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Pas de pays sans paysans

Entretien d’Olivier Giot et Athos (pour le Bien Commun) avec Pierre-Guillaume Mercadal

Olivier Giot & Athos (OGA) : Vous avez récemment suscité une vive attention en raison du drame lié à l’abattage de l’intégralité de votre cheptel porcin. Pourriez- vous, dans un premier temps, revenir sur ces événements et nous faire part de l’état actuel de la situation ?

Pierre-Guillaume Mercadal (PGM) : Ça a été moralement très éprouvant. Pour être très honnête avec vous, et sans faire dans la sensiblerie, il m’a fallu plus d’un mois après l’abattage pour être en mesure de remettre les pieds là où mes animaux avaient été tués. Et puis après, on s’est lancés de façon très rapide dans les travaux. Enfin, nous avons plutôt continué les travaux et lancé de nouveaux aménagements pour pouvoir remettre rapidement des animaux.

Actuellement, il reste encore quelques petits travaux à faire, mais les plus importants ont été réalisés ; par exemple, nous avons construit une grande dalle de béton, un petit bâtiment de capture, et nous avons fait un parc supplémentaire de 7 hectares ½. Aujourd’hui, on a remis des animaux et dans les jours ou semaines qui viennent, je vais pouvoir rentrer en production et, au printemps, si tout va bien, nous serons à la vente.

OGA : En tant que symbole d’un pays réel qui refuse de mourir, vous reprenez le « blocage » contre l’état jacobin macronniste qui, après la crise de l’an dernier, vous avait pourtant fait mille promesses. Avez-vous constaté des améliorations concernant cette tyrannie administrative, sociale et fiscale qui accable notre agriculture ?

PGM : Concernant la tyrannie administrative, la réponse est un non absolu, puisqu’aucune des annonces de Gabriel Attal n’a été suivie d’effets. Les fonds promis n’ont pas été débloqués, sachant que c’était ridiculement insuffisant… ils n’ont pas d’argent pour sauver l’agriculture, mais ils ont des milliards pour l’Ukraine ; c’est tout un concept.

Au plan administratif c’est une catastrophe. Aujourd’hui vous avez un fonctionnaire pour onze paysans. C’est complètement délirant. Et l’agriculture en France, aujourd’hui, ce sont 200 000 normes.

OGA : Emmanuel Macron affiche une certaine assurance en déclarant que la France ne signera pas le traité du Mercosur tout en étant pleinement conscient qu’il ne pourra s’y opposer. Au-delà d’une nouvelle humiliation, en quoi ce traité de libre-échange constitue-t-il un désastre pour l’agriculture française ?

PGM : Tout simplement parce qu’en France il y a les normes européennes auxquelles les normes françaises, menées par les écolos, viennent s’ajouter. Ce qui fait, par exemple, que la concurrence avec l’Espagne est impossible : ils ont une main-d’œuvre qu’ils arrivent à payer deux fois moins cher que la nôtre et, en plus de cela, ils utilisent des produits interdits chez nous depuis cinquante ans. Je vais faire une digression pour que vous compreniez bien la chose. En France, la production de poivrons est catastrophique parce que c’est un légume très compliqué à maintenir : une fois qu’il est mûr, il faut aller vite. Eh bien, le poivron israélien ou espagnol en supermarché vieillit très bien… parce qu’il est traité dans des proportions indécentes… il est même ciré en fait !

Avec le Mercosur, c’est ça mais puissance 1000 puisqu’il n’y a plus rien d’interdit. On est sur des animaux aux hormones, le tout OGM, c’est l’autoroute du cancer pour le consommateur. Et des pratiques agriculturales absolument scandaleuses – sans parler du bilan carbone. On nous rétorque qu’il y aura des clauses miroir. Mais il faut savoir que la production qui va arriver d’Amérique du Sud c’est comme avec l’Ukraine. Ce ne sont pas des petits paysans brésiliens ou argentins. Ce sont des consortiums français, allemands, américains qui investissent à coup de centaines de millions d’euros, qui ont des propriétés s’étendant sur 50 à 100 000 hectares sur lesquelles ils se déplacent en hélico et sans possibilité de contrôle. Imaginer envoyer un contrôleur là-bas avec le niveau de corruption et d’insécurité… ce n’est pas sérieux. Les clauses miroirs, ça ne fonctionne déjà pas dans les pays de l’Est, alors comment voulez-vous que ça fonctionne en Amérique du Sud !

OGA : La République continue de démanteler la France, laquelle perd progressivement sa souveraineté économique, sanitaire et désormais agricole. Comment pourrait-on rétablir une véritable préférence française et serait-il nécessaire d’instaurer une exception agricole en France ?

