par François de Troy
Avec l’actualité des élections américaines, me revient un fil de pensée que je souhaite partager ici.
Le 15 septembre dernier, un homme tentait une nouvelle fois d’assassiner Donald Trump, réitération d’une tentative presque achevée menée deux mois plus tôt, le 13 juillet 2024. Au-delà du battage médiatique, cette récente seconde tentative m’a rappelé des discussions et réflexions apparues lors de la première.
Le constat, à ce moment-là, fut simple et sans appel. Donald Trump est devenu un héros américain. Mieux encore, pour ses partisans, il est un miraculé ! Un héros non seulement à échelle humaine, mais aussi un héros choisi par Dieu qui l’a épargné de cette balle qui l’a pourtant touché.
Ce qui m’intriguait, cependant, ce n’était pas tant ces déclarations sur la figure désormais héroïque du président-candidat, mais plutôt les réactions qu’elles avaient suscitées, et plus précisément l’explication qui leur fut donnée en France. Partout, à droite comme à gauche, je vis une explication faire consensus : Trump est vu comme un héros parce que les États-Unis sont un pays jeune et relativement acculturé, alors ils se cherchent encore des héros. La suite logique de cette proposition étant l’idée que si nous, Européens, vieux peuple sage et plein d’Histoire, nous n’avons plus de héros, c’est parce que nous en avons déjà trop et que nous sommes désabusés.
Je trouve, pour ma part, que cette explication est non seulement fausse en soi, mais qu’elle est aussi une tentative médiocre à laquelle fait appel l’esprit humain pour se rassurer et se mentir à lui-même. La réalité me semble plus amère et moins flatteuse.
La réalité étant que la France, depuis de nombreuses années, semble ne pas être capable de sécréter de héros et, a fortiori, de les mener au-devant de la scène politique, comme le font de nombreux autres peuples. Et ce n’est pas le fait d’une supériorité morale, politique ou historique, qui nous élève nous, ô Européens, au-dessus de la basse condition humaine qui pousse tout individu normalement constitué à se projeter vers un idéal qui le dépasse. Si tel était le cas, les films de super-héros auraient tous échoué à s’imposer sur le marché français, tout comme les mangas japonais, et notre pays ne serait pas, comme on aime à le rappeler si souvent, le premier consommateur d’antidépresseurs mondial.
C’est ainsi, par comparaison avec le poème d’Homère, que j’intitule cet état de fait l’Odyssée post-moderne. Une triste période pendant laquelle les Ulysse de notre belle nation semblent bien s’être perdus en mer. Au détail près que cette Odyssée-ci commence, par sa longévité qui dépasse largement les dix ans, à prendre des allures de traversée biblique du désert.
Pour y réfléchir, commençons par définir ce qu’est le héros. La première des choses, c’est que le héros se définit par son caractère exceptionnel, une vertu mentale, morale ou physique, qui le distingue de la masse, du tout-venant. La deuxième chose, qui découle de la première, c’est que le héros ne peut pas exister sans cette masse, car le héros ne peut obtenir son statut de héros que parce que la masse s’accorde pour le définir comme tel. Autrement dit, sans un peuple pour l’acclamer, même Alexandre le Grand n’aurait rien été de plus qu’un type bizarre perdu au milieu de l’Iran. Le troisième critère qui permet de définir un héros, c’est son adversaire. Le héros n’en est un que parce qu’il se bat pour une cause, plus ou moins incarnée dans une lutte entre deux individus, deux groupes d’individus ou deux idéaux. De fait, un héros sans réel adversaire, ce n’est pas un héros, c’est Don Quichotte. Le héros est d’autant plus héroïque, d’ailleurs, à mesure que sa propre cause est en position de faiblesse.
Pour donner corps à cette définition, prenons un exemple que tous connaîtront, celui de sainte Jeanne d’Arc. Elle se distingue du reste de la population, notamment des chevaliers, parce qu’elle est une femme – sans être spécifiquement une vertu, c’est au moins un fait qui la démarque –, mais plus encore, et là est la vertu, c’est une femme qui porte les armes avec plus de courage, de conviction que n’importe quel homme. Qui plus est, elle a tant de foi et d’humilité qu’elle atteint le statut de sainte. Ses vertus, elle les met au service d’un peuple, le peuple français, face à la redoutable couronne anglaise, qui a déjà conquis tant de parts du territoire ; conquête que ses propres actions ont indubitablement contrée.
