Par Marc-François de Rancon
Depuis la formation du Gouvernement Barnier, principalement depuis la déclaration du ministre de l’Intérieur Retailleau, rares sont les moments de répit que nous accordent les médias sur un thème ressassé ad nauseam : on ne cesse de parler d’État de droit. Il y en assez, maintenant.
La polémique artificielle autour du propos du ministre, « l’État de droit ça n’est pas intangible ni sacré », n’a pas lieu d’être. Il n’a rien dit de scandaleux, ni même qui méritât d’être relevé, encore moins conspué. C’est un constat qui tombe sous le sens. Le bon sens. Ce fameux bon sens que l’on prétend la chose la mieux partagée du monde. Tellement que la France, si éprise d’universalité républicaine, a poussé le partage, substitut dévoyé de la charité, jusqu’à le donner aux Autres. En totalité. Sans rien retenir pour elle, hélas.
La république a perverti la notion d’État de droit, qui à la base de sa conception et à l’origine de son installation, n’était pas nocif. Bien au contraire. Les libertés garanties sous la monarchie étaient effectives, pas virtuelles. Le détournement de l’État de droit en une arme, au début lentement mortifère, désormais brusquement létale pour notre nation, s’est opéré de façon insensible parce que progressive : l’entrisme, l’un des outils métapolitiques les plus efficaces.
Peu à peu les ennemis jurés de la France, de son peuple, de sa nation qui chez nous s’est structurée autour de l’État, se sont emparés des commandes. Concrètement ils ont investi les institutions étatiques qui avaient précisément été mises en place pour protéger notre pays et son peuple. En retournant lesdites institutions d’État contre les raisons d’être pour lesquelles elles avaient été conçues. Regardons bien, en ne prenant que quatre exemples : c’est particulièrement vérifié pour l’école, la diplomatie, la police et surtout la justice. Ces quatre piliers garants de l’intégrité intérieure et extérieure, de la transmission ainsi que du respect des valeurs fondatrices et traditionnelles de notre société, ont été systématiquement et soigneusement minés, de l’intérieur. Comment ? En introduisant le nombre, la médiocrité et, surtout, l’idéologie gauchisante, délétère et mortifère républicaine chez les enseignants et les élèves, chez les policiers, chez les magistrats du siège comme du parquet, chez les diplomates qui ne forment même plus un corps. Les négationnistes de notre nation ont pris le vrai pouvoir, celui des esprits et du quotidien. Ils ont ainsi sapé, détruit, remplacé, les valeurs originelles et existentielles de la France.
Si besoin était de s’en convaincre, il suffirait d’observer, en se cantonnant au domaine du Droit, par qui et comment sont peuplés aujourd’hui les rangs de la magistrature, jusqu’à la Cour de cassation et au Conseil d’État. Sans parler du Conseil constitutionnel, où les nominations ne requièrent plus la moindre compétence juridique, surtout pas en droit constitutionnel ou en histoire des institutions politiques. Mais où les désignations obéissent prioritairement à des choix politiciens sous-tendus par des arrière-pensées et des visées idéologiques. Or, nous venons de parler ici des trois cours suprêmes, dans les trois ordres judiciaire, administratif et politique. Le proverbe asiatique énonce que le poisson pourrit par la tête. C’est souvent vérifié. De surcroît, ces têtes avariées sont montées en grade depuis 1968, voire auparavant, à partir de corps déjà malsains, sélectionnés à dessein et, comme si ça ne suffisait pas, avec le crâne bourré depuis l’école primaire jusqu’à l’école de la magistrature par la vulgate républicaine, individualiste, égalitariste et progressiste.
Dans ces conditions, il est logique que d’État de droit on soit passé à des tas de droits. Des tas de revendications personnelles et sectorielles, satisfaites à grand renfort de publicité médiatique. Cette déliquescence ne nourrissant plus le bien commun ni l’intérêt général, mais en les pourrissant. Des tas de droit qui empêchent maintenant de parler d’État de droit. Au sens propre comme au sens figuré, puisque désormais la censure touche la liberté de pensée. La liberté d’expression ayant été muselée précédemment. Nous savons par expérience que nos Maîtres avaient raison depuis longtemps : la république gouverne mal mais se défend bien. Elle a de nos jours à sa disposition un État de droit docile et zélé, au service de son projet totalitaire et antinational. Quand les sectataires de ce régime républicain d’origine et d’essence sanglantes et révolutionnaires, plus abject que jamais, invoquent l’État de droit, on ne peut s’empêcher de penser à 1984. Orwell a parfaitement décrit l’engrenage diabolique de l’inversion des mots qui entraîne en spirale infernale le renversement des idées. Quand ils parlent d’État de droit, il ne s’agit évidemment pas du droit naturel. Ils se servent de droits qui au contraire le détruisent. Il ne s’agit pas de l’État qui soutient et tient la Nation, mais au contraire de finir de dissoudre l’État en utilisant ses propres outils pour faire disparaître la Nation.
Trop de droits tue le Droit. Assez des tas de droits ! Assez « d’État de droit » ! Au contraire : encore plus de droits pour l’État ! La vérité n’a pas changé depuis l’adage « Unus rex, una lex ». En effet, quand le principe de bon sens « un roi, une loi » est respecté, c’est un seul et même bras qui peut se saisir alternativement du sceptre d’autorité et de la main de justice. Vivement la monarchie ! Nous aurions bien besoin du retour de chasse du jeune Louis le quatorzième tenant à la main son fouet et faisant irruption en pleine session du Parlement de Paris. Afin de rappeler la nécessaire hiérarchie des pouvoirs.
(Illustration : « Louis XIV jeune en armure », Jean Nocret, huile sur toile, 1655, musée du Prado)