Par Gérard Leclerc
Il nous est arrivé plusieurs fois d’évoquer une radicalisation idéologique qui tend à s’emparer de l’espace public et des médias. La véhémence du discours, lorsqu’elle rend compte de fortes convictions, n’est pas forcément à proscrire. Elle devient difficilement supportable lorsqu’elle porte atteinte à un certain équilibre nécessaire à la paix sociale. J’évoquais les oppositions à la célébration du bicentenaire de la mort de Napoléon qui atteignent, à mon sens, l’héritage culturel qui contribue à constituer la conscience d’appartenir à un même peuple, à une communauté historique. Il faut bien reconnaître qu’une véritable rage sévit en ce moment dans beaucoup de pays d’Occident, où l’on veut à toutes fins purifier la mémoire de tout ce qui ne correspond pas à une orthodoxie idéologique.
Aux États-Unis, on en est même à vouloir bannir la mémoire d’Abraham Lincoln, pourtant engagé pour la libération des esclaves noirs. Il aurait eu quelques mots inappropriés à l’égard des Amérindiens. À ce compte, on se demande qui pourra survivre à la vague épuratrice. Quels modèles les épurateurs pourront-ils proposer pour remplacer les figures qu’ils ont bannies. Qui, en Grande-Bretagne, pourra remplacer Winston Churchill comme défenseur de nos libertés et de notre dignité face à l’hydre nazi ? Pourtant, lui aussi est dans le collimateur des épurateurs.
Je me demande si la même maladie n’est pas en train de s’emparer de l’Église elle-même, avec des réquisitoires qui entendent déshonorer l’institution et ses grandes figures, telle celle de Jean-Paul II. Lorsqu’il n’y a plus d’estime pour ce qui nous enracine dans notre passé, il y a risque que s’étende sans fin l’empire du nihilisme.
(Illustration : Le Cri d’Edvard Munch)