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Pourquoi dénonce-t-on le communautarisme en France ?

Par Michel Michel

Le communautarisme est quasi unanimement dénoncé en France, et cela dans tous les courants politiques. Alors qu’au contraire toute réflexion anthropologique montre le caractère fondamental des communautés dans la constitution de l’humanité et particulièrement dans le processus d’intégration des immigrés.

Déjà dans les années 1920, les sociologues de l’École de Chicago (W.I. Thomas et F. Znaniecki) avaient montré la fonction fondamentale du sentiment d’appartenance à une communauté ethnique dans le processus d’assimilation (c’est-à-dire une série de désorganisations/réorganisations) des immigrants polonais. Dans cette perspective, les communautés apparaissent comme des sas facilitant la difficile et souvent douloureuse acculturation avec le pays d’accueil. Les tentatives des travailleurs sociaux de couper les nouveaux arrivants de leurs racines se traduisaient, le plus souvent, par une augmentation significative des conduites de déviance (ivrognerie, violence, délinquance, suicides…).

Les recherches ultérieures ont confirmé ce point de vue. Ainsi, une étude menée aux États-Unis a pragmatiquement sélectionné quatre communautés : deux que l’on s’accorde à considérer comme bien intégrées (Japonais et Juifs récemment immigrés) et deux qui alimentent le « lumpen prolétariat » américain, le trafic de drogues et la population carcérale (Coréens et Portoricains). Le principal facteur de différenciation c’est que dans la première catégorie on conserve une forte cohésion familiale et on cultive les rites communautaires, tandis que dans la deuxième, les immigrants réduits à l’état « d’individus », « self made men » fascinés par le rêve américain tel qu’ils le perçoivent à travers des films de série B, se perdent dans « l’anomie ».

Une politique d’immigration devrait viser à éviter le pire. Mais le pire aujourd’hui, particulièrement pour les seconde et troisième générations de beaucoup d’immigrés, c’est ce que les sociologues nomment l’état « d’anomie » c’est-à-dire l’absence ou la faiblesse des normes communes et partagées. Le pire pour la société d’accueil (non reconnaissance, « incivilités », délinquance…) mais surtout pour les immigrés eux-mêmes. Même les parents n’ont plus d’influence sur leurs enfants qui n’ont comme point de repère que la bande de quartier et les vidéos américaines…

C’est pourquoi, depuis, tous les pays d’immigration tolèrent ou encouragent les immigrants à garder une part de leur identité et le sentiment de leur appartenance à une communauté.

Comment expliquer ce tropisme anti-communautaire exclusivement français ? Une série de six facteurs entrent en jeu.

