’émir Abd-el-Kader, à Ahmed Bay et à d’autres personnalités algériennes ». Le communiqué précise que les membres de la commission ont formulé « le vœu que le traitement du dossier mémoriel réponde aux aspirations des peuples algérien et français ». Et que « la partie algérienne invite la partie française à transmettre ses préoccupations en matière de restitution de biens culturels, archivistiques et autres ».
Si une telle disposition d’esprit relevait de la bonne intention ainsi que de l’honnêteté bien comprise, voici en substance ce que la France, selon nous, serait bien inspirée à fournir comme réponse pertinente.
Commençons par les œuvres d’art. La France veut récupérer toutes les œuvres réunies par ses soins dans les musées algériens (qu’elle a créés au demeurant) entre 1830 et 1962. Le musée des Beaux-Arts d’Alger a été inauguré en 1930. Rodin, Bourdelle et Belmondo, pour la sculpture, y côtoient les plus grands noms de la peinture européenne, des Flamands aux Impressionnistes. L’essentiel des collections qui y demeurent aujourd’hui est le résultat du travail de l’Algérie française. Soit la période de la prétendue colonisation. « Prétendue » puisque, précisément, la France a décolonisé les territoires qu’elle a réunis sous le nom d’Algérie, en les libérant du joug plusieurs fois séculaire ottoman.
Continuons par les infrastructures publiques, entièrement inventées et financées par la France, laissées en 1962 dans un état de fonctionnement identique – parfois supérieur – à celles de la métropole à l’époque : 80 000 kilomètres de routes et pistes, dont près de 9 000 kilomètres étaient goudronnés, 4 300 kilomètres de voies ferrées, 27 ports dont 4 équipés aux normes internationales, 34 phares maritimes, une douzaine d’aérodromes, des centaines d’ouvrages d’art (ponts, tunnels, viaducs, barrages, etc.), des milliers de bâtiments administratifs, casernes et autres immeubles officiels, 31 centrales hydroélectriques ou thermiques, une centaine d’industries importantes dans les secteurs de la construction, de la métallurgie, de la cimenterie, des milliers d’écoles, d’instituts de formation, de lycées, d’universités, un hôpital universitaire de 2 000 lits à Alger, trois grands hôpitaux de chefs-lieux à Alger, Oran et Constantine, 14 hôpitaux spécialisés et 112 hôpitaux polyvalents. Plus le pétrole découvert et mis en exploitation par des ingénieurs français, une agriculture florissante… Tout ce qui existait en Algérie en 1962 avait été payé par les impôts des Français.
Au titre des investissements privés, outre les logements spoliés sans indemnisation à tous les Pieds-Noirs, ajoutons comme témoignage générique l’un d’entre eux, hautement symbolique : « M. Tebboune [président de l’Algérie,] pourrait-il aussi me rendre les deux maisons et le commerce qu’a laissés mon père et la ferme de mon grand-père achetée en économisant sou par sou ? »
N’apparaissent curieusement pas dans les revendications algériennes ce que le devoir de mémoire bien compris aurait naturellement pu évoquer : toutes les chances pour la France qui peuplent nos prisons en empêchant ainsi des Gaulois de purger des peines que nos magistrats ne prononcent même plus du fait, notamment, de la surpopulation carcérale. On aurait pu s’attendre au passage à ce que l’Algérie demandât la facture pour rembourser ce que nous coûte à entretenir dans nos geôles toutes ces racailles.
Puisque nous sommes dans l’humain, la France est parallèlement tout à fait disposée à rendre à l’Algérie tous ses ressortissants (y compris les bi-nationaux) émargeant aux comptes sociaux alimentés par les cotisations des Français, à commencer par les chômeurs. Toujours au chapitre de l’humanisme tel que représenté par des figures comme Rima Hassan : « Il est temps que la France rende tout ce qu’elle doit à l’Algérie. À commencer par tous les crânes de combattants algériens qui se trouvent au musée de l’Homme », la France peut, là encore, accéder à certains accès de cette subite et nouvelle manifestation de charité mémorielle. Par exemple, en exigeant en réciprocité la remise en état de tous les cimetières chrétiens et juifs laissés en ordre impeccable il y a 62 ans. À Mers-el-Kébir et partout ailleurs. « On va plutôt leur rendre les Algériens clandestins, fichés S, criminels et chômeurs longue durée », a réagi Marion Maréchal sur X. C’est vrai, ça : dès lors que l’immigration est une richesse pour la France, il faut cesser d’en priver plus longtemps l’Algérie. D’ailleurs, ce ne sont pas les royalistes qui l’exigent mais bel et bien les républicains. Et pas n’importe lesquels. Ceux qui ont déposé l’appellation comme un nom de marque et se la sont appropriée : « Les Républicains », le parti éponyme, qui n’a pas hésité à publier « Message de service à l’Algérie, il faut tout reprendre, les biens et le mal : criminels, délinquants, clandestins, OQTF ». Par cohérence avec l’esprit de ces mesures, il va de soi que seront réexaminées toutes les facilités de visas pour les personnes et de transferts de fonds actuellement en vigueur au bénéfice de l’Algérie.
Toutes les demandes de la France évoquées ci-dessus demeurent à parfaire car elles ne prétendent pas à l’exhaustivité. Aussi bien l’indemnisation pour les infrastructures publiques et privées, les réserves naturelles, les indemnisations des préjudices matériels subis par le vol des biens privés des Pieds-Noirs, à évaluer en ce qui concerne les préjudices moraux de toute nature qu’ils ont endurés, le montant des royautés (avec rappel d’arrérages depuis 62 années incluant les intérêts composés et cumulés) pour l’utilisation sans autorisation de la dénomination « Algérie » inventée par la France. Sans compter les indemnités pour contrefaçon du nom de marque et du nom de domaine, avec mise en demeure sous astreinte de cesser ce délit d’appropriation abusive. « L’Algérie, c’est la France » a proclamé un socialiste historique, ministre de l’Intérieur à l’époque, président de la République par la suite.
Le tout sans prescription, puisque ce sont des crimes contre l’humanité.
L’ensemble des mesures ci-dessus constituant un préalable à l’ouverture de négociations sur l’indemnisation par l’Algérie de la France au titre des actes de terrorisme et crimes « de guerre » (qualification à établir au cas par cas) commis dans les départements considérés, plus particulièrement en 1945 et pendant la période 1954-1962, ainsi qu’ultérieurement.