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Les Français dans le monde berbère jusqu’à Rome

Par Pierre Gourinard

À l’heure actuelle, après les remous de la décolonisation, certains rebelles d’Afrique du Nord tentent de faire revivre l’« Amazighté ». Telles étaient les constatations de Monsieur Péroncel-Hugoz, commentant une publication d’une éditrice italienne francophone de Casablanca : Ptolémée de Maurétanie, le dernier pharaon.

L’histoire des Berbères permet-elle de comprendre les raisons de ce renouveau, qu’il n’est pas encore possible d’évaluer ?

Les proto-Berbères

Les Berbères avaient reçu des Grecs le nom de Libyens. Pour les Grecs, le monde libyque prenait fin vers le Sud, là où débutait le pays des Noirs ou Ethiopiens. Les historiens leur donnent le nom de Libyco-Berbères. Les Berbères, ou, plus exactement, les Berbérophones, se désignent sous le nom d’Imazighen (Amazigh au singulier) qui signifie « Hommes libres ».

Les ancêtres des actuels Berbères sont arrivés en Afrique du Nord au paléolithique. Leur industrie connue sous le nom de Capsien (de Capsa) actuelle Gafsa en Tunisie se maintient du VIIIe au Ve millénaire. Ces proto-Berbères peuplent le Sahara qui n’est pas encore un désert et de cette époque datent des milliers de gravures ou peintures rupestres que l’on peut localiser de l’Océan Atlantique à l’Est du Nil.

Carthage et les Berbères

Pour Stéphane Gsell la colonisation phénicienne marque pour l’Afrique du Nord le début des temps historiques. Carthage fut fondée près de neuf siècles avant l’ère chrétienne et fut détruite par les Romains en 201. La domination a duré près de six siècles. Il faut distinguer Carthage et ses environs des colonies phéniciennes qui s’étendaient d’Est en Ouest de la Grande Syrte à la Baie d’Agadir. Stéphane Gsell, citant Appien, assure que Carthage fut maîtresse de plus de la moitié de la Libye. Les limites ne furent jamais fixes. Carthage a toujours eu à lutter contre les Berbères. En dehors de ce territoire carthaginois-métropolitain, nous n’avons aucune preuve de l’existence de colonies intérieures, mais les colonies maritimes abondent.

Quelle fut la nature des relations de Carthage avec les Berbères ? Salluste parle de fusion des populations, des découvertes archéologiques l’attestent.

Dans le Maghreb actuel, trois grandes confédérations de tribus berbères se forment sans doute dès le IVe siècle avant J.C. :

  • Dans le Maroc actuel, la Maurétanie rassemble une fédération de tribus Maures de l’Atlantique au fleuve Mulucha (Moulouya actuelle)
  • Entre le Mulucha et la rivière Ampsaga (les actuels Oued -El Kebir et Rhumel) s’étendait le royaume des Masaesiles.
  • Entre l’Ampsaga et ce qui deviendra le Territoire métropolitain de Carthage, l’on trouvait le royaume des Massyles.

Au IIIe avant J.C., les royaumes Masaesile et Massyle furent réunis dans le royaume de Numidie. Les souverains de ces confédérations berbères étaient appelés Aguellid. Le terme indique une fonction de guerriers plus que de rois, terme imprécis dans le contexte de l’Afrique antique.

Carthage et l’administration du territoire

Toutes les colonies carthaginoises ne paraissent pas avoir été administrées selon le même régime. Tite-Live et Polybe appellent Emporia (les Comptoirs) les possessions des Carthaginois sur la Petite Syrte. Sans doute, une partie des campagnes a constitué des territoires appartenant à des cités du Littoral. D’autres avaient été laissées à des peuplades alliées, mais soumises à l’influence de Carthage.

Carthage a-t-elle accordé l’autonomie à ces colonies ? Pour Stéphane Gsell, cette autonomie existait et Rome n’a pas pratiqué l’administration directe. En tout cas, les institutions carthaginoises se sont retrouvées dans l’organisation berbère. Rome elle-même ne rompit pas avec ce passé. En effet, après avoir refusé pendant un siècle toute autonomie aux Indigènes, Rome leur permit de former des Communes de type punique.

Rome, en prenant possession de Carthage après les guerres puniques, recueillit l’essentiel de son œuvre. Carthage avait créé des centres urbains et des exploitations agricoles. Rome trouva aussi des citadins pratiquant le régime municipal qui était le fondement même de ses institutions politiques.

L’influence civilisatrice

Carthage a marqué la Berbérie dans le domaine linguistique. Le Punique, langue sémitique proche de l’Hébreu, se parlait couramment au Ve siècle après J.C. Saint Augustin révèle que de son temps, le Punique était encore répandu dans les campagnes. Lui-même, conseillait le recrutement de prêtres parmi les Indigènes parlant le Punique. Procope assure qu’on le parlait encore au VIe siècle. Des stèles bilingues en punique et libyco-berbère tendent à le prouver.

En adoptant la religion punique, les Berbères se pénétrèrent de son esprit. L’adoration du Baal phénicien en témoigne. À l’époque romaine, Saturne fut substitué à Baal. Les rois Maures avaient subi l’ascendant de Carthage perceptible encore après les guerres puniques. Les monnaies frappées à l’effigie de Massinissa et de Micipsa représentent presque toujours les signes religieux de Carthage en particulier celui de Tanit.

