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La politique naturelle – La question ouvrière et la démocratie sociale (1)

Nous vous proposons aujourd’hui le cinquième chapitre de La politique naturelle, ce texte incontournable pour les royalistes d’Action française. Néanmoins, la question étant largement développée, nous la diffuserons en deux fois…

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Par Charles Maurras

À peu près du même âge que notre Révolution, la grande industrie avait apporté, en naissant, un énorme contingent de biens nouveaux, mais aussi un déséquilibre qui n’a pas été vu tout de suite.

Les capitaines d’industrie qui présidèrent à l’essor sans précédent de toute l’immense machinerie que renouvelait la vapeur, étaient de bons esprits, hardis et pratiques ; le fait est qu’ils n’ont pas senti quel renouvellement moral devait accompagner le changement matériel obtenu. On dit qu’ils étaient sans entrailles. Ils avaient des entrailles comme vous et moi. L’explication doit être ailleurs.

La grande nouveauté de l’usine moderne, ce vaste rouage inhumain, comportait un ouvrier sans attaches, véritable nomade garé dans un désert d’hommes, avec un salaire qui, même élevé, variait trop, ne lui assurait aucune défense économique sérieuse, son sort « ne dépendant plus de son effort et de sa prévoyance, mais d’accidents dont il n’était pas maître » ; sa faculté de débattre les conditions de travail, limitée par les conditions de sa vie, le refus du travail, qu’il vînt de lui ou de l’employeur, pouvait le réduire à la mort sans phrase. Ni propriété, ni statut professionnel, point de garantie d’avenir. Aucune liberté réelle. Dès lors, quel que fût, à l’origine, son sentiment patriotique, ou son sentiment social, comment empêcher l’ouvrier de devenir agent et jouet des révolutions ?

Son premier réflexe de défense a été normal : il a eu recours à la procédure éternelle de l’homme. C’est en se serrant à ses semblables, en leur promettant de les soutenir s’ils le soutenaient, qu’il s’est appliqué à changer sa faiblesse en force ; il s’est associé. Par-là, il s’est efforcé de débattre avec les Puissants dont il avait besoin, mais qui avaient besoin de lui, les clauses d’un contrat plus libre et moins onéreux. Ce qu’il nomme d’un mot affreux la « solidarité de classe », dans son expression absolue, ne traduit pas la réalité, les mêmes classes pouvant avoir des intérêts très différents. Une certaine communauté était nécessaire à sa vie ; ce n’était pas la classe, mais la classe a paru correspondre à cette nécessité.

On ne revoit pas sans horreur ni pitié ce qui a été dit et fait contre les plus légitimes des associations, depuis ce décret Le Chapelier, rendu en 1791, qui nie en propres termes les « prétendus intérêts communs » du travail, au nom de la démocratie politique et de son individualisme contractuel !

Les conséquences furent amères.

Elles le furent d’autant plus que le législateur du XIXe siècle a mis plus de temps à reconnaître le besoin élémentaire du monde ouvrier. Le préjugé juridique a soutenu et couvert tout ce qu’il a pu y avoir d’inintelligence, d’esprit de lucre ou d’autoritarisme injustifié dans la résistance de certains employeurs.

Au fond, le mal a été accru et il a duré, parce que l’employeur, le législateur et l’ouvrier vivaient tous trois dans la même erreur politique ; tous trois estimaient être (ou devoir être) une Liberté et une Égalité ambulantes. Leurs droits se formulaient de manière identique. Naturellement, chacun les entendait à sa façon. Si le plus faible dénonçait quelque énorme inégalité réelle, le plus fort répondait que l’égalité serait au contraire satisfaite et parfaite, si chacun s’appliquait à faire exactement ce à quoi il s’engageait. Jamais les termes d’une question, à ce point viciés, ne l’ont plus éloignée de tout espoir de solution. Il ne pouvait sortir de là qu’une anarchie barbare, car ses causes venaient également d’en haut, d’en bas et du milieu, milieu constitué par les Palais officiels de la législature démocratique.

