Le numéro 76 de la revue laboratoire d’idées du nationalisme intégral vient de sortir. Son dossier porte sur « Europe légale, Europe réelle » et s’inscrit parfaitement dans la campagne de propagande « Moins d’Europe, plus de France » menée par l’Action française en 2023-2024. Notons au final qu’à son habitude, l’élection européenne n’a accouché que d’une souris populiste alors qu’on attendait le retour des peuples, tant annoncé par les européanistes forcenés. En fait, le pouvoir de la techno-bureaucratie eurocrate a été confirmé.
Ce numéro 76 complète la série « Eurosceptique » des 19 rubriques hebdomadaires du « Combat royaliste » publiées sur le site Actionfrançaise.net ainsi que la publication aux Éditions de Flore de l’ouvrage majeur d’Axel Tisserand Comment dissoudre la France dans l’Europe ? (430 pages, 10 euros). Sachant qu’à partir du mois de septembre il appartiendra à chacune de nos fédérations d’organiser une conférence d’Axel Tisserand.
Nous vous proposons donc la lecture de l’éditorial « Ne pas renoncer à la France », du nouveau rédacteur en chef de la NRU, Axel Tisserand.
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Par Axel Tisserand
Comment ne pas commencer ce premier éditorial en avouant que je suis évidemment conscient de la lourde responsabilité qui m’incombe désormais : succéder à Christian Franchet d’Esperey à la tête d’une revue aussi prestigieuse m’a tout d’abord, je dois l’avouer, fait reculer, même si, évidemment, je suis loin d’être seul et que je me fonds dans une équipe déjà constituée, solide, et qui ne m’attendait pas pour persévérer dans l’être. L’humilité sera donc mon maître mot – un mot il est vrai aujourd’hui galvaudé par le personnel politique mais qui n’en garde pas moins son sens véritable, qui interdit le paraître. La Nouvelle Revue universelle est le fruit d’une longue histoire qui oblige, le seul nom de Jacques Bainville étant suffisant à imposer le respect et à convaincre chacun de donner le meilleur. Christian Franchet d’Esperey a su faire fructifier cet héritage : loin de vouloir imprimer un quelconque changement, je ne souhaite que m’inscrire dans ses pas, sachant que je recevrai toute l’aide nécessaire, afin que la NRU demeure une revue de référence en raison de la qualité de ses contributeurs.
Quelle Europe ?
Une revue de référence : notre époque en a bien besoin ! Ce n’est pas l’actualité qui nous démentira, alors même que la France se trouve confrontée à un avenir toujours plus incertain : incertain au plan de la politique intérieure, incertain au plan de la politique européenne et internationale. Le dossier du numéro 76 ne pouvait pas mieux tomber. Car l’« Europe » impose toujours plus, année après année, son calendrier aux États membres d’une Union – l’Europe légale – dont les responsables semblent en vouloir toujours davantage, sans se demander si ces avancées, ou encore cet approfondissement, correspondent véritablement aux vœux des peuples – l’Europe réelle, dont le profond entretien que nous a accordé le professeur Rémi Brague aide à dessiner la nature. Et dont, dans un document de 1993, le sociologue maurrassien Pierre Debray cherchait à retrouver l’esprit sur le fond d’une cultura animi aujourd’hui disparue.
Certes, la France a toujours eu une place particulière en Europe, en raison même de la politique des rois de France : dès le Moyen Âge, leur volonté d’être « empereurs en leur royaume » signifiait bien leur refus d’entrer dans une problématique impériale en se soumettant soit à l’hégémonie terrestre du pape, soit à l’hégémonie de l’empereur germanique qui se prétendait héritier de l’empire romain, puis de l’empire carolingien. Comme le notait le grand-père de l’actuel comte de Paris : « Le roi voulu par les Français, acclamé par eux le jour du sacre, est libre à l’égard de l’Empire germanique et le proclame. La première loi fondamentale de la monarchie dit que “le roi est empereur en son royaume” : nulle autorité temporelle ne peut imposer sa volonté à l’ensemble qu’il incarne et protège ». Or, cette dernière prétention, malheureusement, semble avoir été abandonnée par la Ve République : l’Europe est comme un nouvel empire germanique et la France lui est constitutionnellement soumise depuis le traité de Lisbonne de 2008.
