L’Enquête sur la monarchie (1900)
Nous commençons à retrouver la mémoire du royalisme d’après la mort du comte de Chambord en 1883. Il s’était peu à peu réduit à lui-même. Il disposait encore d’une presse moins puissante mais combattive. En revanche, si sa force parlementaire décline, ses liens avec le catholicisme social sont très forts. Avec la mort du chef de la Maison de France Philippe VII arrive Philippe VIII le duc d’Orléans et le mouvement de la « Jeunesse royaliste » (JR). Le royalisme est alors brisé. Ses responsables sont en exil.
Dans Le Tombeau du Prince, publié en 1927, Maurras rend hommage au duc d’Orléans – « Il était notre recruteur» et notre animateur – et vante le nationalisme démophile de Philippe VIII qui affranchit la notion de royauté ; on ne sera plus royaliste seulement par tradition de naissance mais aussi par une prise de conscience nationale. Maurras précise que « sans son programme des années 1894, 1895, 1896, 1897, 1898 et 1899, je n’eusse jamais pu écrire en 1900 l’Enquête sur la Monarchie», puis il proteste contre ceux qui affirment que l’Action française a donné un programme au prétendant ; au contraire, elle l’a reçu de lui, par ses messages et par l’intermédiaire des deux exilés de Bruxelles. On s’étonne que Maurras ait milité pour un prince inconnu de lui, de 1896 à 1902 : « Je ne l’avais pas vu, mais je l’avais lu. J’avais suivi ses admirables, ses incomparables avertissements à la France de l’affaire Dreyfus, véritables et premières prophéties d’avant-guerre. D’abord rétif, puis intéressé, puis saisi aux entrailles ». Maurras insiste sur le fait que « les actes décisifs du Prince ont eu lieu entre 1894 et 1900 ». L’Enquête n’a fait que conclure, avec l’aide d’André Buffet et celle d’Eugène de Lur-Saluces, « ce gentilhomme si cultivé portait en lui tout ce que Bonald, Maistre, Blanc de Saint-Bonnet, Veuillot avaient élaboré pour nous depuis 75 ans. Il allait jusqu’à Taine et Bourget. Nous arrivions avec d’autres auteurs classés plus à gauche et tout aussi concluants en faveur de la réorganisation nationale et royale, de Renan à Barrés, de Fustel à Proudhon, à Guesde, à Lafargue ».
Dans sa lettre du 5 septembre 1900, le duc d’Orléans ratifie l’essentiel des idées que ses deux amis, ses deux témoins, alors bannis par la Haute-Cour, avaient émises sur la réforme des réformes : la réduction de l’étatisme et le principe décentralisateur. Ce programme, Maurras le précise dans un article du Soleil (10 mars 1900) sous le titre « La propagande royaliste » : « La monarchie ne plaît ni ne déplaît en France, elle est ignorée… Il est certain que la tradition est rompue même moralement… Sauf en quelques régions très rares ». Maurras pense que cela vaut mieux : « Une véritable révolution pourra s’effectuer, qui ne sera ni la restauration parlementaire du XIXe siècle, ni la restauration de l’Ancien Régime bourbonien présidé par un César héréditaire… il s’agit, en un mot, de revenir à la pratique des meilleurs moments de la monarchie, quand les communes et les associations de tout ordre s’administraient elles-mêmes et que le roi se renfermait dans la gestion des intérêts supérieurs de la patrie ».
L’Enquête sur la Monarchie provoque un renouveau du vieux « parti royaliste » ; publiée dans La Gazette de France puis en fascicules, dont le premier (dialogue avec les exilés et première réponse, celle de Paul Bourget) est répandu à plus de 500 000 exemplaires. Il s’agit d’une vaste opération de propagande doctrinale et Maurras élargit son audience, l’année suivante, grâce à « Une campagne royaliste », série d’articles que publie Le Figaro.