De ces Palais ont ruisselé les lois qui accentuèrent l’antagonisme et poussèrent à l’extrême une guerre plus que civile. Leur Gouvernement de Partis trouvait un auxiliaire à souhait dans la lutte des classes, ses factions, ses intrigues, ses trafics et ses sursauts toujours renaissants ; sur des points de France où n’existait aucune grande industrie, mais où il y avait des classes comme partout, on a vu le socialisme confectionné de pied en cap, dans un bureau de préfecture, pour le plaisir d’un candidat. Sur d’autres points, la démocratie sociale n’avait pas besoin de propulseurs officiels ; elle trouvait toutes ses facilités dans les lois et dans les absences de lois pour envahir et agiter les malheureux milieux ouvriers. M. de Roux a raconté comment la législation du travail a été entreprise à reculons par le Second Empire et continuée de même par la République. La manière dont fut réprouvée en 1884 l’idée de syndicats mixtes de patrons et d’ouvriers nous renseigne sur la pensée et l’arrière-pensée du législateur ! Ces unions nécessaires étaient encore reléguées « dans l’avenir » par M. Millerand en 1904, quand l’idée juste de la coopération générale commençait à se faire jour…

Il est légitime de dire que, dans la même période disgraciée, les chefs, les maîtres, les patrons tentaient souvent avec succès de beaux ouvrages de philanthropie et de charité. La série de leurs fondations généreuses a été couronnée, assez récemment, par ces caisses de sursalaire familial qui leur font le même honneur que les belles œuvres des jardins ouvriers à la collaboration bénévole de certains groupes religieux. Néanmoins, les grands patrons n’abordaient guère que l’accessoire de la vie ouvrière. Ils furent vainement adjurés, par La Tour du Pin et son école, de considérer l’essentiel.

Hélas ! Le pouvaient-ils ?

Ils avaient dans la tête tout ce qu’il fallait pour n’y rien comprendre. Le mouvement révolutionnaire du XVIIIe siècle n’avait pu établir en France aucun ordre viable par la faute de ses idées directrices. Ces idées lui ont survécu. Elles sont purement négatives. Qu’elles soient ingérées à dose massive ou infinitésimale, elles ont la seule vertu de critiquer et d’insurger, non de composer, non d’organiser. Il y eut un ancien régime, il n’y a pas de régime nouveau, il n’y a qu’un état d’esprit tendant à empêcher ce régime de naître. La Tour du Pin avait affaire à un obstacle mental et moral plus fort que la passion et même que l’intérêt.

Pauvre bourgeoisie française ! Sans être toute radicale, comme son législateur orthodoxe, ni socialiste, comme l’ouvrier syndiqué, cette bourgeoisie professe et pratique une dilution du démocratisme révolutionnaire. S’ils en avaient la tête libre, les employeurs ne se tiendraient pas à des œuvres de bienfaisance.

Ils auraient certes engagé et poursuivi, dans de meilleures conditions, leur propre organisation syndicale, mais ces groupes de défense une fois établis, leur situation était assez claire pour leur révéler qu’il n’y avait là que des formations de combat ; pour la paix sociale, il fallait les compléter par une initiative puissante qui rompît avec les étroitesses de l’individualisme, en surmontât les timidités et rénovât les hiérarchies de l’accord.

Était-il difficile de comprendre la nécessité d’une association générale qui réunît tous les facteurs humains de la production ? Non certes pour nier telles puissantes divergences d’intérêt, traduites en querelles farouches ! Mais pour prendre, de haut, une vue nette et claire de convergences non moins fortes créées par l’immense intérêt commun — l’objet de leur travail —, le principe de leur vie à tous !

Car, de l’humble, fût-il très humble, au plus puissant, fût-il très puissant, cette communauté des intérêts peut et doit modérer les contradictions et remettre les oppositions à leur place, qui est subordonnée. L’ouvrier du Fer croit avoir un intérêt absolu à imposer le plus haut salaire possible et le patron du Fer à le refouler aussi bas que possible, mais tous deux ont le même intérêt, et plus fort, bien plus fort, à ce que leur partie commune, le travail du Fer, subsiste et qu’il soit florissant.