En tout cas, le fait que le président de la République ait dissous l’Assemblée nationale à la suite des résultats aux élections européennes est un indice de cette presque totale imbrication entre politique intérieure et politique européenne. Certes, il n’a jamais existé de cloison étanche entre les deux, et Dominique Decherf nous rappelle toute la complexité historique et géopolitique d’un continent dont les rêves d’unité ont toujours visé la paix. Mais notre inscription dans l’Europe ne saurait non plus limiter la vocation d’un pays qui s’inscrit dans une histoire millénaire, a été et est toujours présent sur les cinq continents, a toujours eu une vocation planétaire, dispose de l’arme nucléaire et est toujours membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, une place, on le sait, que l’Europe institutionnelle nous envie.
Or, notre pays a renoncé, dans le cadre européen et atlantiste, à une véritable diplomatie indépendante. Elle ne se conçoit plus comme une nation souveraine, mais comme faisant partie intégrante d’une double alliance politique et militaire complémentaire dans laquelle elle est appelée à se fondre : l’Union européenne, une union politique, et l’OTAN, une alliance militaire, une double appartenance qui lui dicte désormais sa politique étrangère, tout en caressant le projet d’une « défense européenne » dont le général Lalanne-Berdouticq révèle la dimension avant tout mythique et le risque mortifère pour notre souveraineté si jamais il connaissait un début sérieux de réalisation.
Il faut comprendre qu’avec l’Union européenne un niveau intermédiaire de réalité juridique s’est imposé entre l’État national et le plan international, car l’Europe institutionnelle est une configuration tout à fait spéciale, un peu bâtarde, du reste. Elle prétend, d’un côté, réunir librement des États indépendants, voire « souverains », si on suit la cour de Karlsruhe dans son arrêt du 30 juin 2009, dans une alliance toujours plus étroite, et, d’un autre côté, vouloir parler de plus en plus d’une seule voix aux États qui ne sont pas membres de l’Union ou aux organisations internationales. Elle n’est ni une instance internationale un peu lâche, comme l’ONU, lieu de dialogue entre presque tous les États du monde, qui partagent une charte fondatrice visant le respect des droits de l’homme, la paix, la sécurité internationale, mais sans objectif, du moins à court ou moyen terme, de réalisation d’un gouvernement mondial ; ni non plus, du moins pas encore, une instance fédérale, comme les États-Unis d’Amérique, ou la Fédération de Russie, deux États fédéraux qui parlent d’une seule voix au reste du monde.
Un « rêve » européen ?
La question même de la diplomatie est au cœur de cette institution bâtarde. « L’Europe, quel numéro de téléphone ? », aurait paraît-il demandé avec humour Henri Kissinger dans les années 1970. Biden parle au nom des États-Unis, Poutine au nom de la Russie, mais qui parle au nom de l’Europe institutionnelle ? Il y a bien depuis le traité de Lisbonne un haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (HRAEPS), mais son autorité et ses pouvoirs sont limités : il peut intervenir pour l’Union et ainsi négocier au nom des États-membres mais uniquement si ceux-ci lui ont délégué le pouvoir de le faire. Pourquoi ce flou ? Parce que l’Europe n’est pas encore un État fédéral. Elle est toujours un agrégat d’États indépendants. Mais voilà : tout est fait depuis 1992 et Maastricht pour que cet agrégat devienne une réalité juridique internationale à part entière au sens où elle devienne, à la place des États-membres, le seul interlocuteur officiel. L’Europe est une instance en pleine évolution et Christophe Boutin nous aide à voir comment se dessine peut-être une véritable escroquerie politique, dans le cadre d’un « approfondissement » des institutions vers toujours plus de fédéralisme, un fédéralisme que rendrait nécessaire un nouvel élargissement de l’Union. Macron va jusqu’à parler de « souveraineté européenne » : or, si les mots ont un sens, une telle souveraineté est incompatible avec la souveraineté nationale. Parler de souveraineté européenne, c’est concevoir l’existence d’une Europe qui impose aux États-membres ses décisions en toutes matières, notamment en matière régalienne.