  1. La prétention des Français à confondre leurs particularités avec l’universalisme. Au Moyen Âge, la Sorbonne disait la vérité universelle pour toute la Chrétienté. Le rationalisme cartésien, dont se targue la culture française dégage des conclusions indépendantes du temps et des circonstances. Au XVIIIe siècle, l’Europe francophone des « Lumières » se flatte de penser en français. C’est cette confusion pseudo-universaliste qu’Edmund Burke dénonçait comme l’une des raisons de l’intolérance révolutionnaire.
  2. La France n’est plus caractérisée par une histoire contingente, des mœurs et des coutumes, mais par une fiction juridique, c’est-à-dire des conventions fondées sur la volonté « nominaliste » des contractants : « Tout homme a deux patries, la France et puis la sienne » et, dès lors, tout homme a des droits sur la France pourvu qu’il adhère au contrat social lui-même rationnel et universel. Mais ce contrat social, particulièrement dans sa version rousseauiste, dégage une volonté générale (c’est-à-dire du général) qui s’impose à tous. D’autant plus que la décapitation du roi, fédérateur historique de la nation française, a rendu cette unité fragile. De là le jacobinisme français, c’est-à-dire la quasi-nécessité de lutter contre les particularismes (départementalisation, loi Le Chapelier, laïcisme…) qui risquent de décomposer la fédération.
  3. Cette forme « universaliste » d’ethnocentrisme (que Claude Lévi-Strauss distingue de l’ethnocentrisme d’exclusion qui, lui, est à peu près commun à toutes les cultures), ouvre notre société à tout homme qui parvient à se débarrasser de ses particularités. L’immigré est invité à abandonner ses traditions pour retrouver l’état d’innocence du « bon sauvage ». Bien entendu, cet état est bien plus proche des spéculations des salons du XVIIIe siècle que des peuples étudiés par les ethnologues. Du reste, c’est toute communauté (lignage, langues et « patois », provinces, etc.) qu’il s’agit d’éradiquer, pour les immigrés comme pour les Français de souche, toute tradition, tout héritage social est « aliénant » et « clivant ». Il s’agit de faire tabula rasa pour rendre possible le contrat social du nouveau monde révolutionnaire.
  4. Enfin, dans sa passion égalitaire, la France a du mal à distinguer les immigrants entre eux ; déjà est-il périlleux de donner des droits particuliers aux citoyens par rapport aux étrangers. Pourtant l’intelligence et l’amour distinguent, discriminent. Or, on sait que les capacités d’adaptation diffèrent d’une société à l’autre. Les ethnologues savent bien qu’au contact avec la société occidentale certaines tribus parviennent avec un sens de la casuistique à sauvegarder leur culture en adoptant une nouvelle technologie, tandis que d’autres s’effondrent et c’est ainsi que des peuples sont réduits à l’état de clochards dans les bidonvilles du tiers-monde comme les immigrés sont réduits aux « beurs » de banlieues.
  5. Depuis les années 1970, la France a subi une immigration de masse et de peuplement suscitant une réaction de défense des populations autochtones. Les Français regardent avec sympathie l’exotisme des allogènes à la condition qu’ils soient rares. À partir de certains seuils qui varient en fonction de nombreux facteurs, cette sympathie finit par se transformer en hostilité. Or, les montages idéologiques du « politiquement correct » stigmatisent juridiquement et médiatiquement cette réaction de défense. Il n’est plus possible de protester contre la trop grande présence des immigrés sans se faire attaquer comme raciste et xénophobe. La seule voie praticable est de masquer ce refus d’une immigration massive sous un discours laïque (cf. la ridicule polarisation des médias sur le « burkini ») ou sous un discours anti-communautariste. Puisqu’on ne peut faire partir les étrangers et leurs descendants, qu’au moins ils renoncent à leurs particularités pour devenir le plus invisibles possible.
  6. Quand les médias, en France, parlent de communautés, il s’agit plutôt de pseudo-communautés. On évoquera par exemple les pseudo-communautés « LGBT ». Les vraies communautés ne sont pas fondées sur le contrat et la volonté de ceux qui y adhèrent pour satisfaire leurs intérêts ou leurs passions, pas plus que les catégories qui regroupent quelques particularités morphologiques : les Blancs, les Noirs (cf. le CRAN), les Asiatiques ne sont pas des communautés, tandis que les Bambaras, les Touaregs ou les Hmongs le sont. Qu’aux États-Unis des noirs descendant d’esclaves déracinés s’identifient comme « Blacks », c’est compréhensible : plus on est réduit à l’état anomique d’individu, plus on se raccrochera à n’importe quelle reconstruction fantasmatique d’identité. Il est difficile de ne pas juger comme aliénation qu’un prince Yoruba arrivé à Paris s’affuble d’une casquette mise à l’envers comme le jeune du Bronx des séries télévisées, comme la Bretonne Bécassine qui cessait d’être catholique pratiquante lorsqu’elle débarquait sur les quais de la gare Montparnasse. Or, si les vraies communautés peuvent susciter la sympathie, les pseudo-communautés qu’on nous présente complaisamment dans les médias sont des machines de guerre contre les « préjugés » de la société ambiante. Les communautés légitimes relèvent de l’affirmation de soi, les pseudo-communautés relèvent du ressentiment.
  7. On a voulu parfois expliquer les difficultés d’acculturation par la distance qui varie en fonction de la culture d’origine. En limitant les regroupements ethniques et en restreignant les possibilités des pratiques communautaires, on espérait que l’immigré « libéré », c’est-à-dire réduit à l’état d’individu, happé par le modèle occidental de l’homo œconomicus (producteur, consommateur, spectateur) n’aurait pas de mal à s’assimiler aux « natifs » (et cela d’autant plus facilement que ceux-ci auraient été débarrassés de leur enracinement, de leur religiosité et de la conscience de leur histoire. Pourtant, des immigrés très attachés à leurs coutumes et aux pratiques communautaires (comme les Chinois ou les Juifs pratiquants) semblent s’adapter aux exigences de la société d’accueil, alors que les Roms ou les Algériens de la troisième génération apparaissent comme inadaptés à la cohabitation (cf. la proportion de 70% de musulmans originaires d’Afrique du Nord dans les prisons).

Peut-être y aurait-il lieu d’interroger ces tabous idéologiques qui conduisent les institutions et l’opinion françaises à ignorer (dénier) la réalité des communautés, car ils constituent un lourd handicap pour mener une politique cohérente d’immigration.