D’autant plus que l’économie industrielle ne joue point dans le vaste cadre de la planète ! La planète n’est pas « un » atelier, comme l’ont prétendu les Say. Le cadre réel de l’économie, c’est la Nation. Si telle grève ouvrière a fait annuler les commandes étrangères reçues par les patrons français, ces commandes sont transférées à des industries d’outre-Manche ou d’outre-Rhin, et nos patrons ne sont pas seuls à en souffrir ; le travail qu’ils ont ainsi perdu l’a été aussi pour nos ouvriers. Les uns sont privés de bénéfices, les autres de salaires. Si la grève de nos mines oblige à importer du charbon, salaires et bénéfices, perdus chez nous, sont regagnés à l’Étranger sur nous. Bref, ouvriers français, patrons français, nous perdons, et gagnons ensemble ; toute guerre des syndicats patronaux et ouvriers rencontre sa limite nécessaire dans l’intelligence de leur sort commun, soumis au commun dénominateur national. Que la discipline en soit méconnue ou masquée, cela peut être l’effet accidentel des événements, des systèmes et de leurs conflits ; il n’en est pas moins prodigieux que, ni du premier étage patronal, ni du rez-de-chaussée ouvrier, personne n’ait élevé, avec le ton et l’éclat de voix qu’il fallait, un cri naturel de pitié, de salut et de paix.

Comment l’un ou l’autre des intéressés ou chacun d’eux n’a-t-il point dit, redit :

— Si nous devons lutter entre nous, ne luttons que jusqu’au point où la lutte deviendrait mortelle, où il devient vital de suspendre les hostilités pour nous aider et nous réunir. En admettant que nos unions de classe aient eu ou gardent leur raison d’être, complétons-les par des unions de métier. À ces vastes classements horizontaux des patrons, des techniciens, des employés et des ouvriers, comparables aux bandes de la latitude terrestre, ajoutons des classements verticaux pour communiquer entre nous, pour organiser nos contacts continus, pour régler ces échanges de vues normales que réclament la nature et l’objet de nos industries ; fuseaux de longitude sociale trouant et traversant les épaisses couches stratifiées de l’antipathie et de l’ignorance mutuelle pour les communs labeurs de l’économie du pays. Nos divisions conduisent à la ruine totale de la Maison française. Il faut associer ses forces qui convergent. Associons sans exception depuis les plus simples manœuvres, les suprêmes grands chefs, leurs collaborateurs de tous rangs, et, dans la vérité de la vie nationale, assurons-nous les occasions et les moyens de débattre l’ensemble et le détail de nos intérêts ! Cet organisme latéral doit devenir, soit aisément, soit difficilement, mais très sûrement, fraternel. Pourquoi pas ? L’Union du Syndicat est étroite et directe, elle le restera. Il peut y avoir une autre union large et durable aussi, comparable à ces unions territoriales qui rassemblent pauvres et riches, dirigeants et dirigés, dans le corps et le cœur d’une même patrie. Ce sera la Corporation.

« Cette perspective vaut bien un armistice intérieur. Admettons qu’il n’y ait d’abord qu’une trêve, et courte. Soit ! Après avoir traité une fois, on traiterait deux et trois fois. Puis on viendrait à causer de bonne amitié et la guerre impie cesserait d’être endémique, systématique. Les conditions de paix sociale seraient discernables. Entre membres du même corps, rien ne prouve que les guerres seules soient naturelles. Les entraides le sont aussi. Pourquoi ceux qui peuvent travailler ensemble pour extraire la houille ou souffler des bouteilles ne pourraient-ils pas s’appliquer ensemble à régler leurs difficultés ? »

