Dans le n°65 du journal Le Bien Commun, le mensuel du mouvement politique d’Action française, Gérard Leclerc répond aux questions de l’enquête sur la monarchie. Après sa réponse à la question visant à savoir si la République était devenue une forme dépassée, dont la France a fait le tour, après en avoir essayé, et essuyé, toutes les déclinaisons, du régime d’assemblée au parlementarisme rationalisé en passant par le régime présidentiel, d’autres ont suivi. Est-il bien raisonnable de croire que la solution se trouverait dans une quelconque VIe République ou dans un nouveau lifting de la Ve ? Et si nous retrouvions le chemin de l’aventure capétienne, qui fut celle de la France durant mille ans et assura à la fois son existence et sa grandeur, afin de redonner au régalien sa dimension arbitrale et souveraine, protectrice des libertés fondamentales des Français ?
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Par Gérard Leclerc
Quand on regarde les propositions de Mélenchon pour une VIe République, c’est le retour à la IVe, c’est un retour au régime des partis, c’est la fin de la monarchie gaullienne, avec tous les aléas que nous avons connus sous la IIIe et la IVe. Un lifting de nos institutions, je le vois mal dans l’immédiat. Nous assistons un peu à l’échec de ce que Michel Debré appelait le parlementarisme rationalisé. On a perdu toute possibilité de rationalisation. Alors sur quoi va déboucher cette crise ? Je n’en sais rien, et personne ne le sait, ni même Macron d’ailleurs.
S’agissant de l’aventure capétienne, c’est une énorme question ! Le problème c’est que dans l’immédiat il faut bien reconnaître que la solution monarchique, malgré son incarnation dans l’histoire, n’est pas populaire. Avec quand même quelques amendements, quand on voit l’attention des Français à l’égard de la mort de la Reine d’Angleterre et de l’avènement de Charles III, on s’aperçoit qu’il y a vraiment quelque chose qui surgit de l’histoire et qui n’est pas du tout du passé. On remarque aussi la permanence du régime monarchique en Europe, notamment en Espagne où on aurait pu penser qu’elle était faible. Malgré la défaillance de Juan Carlos, Felipe a repris les choses en main : la solidité de l’institution est quand même assez impressionnante.
Pour la France, deux remarques doivent être faites.
- Il faut tout d’abord créer une opinion monarchiste, ce qu’a essayé de faire Maurras dans une conjoncture qui n’était pas facile non plus, parce que la République s’est imposée contre la monarchie et il a fallu toute l’énergie de Maurras pour recréer un mouvement royaliste et imposer la question monarchiste à un moment où elle disparaissait. Et il l’a fait avec les armes de l’intelligence en montrant qu’il s’agissait non pas d’une nostalgie périmée mais, au contraire, d’une nécessité de salut public : redonner à la France une direction ferme pour assurer sa puissance, militaire notamment, ainsi que la sûreté de sa diplomatie dans un monde difficile. Maurras a fait cette démonstration et je crois que la poursuite de cette démonstration s’impose à un mouvement royaliste : les événements actuels peuvent, du reste, y aider.
- Ensuite, il y a la question du comment. C’est là où l’on peut interroger le passé, même le plus récent. Maurras se posait en son temps la question du coup de force que l’AF, on le lui a suffisamment reproché, n’a pas su mener à bien – le livre important d’Olivier Dard qui vient de paraître sur le 6 février 1934 montre que Pujo et Maurras n’ont pas cru à la révolution par la rue à ce moment-là, du fait l’AF n’avait pas les forces nécessaires. L’option de l’AF, à cette époque, c’était Chiappe. Si on reprend la problématique du coup de force, il y a un homme qui a fait deux coups de force dans sa vie et qui les a réussis ; il s’appelle Charles De Gaulle. Le 18 juin est un coup de force réussi, de même que le 13 mai 1958. La question est de savoir si un nouveau De Gaulle peut réaliser ce genre de performance… On ne le voit pas à l’horizon. L’existence d’un mouvement royaliste est de l’ordre de la culture politique, de la mémoire de la nation pour montrer que nous avons une histoire, qui est complètement fondée sur la continuité royale. Ce rappel et cette dialectique sont nécessaires à l’intelligence politique aujourd’hui. De ce point de vue-là, le mouvement royaliste s’impose, je dirais, comme facteur d’analyse et d’intelligence politique. Jusqu’où cela pourra aller ? Je n’en sais rien. En tout cas, il ne faut pas du tout renoncer, même si on ne voit pas à court ou moyen terme la possibilité d’une réalisation. Il faut absolument que cette école politique perdure, pour éclairer, pour comprendre les événements actuels et préparer éventuellement l’avenir ; pour signifier aussi que la France a une histoire et que cette histoire nous imprègne, qu’elle commande notre identité profonde et notre avenir. C’est la dimension civilisationnelle de la conjoncture actuelle : je pense au wokisme, au déboussolement général qui s’est, par exemple, manifesté dans la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques. Quand les drag-queens deviennent l’image symbolique d’une évolution sociale, les choses sont quand même graves. L’école politique devra, il me semble, considérer les choses sous l’angle civilisationnel et de la culture profonde auquel est liée la continuité monarchique.
Pour le reste, nous sommes dans la conjecture pure, on ne sait pas ce qui va se passer. Il y a des hypothèses, celle de Sainte-Marie pour le citer encore, qui a montré que la victoire à terme du Rassemblement national était certaine. Si la montée de celui-ci se confirme, on peut penser que Marine Le Pen peut gagner la prochaine élection présidentielle – lors des élections législatives, ils n’étaient manifestement pas encore prêts. C’est une perspective à considérer. Et si Marine Le Pen gagne, la division, telle qu’elle existe avec une gauche mélenchoniste très vindicative, peut déboucher sur une situation de guerre civile – je ne l’espère pas : on peut du moins craindre des grèves, des manifestations, des blocages, une situation d’extrême tension. Se posera alors l’hypothèse d’une sortie de crise, éventuellement de type gaullien. Il faut avoir tout cela en tête pour essayer de dénouer cet écheveau difficile.