Ainsi, en nous fondant dans le processus européen et après être retourné dans le commandement intégré de l’OTAN, notre marge de manœuvre en matière diplomatique est devenue étroite, pour ne pas dire inexistante. On le voit s’agissant de la guerre en Ukraine : Macron a très vite abandonné une posture de troisième voie, consistant à continuer d’entretenir un dialogue avec Poutine, pour se ranger à la diplomatie d’alignement sur les États-Unis de la Commission européenne, voire à faire du zèle en parlant d’envoyer des troupes ou de former sur place des soldats. Or, cette troisième voie était la seule conforme à la fois à notre tradition diplomatique de non-alignement et à notre intérêt national.
Du reste, Macron a toujours préféré la voie européenne à une diplomatie française. C’est en tant que président du Conseil de l’Union européenne que, le 7 février 2022, quelques jours avant le déclenchement de l’« opération spéciale », il s’est rendu à Moscou puis à Kiev. Macron a considéré comme essentiel ce qui n’est que secondaire, voire anecdotique aux yeux de Poutine : c’est investi de la dimension de président du Conseil de l’UE — une fonction de six mois sans consistance réelle, ce que sait fort bien Poutine — qu’il s’est présenté au chef de l’État russe, quand celui-ci ne reconnaît pour pairs que d’autres chefs d’État. Or, celui qui est venu le visiter, et qu’il a accueilli si froidement n’était ni le successeur du roi de France Henri Ier, qui épousa en 1051 la princesse russe Anne de Kiev ; ni non plus le successeur du jeune Louis XV recevant en 1717 Pierre le Grand à Versailles ; ni même celui de Napoléon testant en 1812, pour notre plus grand malheur, la Russie jusqu’à Moscou ; ni, enfin, celui du général De Gaulle, qui n’omettait jamais de rappeler qu’à ses yeux, par-delà l’Union soviétique (et sa dimension idéologique), c’est à la Russie qu’il s’adressait, une Russie qu’il persistait à appeler ainsi à Moscou, devant les dirigeants soviétiques eux-mêmes. Non, celui que Poutine a accueilli n’était que le secrétaire pour six mois de l’agenda européen, c’est-à-dire rien, ou presque. Et il le lui signifia. Sa médiation ne pouvait réussir, pour la simple raison que Macron n’avait aucune voie originale à proposer à Poutine. Du reste, qu’est-ce que Macron lui proposa alors ? De rencontrer Biden ! Il mettait ainsi hors-jeu et la France et l’« Europe ». Oui, Macron avait discrédité aux yeux de Poutine la diplomatie française, ainsi fondue dans une diplomatie européenne inexistante, puisqu’elle revenait à faire du « président du Conseil de l’Union européenne » le petit télégraphiste de Washington, alors que la France se devait de jouer un rôle modérateur et, surtout, mettre en avant sa différence – militaire, historique, internationale – , plutôt que chercher à se dissoudre toujours plus dans une Europe dont seul Macron peut croire qu’elle aspire à une quelconque puissance et donc à une véritable autonomie. De fait, la France est retournée depuis deux décennies maintenant dans une logique impériale dont De Gaulle avait commencé à la faire sortir en 1966 en sortant du commandement intégré de l’OTAN. Et alors que la chute du mur de Berlin aurait dû susciter une diplomatie originale et imaginative de la part de la France, au contraire, le double tropisme atlantiste et européiste de Mitterrand puis de tous ses successeurs l’y fit replonger – on doit le retour dans le commandement intégré de l’OTAN et le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) à Sarkozy, mais Hollande n’est en rien revenu dessus –, livrant de nouveau, progressivement, le royaume à l’Empire.
