par Antoine de Lacoste
Pauvre peuple libanais ! C’est encore lui qui va payer le prix de l’impuissance de son État, du cynisme de la politique israélienne et de la puissance du Hezbollah.
Le Liban n’a plus d’État depuis plusieurs décennies. En a-t-il eu un d’ailleurs au cours de sa courte histoire commencée en 1943 avec la fin du mandat de la France ? Un peu, mais si timide. En faisant le choix du communautarisme et de la répartition des pouvoirs entre chrétiens et musulmans sunnites, la classe politique de l’époque a involontairement enfermé le pays du cèdre (symbole de force pourtant) dans une impasse tragique.
Si les trente premières années purent faire illusion, 1975 marqua le début de la fin avec le déclenchement d’une guerre civile de quinze ans qui ruina le pays. Il ne s’en est toujours pas remis. C’est la question palestinienne qui fut la cause de ce premier et décisif effondrement. L’Organisation de libération de la Palestine avait voulu faire du Liban une base arrière de laquelle elle pourrait porter la guerre en Israël. C’est le contraire qui se produisit avec l’attaque de Tsahal en 1982. L’armée israélienne, profitant du chaos né de la guerre civile, ravagea le sud du pays et fit ensuite le siège de Beyrouth pour détruire l’OLP. L’organisation de Yasser Arafat fut vaincue puis évacuée vers l’Égypte par des bateaux français.
Sur les ruines de la guerre civile, la communauté musulmane chiite émergea par le biais de deux milices, Amal et le Hezbollah. À l’issue de la guerre, les groupes armés durent rendre leur arsenal. Tous le firent sauf le Hezbollah. Et dire que le général Aoun a fait attaquer par l’armée les valeureuses Forces libanaises chrétiennes pour les obliger à rendre leurs armes tandis qu’il laissait le Hezbollah conserver les siennes !
Succursale de l’Iran, armé et financé par la grande puissance chiite, le Hezbollah devint un État dans l’État, ou plutôt un État au-dessus de l’absence d’État. Politiciens chrétiens et sunnites laissèrent faire, chacun touchant sa part du gâteau dans un vaste pacte de corruption.
La folle doctrine des néo-conservateurs américains acheva le travail. Avec l’invasion de l’Irak en 2003, les théoriciens du chaos concrétisèrent leurs rêves. Dick Cheney, Donald Rumsfeld, Paul Wolfowitz profitèrent de l’insuffisance intellectuelle de George Bush junior pour le convaincre de chasser Sadam Hussein du pouvoir (ce que n’avait pas fait son père, plus avisé). La secrétaire d’État Condoleezza Rice osa parler de « chaos constructif ». L’Irak est toujours en plein chaos et l’on ne voit pas très bien ce qu’il y a eu de constructif dans cette invasion criminelle.
Israël ne fait qu’appliquer les mêmes principes sachant que, malgré de timides et hypocrites appels à la « retenue », il bénéficiera toujours d’un massif soutien américain. Les Pères pèlerins, fondateurs de l’Amérique, ont bâti cette doctrine de seconde Terre promise qui engendra l’union indéfectible, quasi-charnelle, entre Israël et l’Amérique.
Si le néo-conservatisme a moins le vent en poupe aux États-Unis, grâce notamment à Donald Trump mais surtout aux catastrophes engendrées par le bellicisme obsessionnel de ses adeptes, sa stratégie du chaos est parfaitement appliquée par Benyamin Netanyahou, assuré de rester au pouvoir et d’éviter la prison pour corruption tant que la guerre dure.
L’armée israélienne a donc pu raser Gaza en toute impunité, tuant infiniment plus de civils que de combattants du Hamas. L’Amérique l’a abondamment ravitaillée en armes et missiles tout en envoyant de l’aide humanitaire à la population gazaouie. À ce point de cynisme…
C’est désormais au Liban qu’Israël a décidé de porter le fer, et pas seulement dans le sud du pays puisque Beyrouth est abondamment bombardée. Grâce à son excellent service de renseignement, l’armée israélienne a décapité le Hezbollah. Il aura du mal à s’en remettre mais dispose toujours de dizaines de milliers de combattants.
Israël sème donc le chaos sans se préoccuper de la suite. C’est un bon élève.