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Une pensée pour l’écologie

L’Action française affiche clairement son souci écologique. Elle a produit une brochure que l’on peut se procurer aux Éditions de Flore. C’est pourquoi il nous a semblé intéressant de reproduire un article de Gérard Leclerc publié à l’occasion de la sortie d’un ouvrage de Bernard Charbonneau et Jacques Ellul, « La Nature du combat. Pour une révolution écologique », aux éditions L’Échappée. Il l’a publié dans le bi-hebdomadaire Royaliste n°1221.

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Par Gérard Leclerc

Le combat écologique semble avoir marqué des points, ces dernières années. La conquête de villes métropoles aux élections municipales par les Verts n’en est-elle pas une marque significative ? Par ailleurs, le souci de l’environnement s’affirme dans le programme de toutes les familles politiques. Est-ce une affaire gagnée pour autant ? Jacques Ellul et Bernard Charbonneau, pionniers d’une véritable pensée écologique, faisaient déjà, il y a quarante ans, le constat d’une incontestable prise de conscience : «  Il faut mesurer la différence entre aujourd’hui et la situation d’il y a trente ans, où tous les dangers s’accumulaient, réels et potentiels, mais où n’apparaissaient pas l’ombre d’une contestation, d’une prise de conscience, d’une mobilisation pour la défense de la nature, d’orientations nouvelles dans les sciences, de recherche de techniques douces ou alternatives : le progrès est immense en ce qu’au moins le problème de fond est posé ». Néanmoins, la question restait posée d’un aboutissement satisfaisant.

La réédition de textes publiés dans les années 1980 par Ellul et Charbonneau offre cet avantage de mesurer à quel point le militantisme idéologique est resté dans la ligne que ses initiateurs avaient dessinée et qui supposait un radical décrochage de la pensée et de l’action par rapport aux fondements idéologiques de la politique traditionnelle. Or, il faut bien constater qu’en démenti formel à cette orientation, l’écologisme est resté dans le jeu politique et idéologique, en ralliant notamment les positions d’extrême gauche. Alain de Swarte, qui dirigeait la revue Combat nature, où s’exprimaient nos deux penseurs, se sépare du mouvement écologique, lorsque celui-ci s’inféode à une mouvance où il perd son autonomie.

Il faut bien reconnaître une difficulté que l’on peine à dénouer, mais que l’on aurait tort d’ignorer. Ellul et Charbonneau expriment une forme d’intransigeance quant à une sorte de pureté doctrinale, qui n’a pourtant rien d’arbitraire. Les défis sont tels qu’ils exigent une révolution mentale globale. Celle-ci « doit être en même temps économique, politique, et “philosophique”, c’est-à-dire comporter tous les niveaux de l’analyse et de la réflexion ». Le but est un changement de civilisation. Généralement, pour l’atteindre on pense au levier institutionnel. Mais il est ici récusé avec force : « Ce n’est pas par l’intermédiaire de l’État et des administrations que nous pourrons mener une action écologique effective, à la dimension du danger. Par ailleurs, ce n’est pas d’un changement de régime politique que nous pouvons attendre un changement de civilisation. Tout pouvoir politique est subordonné aux impératifs (par exemple économiques, scientifiques, techniques) qui sont précisément ceux au nom desquels on détruit le milieu naturel et on déstructure le milieu social ».

Comment procéder alors ? Si aucun pouvoir institué n’osera jamais dénoncer les principes intangibles de la société industrielle, on est renvoyé à une mobilisation d’ordre moral, censée faire évoluer les comportements vers des initiatives locales, permettant sans doute, de proche en proche, un renversement total des perspectives et de la praxis sociale. Ce n’est sûrement pas une voie de facilité, même si on ne peut s’empêcher de la trouver idéaliste. Nos militants écolos sont un peu tributaires de cette attitude qui ne va pas sans maladresses ou errances de débutants. Mais c’est le prix à payer à ce qui ressemble un peu à une posture eschatologique avec l’espérance d’un autre monde.

Cependant, pour bien comprendre le fond de la rupture, il faut aller rechercher chez Ellul et Charbonneau ce qui est au cœur de leur contestation d’un mode généralisé de destruction de la nature. La civilisation industrielle repose sur le moteur de la technique, à quoi tout est subordonné. La thèse développée veut que « science et techniques sont créatrices de désordres et tendent vers le néant ». Nous nous trouvons ici proches des conceptions heidegeriennes, selon lesquelles « la science ne pense pas » et la technique est arraisonnement monstrueux du monde. Cela ne veut pas dire qu’il faut se priver de tous les avantages qui ont permis des progrès, par exemple dans le domaine de la santé. Il s’agit que les moyens n’engloutissent pas les finalités et que l’on garde ainsi le sens de nos existences.

Il y a quarante ans, nos pionniers avaient perçu comment après la bombe atomique la bombe génétique produirait ses effets dévastateurs. Un nouvel eugénisme qui ne sera plus raciste mais scientifique se profile : « Plus de déficients ou d’idiots, des croisements judicieux engendreront un nouvel homme dont la productivité matérielle et spirituelle sera à celle d’hier ce que le producteur en lait d’une Holstein est à celle de feu la Bretonne. Il suffira de marier, non plus à l’Église, mais in vitro un spermatozoïde de prix Nobel avec un ovule de Miss Monde pour obtenir un électeur aussi intelligent que beau ». Quarante ans avant, il n’était peut-être pas encore trop question de cyborg et de transhumanisme mais c’était dans la logique de l’évolution scientifico-technique.

Curieusement, nos écolos d’aujourd’hui semblent assez peu sensibles à cette dérive qui ne concerne plus seulement la nature mais notre humanité même. PMA, GPA, suicide assisté, ils sont tout prêts à avaliser ce qui s’apparente encore à une conception progressiste des engagements civiques. Seul un José Bové, qui a été à l’école directe de Jacques Ellul, se montre rebelle à la dérive généralisée. Charbonneau avait pressenti ce qui, depuis, a déferlé sur nous : « Que signifient désormais ces mots : paternité, maternité, mère, père ? La connaissance scientifique est capable de les supprimer ; est-elle assez grande pour enregistrer tout ce que signifie leur absence pour les enfants ? Quels surprenants délires ne risque-t-elle pas d’engendrer dans le couple masculin-féminin et la jeunesse ? » Ainsi le radicalisme de nos pionniers se trouvait-il moins au service de l’utopie que celui de notre humaine sauvegarde.