Cette définition et cet exemple, bien que sommaires, nous permettent de mettre à l’épreuve deux hypothèses : la première qui voudrait que le peuple français n’ait plus besoin de héros, la seconde voulant que la France ne soit plus capable de produire de héros.
Pour ce qui est de la première hypothèse, et en mettant de côté les théories farfelues de l’homme moderne qui n’aurait pas les mêmes besoins anthropologiques que l’homme d’autrefois, elle serait vraie à la condition que la société française soit suffisamment stable et pacifiée pour qu’aucune partie de la population ne ressente le besoin d’avoir de héros qui défendent ses intérêts. Une société française dans laquelle il n’y aurait pas de grands adversaires qui la menacent, pas de crises qui l’accablent, ni aucun affrontement de blocs politiques qui déchire la société. Or, rien qu’en lisant ces lignes, nous ne pouvons que penser à une bonne demi-douzaine d’exemples qui s’appliqueraient à l’une ou l’autre de ces catégories – parmi lesquels, probablement, l’Union européenne, la crise migratoire, les crises économiques, ou la tripartition de la vie politique française en trois grands blocs de droite, de gauche et du centre.
Ainsi, la France aurait grand besoin de héros, mais ils sont absents. Où sont donc passés nos chevaliers Bayard, Albert Sévérin Roche, Saint-Louis et Chateaubriand qui défendirent la France, par la plume ou par l’épée. Sommes-nous donc arrivés à un point où nous devenons incapables, en tant que nation, de faire naître des héros, des individus hors-norme dignes de louanges ? Je ne le pense pas. Le peuple français regorge encore d’intellectuels, d’artistes, de travailleurs et même de combattants qui surpassent la norme.
De fait, l’actualité française compte nombre d’individus au comportement héroïque, allant de Christophe Dettinger, ancien boxeur devenu héros des gilets jaunes, à Henri d’Anselme, qui a défendu les enfants attaqués à Annecy. Un exemple, cependant, me semble particulièrement parlant, et certainement qu’il parlera aussi à une bonne part de notre lectorat, celui de Pierre-Guillaume Mercadal.
L’agriculteur coche en effet les trois cases évoquées précédemment. L’homme est exceptionnel, d’abord par sa stature – les géants de deux mètres, ça ne court pas les rues –, mais aussi par son mental, au vu de la résilience dont il a fait preuve au cours des dernières années, face à la corruption et à la malveillance d’un État français qui s’acharne à défendre de véritables pourritures par simple idéologie du même. Et pourtant, malgré les efforts de cette République de la petitesse, le peuple français n’en démord pas et continue de soutenir cet agriculteur qui est incontestablement devenu un symbole non seulement pour l’ensemble du monde paysan, mais aussi pour tous ceux qui sont attachés un tant soit peu au terroir.
Cet exemple-ci révèle l’ignominie de l’Odyssée que nous vivons. Si les héros contemporains du peuple français ne sont pas portés au-devant de la scène politique, ce n’est pas parce qu’ils sont perdus en mer, mais bien plutôt parce que la République elle-même s’occupe d’abattre les héros dès qu’ils émergent.
Ainsi, la seule chose que la République concèdera au peuple français ce sont des martyrs, dusse-t-elle les clouer elle-même sur la croix – ce qui est ironique, pour une République laïque. Seulement, la Fille aînée de l’Église compte déjà bien assez de martyrs. Arnaud Beltrame, Lola, Samuel Paty, Philippe Monguillot, Thomas, Philippine, Nicolas… la liste est longue, pourtant nous connaissons tous les noms, et tandis que la tristesse du peuple français se change en colère, alors que ce qui est appelé « l’extrême-droite » constitue désormais la plus importante force politique du pays en quantité, le bloc central, héritier des bourgeois de la Révolution, fait mine de ne pas entendre et persiste dans ses misérables tentatives de maintenir une caste molle et moribonde à la tête de l’État, déterminée à abattre toute forme de vertu qui pourrait la menacer.
Deux choix s’offraient à ces zombis politiques : s’en aller dignement ou être balayés par l’Histoire. Ils ont fait leur choix, aidons-les à le tenir jusqu’au bout. Français, soutenons nos héros, ceux qui ont encore le courage de défendre les plus affaiblis de nos frères et balayons les enfants dégénérés de la Gueuse.