« Le grand mal de l’ouvrier moderne tient au manque de sécurité ? Il n’a rien qui lui soit propre, qui assure son avenir ? Des types spéciaux de propriétés peuvent être réalisés pour lui. La propriété morale de sa profession, analogue à celle du grade pour l’officier ; la propriété patrimoniale commune déjà existante (trop peu) dans le Syndicat, et qui peut être étendue à la Corporation, où, par efforts bilatéraux conjugués, elle servira de symbole et de lien au concours permanent de tous les facteurs moraux de la même industrie. Auprès du bien syndical et du bien corporatif devront encore naître des propriétés de famille, afin d’ajouter plus de fixité et de durée à un ordre consolidé. Ainsi disparaîtra le prolétariat. Ainsi, le travailleur cessera de flotter dans un milieu étranger. Il sera le citoyen, le bourgeois d’une Cité. Une bourgeoisie ouvrière peut et doit continuer le développement des vieilles bourgeoisies paysannes, industrielles, commerciales et incorporer l’ouvrier à la société, selon le vœu d’Auguste Comte. Encore une fois, pourquoi pas ?… Tout cela s’est vu. Nous ne faisons pas d’hypothèses dans les espaces. Les hommes ont souvent tenté de vivre ainsi, non sans réussites, aussi fameuses que variées. Leur Histoire exprime leur Nature ; elle n’est point défavorable à ce concordat empirique et, dans le cas nouveau, la science et la puissance de l’homme moderne remettent dans ses mains des instruments d’une efficacité nouvelle, pour créer des états de bien-être et de vie facile plus complets, plus étendus et meilleurs qu’autrefois. Pourquoi ne pas reprendre en le renouvelant ce qui a réussi ? Cela ne peut pas échouer, si l’on s’y donne, encore une fois, tête et cœur ! »

Pourquoi ? Et comment cet appel n’a-t-il pas été lancé ? Ou, quand il l’a été, comment n’a-t-il pas été entendu et n’a-t-il pu franchir les limites de la petite province occupée par le groupe avancé des pionniers de La Tour du Pin ? Qu’est-ce qui empêcha patrons et ouvriers de recueillir ces voix perdues et de leur faire un juste écho ?

Personne, semble-t-il, ne pouvait refuser son attention aux départs de cette espérance ; comment ou pourquoi y répugnait-on ? S’il y avait des négociations délicates à conduire, qui pouvait hésiter à les ouvrir ?

Qui pouvait en rejeter, en principe, l’examen ? Qui ? La Démocratie.

Elle seule, mais son action est présente partout. La démocratie occupe l’État législateur par son gouvernement divisé et diviseur. La démocratie travaille, menace, obsède et paralyse son patronat. La démocratie excite et agite son prolétariat.

Face au programme de réformes qu’on vient de lire et qui tend à la paix, la démocratie a rédigé le sien, qui tend à la guerre. Maîtresse d’une vaste portion du monde ouvrier, elle y a pour ainsi dire soumissionné une entreprise du type guerrier, tel que le postule sa pensée la plus générale : soumettre toute chose à l’établissement de l’égalité, et pour égaliser, désorganiser.

Le Nombre démocratique vise à construire une société formée d’unités égales, qui ne peuvent pas exister. Le Nombre démocratique vise ainsi à détruire la société fondée sur des groupes inégaux seuls capables de vie et qui existent seuls.

La démocratie est guerrière. Elle fait battre les partis politiques, en émettant la paradoxale promesse de tirer un état stable et paisible de la bataille indéfinie, que prescrivent sa Constitution et sa Loi ; elle prétend ordonner et organiser le travail en allumant entre les divers facteurs du travail un système régulier d’inextinguibles inimitiés.

Mais, un jour ou l’autre, la démocratie sociale fait comme la démocratie politique ; elle finit par avouer qu’il ne s’agit ni de paix ni de traité. Elle fera la guerre jusqu’à ce que la guerre cesse faute de combattants, le combattant non prolétaire étant éliminé par une dictature du prolétariat qui ravisse à tout ce qui n’est pas prolétaire le pouvoir politique, la puissance économique et, sans doute, comme en Russie, la vie elle-même, tous les biens du défunt étant alors destinés à une répartition présumée égale par la mise en commun des moyens de leur production.

Cette mise en commun vaudra ce qu’elle vaudra, car ou bien l’outil tombera des mains de l’ouvrier, ou, comme en Russie encore, il produira des biens variables et inégaux, selon sa force, son application, son habileté, son savoir. Le « droit » égal ne tiendra pas longtemps devant le « fait » de l’extrême, de l’infinie inégalité physique et morale des coopérants-copartageants. On peut parler avec le sourire de la très improbable durée des effets de cette improbable répartition égalitaire. Hors de Russie, où l’épreuve est faite, ce n’est qu’un avenir posé sur les genoux des Dieux ! Dans la démocratie sociale, l’actuel, le vivant, n’est pas là. Sa vie consiste essentiellement dans sa passion, qui n’a rien de social ni d’économique, passion toute politique et morale, ou, si l’on préfère, impolitique et immorale car elle pousse violemment nation et civilisation à leur chute finale, par une « lutte finale » sans merci, — sa passion de l’égalité.