PGM : L’exception agriculturelle française est, pour moi, la seule solution, avec une sortie de l’agriculture de l’OMC. Ce qui est tout à fait faisable puisqu’on y arrive avec la culture et que cela n’empêche pas nos films, si tant est qu’ils soient bons, d’être exportés. C’est pareil pour le champagne. Donc il n’y a pas de débat en fait : le champagne continuera à se vendre, le cognac aussi, nos fromages et nos grands crus également. Cela ne nous empêche pas d’importer ce qui nous manque et d’exporter nos surplus sans aucun souci. Parce qu’on a une agriculture très performante. Les deux seuls qui nous tiennent la dragée haute ce sont l’Autriche et la Suisse.

OGA : Cette idéologie qui prône exclusivement le libre-échange semble toutefois en fin de cycle. Les scandales économiques, alimentaires, sanitaires et environnementaux incitent un nombre croissant de personnes à réfléchir au bien commun et aux circuits courts. Comment les agriculteurs peuvent-ils retrouver leurs libertés essentielles à la bonne conduite de leur activité et à la survie de nos territoires et de notre pays ? Il n’y a pas de pays sans paysans…

PGM : Pour moi, cela se joue là aussi sur des réformes profondes que l’État doit faire et qu’on réclame, en particulier favoriser les installations et les exploitations à taille humaine. Les aides qu’on donne aux paysans, en fait, les empêchent juste de mourir. Le problème de l’alimentation c’est le prix. En vingt ans, les prix ont été multipliés par dix pour nombre de denrées, notamment dans les supermarchés. Mais, en même temps, les prix n’ont pas bougé pour les paysans ou presque (fois 1,03… – en particulier pour la viande) – alors que les coûts de production ont été multipliés par vingt. Dans le même temps, les prix en supermarché ont explosé parce qu’ils augmentent leurs marges.

À côté de ça, vous avez des consommateurs qui, pour avoir le dernier iPhone ou partir en vacances, serrent le budget bouffe. Alors que dans toute l’histoire de l’humanité, jusqu’à la moitié du XXe siècle, 50% du budget d’une famille était consacré à l’alimentation. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, ce n’est pas ce que les gens veulent. Il y a donc un vrai travail d’éducation à faire parce que le 1er médicament c’est ce que vous mangez.

Après, pour les paysans, les circuits courts, ça veut dire revenir à des exploitations à taille humaine, des exploitations qu’ils peuvent transmettre à leurs enfants. Tous ceux qui ont joué le jeu de la grande distribution et de couler leur voisin pour toujours plus s’agrandir ne peuvent plus les transmettre à leurs enfants parce que ça pèse trop lourd. Donc retour à des exploitations à taille humaine.

En sortant de l’OMC, on favoriserait les installations de paysans qui produisent sur 40, 50 ou 60 hectares et qui peuvent faire de la polyculture et de l’élevage. Tout ce qui a fait la France en fait. Des gens qui veulent s’installer comme agriculteurs il y en a, mais rien n’est fait pour favoriser les installations et, dans leur dernier projet de loi agricole, ils voulaient favoriser l’achat de terres agricoles et le rachat d’exploitations par les grands groupes. Et on ne fait rien pour que les jeunes s’installent… Les clés, ce sont des exploitations qui ne soient pas industrielles et un meilleur maillage sur le terrain avec l’installation de davantage de paysans.

Pour les circuits courts, c’est un autre volet très ambitieux qui consisterait en une refonte complète de la grande distribution et du système d’acquisition de la nourriture en France. Il y a vraiment quelque chose d’extraordinaire à réaliser parce que quand vous avez acheté un produit à 4 €, si le paysan a touché dessus 80 centimes c’est le bout du monde ; c’est compliqué à justifier.

OGA : Que pensez-vous du vote de la motion de censure et quelles seront ses conséquences immédiates pour le monde agricole en général ?

PGM : Je voudrais dire un mot d’Arnaud Rousseau (président de la FNSEA), en fait qui est macronniste, qui a toujours appelé à voter Macron (quand Macron était chez Rothschild, c’était son banquier d’affaire…). Mais les paysans ne votent pas Macron : ils votent très à droite ou alors LFI. Et la FNSEA qui est en cogestion avec l’État français essaie de faire croire des trucs alors que ce sont eux les grands coupables. Pour votre gouverne, Arnaud Rousseau contourne la loi ÉGALIM avec ses structures (il s’en est vanté sur BFM TV). Et là, avec le Mercosur, il vient d’investir très massivement au Brésil (à travers le groupe Avril, NDLR), mais c’est sûrement un hasard…

Pour en revenir à votre question, la motion de censure ne change rien : on allait continuer à faire la guerre de la même façon. Barnier ne nous a rien donné, rien qui ne corresponde à ce qu’on lui demande. Ils procèdent toujours de la même manière : ils jettent quelques poignées de miettes pour en intéresser certains, diviser les rangs et affaiblir les mouvements. Mais Barnier, européiste devant l’éternel, se moquait éperdument de la cause paysanne : la PLOA était vide, les promesses gouvernementales c’étaient du vent !