Retours à la réalité
La « souveraineté européenne » de Macron n’est que l’achèvement de ce processus, dont le caractère (an-)historique, profondément impolitique, vise aussi la réalisation d’une utopie qui revient à une sorte de laïcisation de la Jérusalem céleste : se diriger vers une paix perpétuelle. Car ce projet a eu très tôt un double caractère : idéologique et millénariste, d’une part ; mercantile et consumériste d’autre part. Ce double caractère est même devenu la raison d’être première de l’Europe qui se projette aujourd’hui comme le village-témoin d’une globalisation heureuse. D’où un élargissement qui pourrait sembler sans fin à tous les États proches, démocratiques ou prétendus tels, jusqu’à la dissolution de l’Europe elle-même dans une démocratie planétaire – le « rêve européen » de Macron est en cela un « rêve hugolien », ce rêve que Louis Veuillot qualifiait impitoyablement de « chaude bêtise » – un rêve dont Maurras n’a cessé de dénoncer le caractère illusoire : nous donnons des textes dont les décennies qui ont passé semblent avoir paradoxalement accru la pertinence.
Les termes de démocratie, d’État de droit ou de droits de l’homme suffisent en effet à définir le projet européen en dehors de toute réalité propre de ces peuples, de toute culture. Ce n’est pas pour rien que Macron, dès 2017, a dénié l’existence d’une culture française. Et que Rodolphe Cart nous alerte sur la nécessité de retrouver, sous l’expression de « souverainisme intégral », un grand projet politique national, dans le cadre de la sauvegarde d’un peuple français aujourd’hui poussé vers son effacement historique en tant que pays réel. Car la volonté de nos actuels dirigeants de couper irrémédiablement le peuple français de son histoire n’a d’autre objet que d’absorber ce même peuple dans un trou noir. Un trou noir à la constitution duquel l’immigration comme idéologie humanitariste joue un rôle primordial, idéologie dont François Schwerer, en s’appuyant sur les textes fondamentaux de notre civilisation – l’Ancien et le Nouveau Testament – montre toute l’imposture : premier retour à la réalité.
Un retour à la réalité qui, grâce à Philippe Lallement, prend aussi le visage du renouveau d’un certain nationalisme européen, qui poussa de manière tragique certains pacifistes de l’entre-deux-guerres dans les bras d’Hitler, avant de donner naissance, après 1945, à une ultra-droite qui, pour être moins objectivement dangereuse que son aînée germanique, s’inscrit toutefois dans la banalisation du nazisme. Un retour à la réalité qui, loin des rêves mortifères de paradis terrestre, prend enfin la forme d’un voyage en Syrie dont Antoine de Lacoste nous offre les meilleures pages : touriste s’abstenir ! C’est à un parcours d’une autre dimension, tragique et culturel, militant, en un sens, que nous invite l’auteur. Quant à Antoine de Crémiers, il s’interroge sur le système libéral-totalitaire, par-delà les catégorisations toutes faites : un autre voyage riche en surprises Le lecteur retrouvera enfin quelques critiques de lectures, avec Danièle Masson (encore l’Europe, mais j’en suis responsable) et l’abbé Guillaume de Tanoüarn sur le livre du sociologue Michel Michel, Ah ! Si j’étais pape !, sans oublier l’indispensable Journal critique de Michel Mourlet.
Le prochain numéro est déjà en préparation, avec l’espoir que nous rattraperons progressivement un retard qui n’a pour seule excuse que notre exigence de toujours livrer à nos abonnés une revue de qualité.