Pour entretenir cette lutte, les politiciens de la démocratie sociale, habillés en docteurs, se sont appliqués à la justifier. Le temps a beaucoup dégradé leurs premiers arguments. Il n’est plus possible de soutenir, comme il y a soixante-dix ans, que les riches deviennent toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres. Le cours des choses nous a valu d’autres malheurs ; non celui-là. Dans l’enrichissement du monde, une épargne généralisée, les diffusions de la richesse mobilière, la fiscalité au service des non possédants et au détriment des autres, la division et la spoliation des héritages, l’avilissement de la propriété rurale, ont dessiné une ou plusieurs évolutions toutes différentes de celle qu’annonçait la fausse « loi d’airain ». Sauf des crises de chômage dues à des accidents locaux et temporaires, presque tous politiques, on vit en travaillant, et nul n’est réduit à l’extrémité quarante-huiteuse de mourir en combattant.

On a vu décliner et faiblir de même un autre illustre moyen de justifier de sanglantes prédications. Nulle loi de l’histoire universelle ne dévoue les classes à se combattre incessamment. Cela s’est vu. Parfois. Souvent. À certaines époques. En certains lieux comptés, déterminés. Le combat des riches et des pauvres est un épisode final des régimes démocratiques. Mais ce régime n’est ni perpétuel, ni universel, le conflit des classes n’est pas assez étendu, ni assez important pour expliquer au présent, au passé, au futur, toute la marche du genre humain, ni même pour donner la clef de ses principales démarches. Cette loi est imaginaire. Elle est fausse. Et elle a empêché de distinguer la vraie. Car, tout autrement grave et étendu a été l’autre antagonisme tout différent, qui se produit de façon immanente, non pas de classe à classe, mais à l’intérieur d’une classe — toujours la même —, celle qui dirige ou domine ; aristocratie ou bourgeoisie.

Ici ou là, peuple maigre, peuple gras peuvent se chamailler un temps. Partout le peuple gras s’est fait la guerre à lui-même. Partout et dans tous les temps, il suffit que s’élèvent de grandes maisons, les voilà aux prises ; l’univers des oligarchies est une Vérone éternelle que ses Montaigus et ses Capulets se disputent avec une constante fureur. On n’y voit de paix que par la force, et qui vient du dehors, sauf dans les circonstances extrêmement rares qui ont permis la naissance des Patriciats impériaux de l’histoire. Qu’elles soient de l’Or, du Sang ou de l’Intelligence, les élites ont cette propriété de se déchirer jusqu’à ce que mort s’ensuive. La lutte des classes ne saurait expliquer la continuelle bataille intestine que se livre cette classe. C’est au contraire sa propre bataille, la bataille interne des patriciats, qui suscite l’action des plèbes contre elle-même ; ces soulèvements sont presque toujours conduits par des patriciens déserteurs de leur classe et animés contre leurs pairs des rancunes féroces que leur guerre de frères a déjà semées ou stimulées. Les Gracques étaient la fleur du patriciat de Rome. Le dernier dictateur populaire, Jules César, descendait d’Iule, d’Énée, de Vénus. Cela s’était montré dans Clisthène et dans Périclès. Cela se retrouve dans tous nos Rois des Halles, dans tous nos Mirabeau. Cela se continue sous nos yeux dans tout ce mauvais petit peuple de ploutocrates démagogues, d’avocaillons radicaux, socialistes et communistes, nés de bourgeois et de bourgeoises que leurs convoitises et leurs jalousies de bourgeois ont mobilisés contre leur bourgeoisie. Ainsi considérées, les luttes des classes paraissent beaucoup moins spontanées qu’elles n’en ont l’air ; l’initiative leur vient d’ailleurs et elle accuse un fréquent caractère d’artifice politique très pur…

(…)

La suite mercredi 6 novembre 2024.