L’intervention romaine

Massinissa, aguellid des Massyles, était devenu l’allié de Rome, et ainsi avait-il pu unifier la Numidie. Tandis que la Maurétanie demeurait indépendante. Massinissa mourut en 148 avant J.C. et Rome, afin de limiter la puissance du royaume numide exigea que le pouvoir soit partagé entre les trois fils du défunt. L’aîné, Micipsa, réunifia le royaume après la mort de ses deux frères. Mais sa succession fut source de difficultés dans la mesure où ses fils, Adherbal, Hiempsal et un neveu adopté, Jugurtha, entrèrent en rivalité.

Jugurtha fit assassiner Hiempsal et s’attribua la partie occidentale de la Numidie. Il laissa à Adherbal la partie orientale avant de se retourner contre lui. Assiégé dans sa capitale Cirta (L’actuelle Constantine) qui tombe entre les mains de Jugurtha, Adherbal est mis à mort ainsi que les Romains qui résidaient dans la ville. Les conséquences furent importantes.

Non seulement Jugurtha réunifia la Numidie telle qu’elle existait sous Massinissa, mais encore Rome intervint pour venger les siens ce qui marqua le début de l’annexion romaine.

Rome avait saisi l’occasion d’intervenir. Le consul Bestia et le Sénateur Scaurus, furent envoyés auprès de Jugurtha qui acheta ses ennemis : « Ville bonne à vendre », s’écria‑t‑il. Et de fait, la vénalité de l’administration romaine profita toujours à Jugurtha.

Rome s’était néanmoins engagée dans une guerre totale contre Jugurtha. Ce dernier fut livré à Rome par son beau-père Bocchus, roi de Maurétanie.

Dès la fin de la guerre contre Jugurtha, Rome écarta l’idée d’occupation avec administration directe. Dans un premier temps, elle ne voulut pas agrandir sa province d’Afrique. La vraie conquête ne commença qu’avec César.

L’organisation de l’Afrique romaine

Rome avait accordé à Bocchus la possession de l’Ouest de la Numidie, à peu près l’actuelle Oranie, qui prendra le nom de Maurétanie. Réduite à sa partie orientale, la Numidie a pour souverain Gauda, demi-frère de Jugurtha et, à sa mort, le royaume est partagé en deux. Une partie passe sous l’autorité de Massinissa II, et l’autre sous celle de Hiempsal II, qui eut pour successeur Juba Ier. Après la mort de Bocchus, en 80 avant J.C., son royaume fut partagé entre ses fils, Bocchus II et Bogud, tous deux partisans de César, tandis que Juba Ier était l’allié du parti sénatorial. Après l’assassinat de César, Bogud rejoignit les partisans d’Antoine et fut tué. Bocchus II, partisan d’Octave reçut les territoires de son frère. L’objectif de Rome était d’intervenir le moins possible, en s’appuyant sur ses alliés Maures. Ainsi, put-elle étendre peu à peu son influence. En 25 avant J.C., après la mort de Bocchus II, son royaume revint à Juba II, fils de Juba Ier, prince très romanisé, puisqu’élevé à Rome, et marié à Cléopâtre Séléné, fille de Cléopâtre et d’Antoine.

La romanisation de la Berbérie

Au début de la période romaine, il faut noter le soulèvement d’un Aguellid Tacfarinas. Cette insurrection, de la Maurétanie aux Syrtes ne put être complètement réduite par Juba II. Après lui, son fils Ptolémée apporta tout son concours au Proconsul d’Afrique Cornelius Dolabella et Tacfarinas fut tué dans un combat. Ptolémée, en récompense, reçut les honneurs du triomphe.

Les Romains, pressentant que le danger berbère venait du Sud, y étendirent leur système de défense. La troisième Légion auguste occupa des postes jusqu’à la limite du désert. Sous les Flaviens et les Antonins, les troubles se succédèrent, parfois dirigés contre les collecteurs d’impôts. La troisième Légion s’établit à Lambèse, dans le Constantinois actuel, afin de contenir les poussées venant du Sud.

Sous les Sévère, pourtant Berbères, les mouvements de sédition continuèrent.

Pour Gaston Boissier, les rapports entre Rome et Carthage n’ont été qu’une politique de bascule de volte-face, de changement de front et de retour, celle que les chefs Berbères ont toujours employée à l’égard des Carthaginois comme des Romains. « Carthage la première, et Rome après elle, ont démêlé et exploité ce trait essentiel de la race berbère, elles ont reconnu et trouvé dans cette désunion intestine, dans ce défaut de cohésion patriotique, une de leur plus grandes chances de succès. »

Il importe de noter que le territoire soumis ne le fut que grâce à des armées nombreuses, à des postes multiples, à des organisations militaires très développées. Un fait parait dominer toute l’administration romaine : une grande souplesse dans l’application des mesures législatives et des règlements. Les Berbères occupent une place importante tant dans l’administration civile que dans les cadres militaires.

L’ossature administrative reposait sur quatre Provinces : l’Afrique Proconsulaire, gouvernée par un Proconsul. La Numidie, avec un Légat à sa tête et les deux Maurétanies, Tingitane et Césaréenne dirigées, chacune, par un Procurateur.

Dans chaque Province, apparaissait la distinction classique : les colonies ou terres romaines peuplées de citoyens, d’une part, et, d’autre part, les municipes romains qui ont les mêmes prérogatives que les colonies, mais dont les terres sont soumises à un impôt.

Rome, très souvent, laissa aux Communes leur organisation ancienne, ce qui impliquait : aucune reconnaissance juridique au sens propre du terme. Selon Gsell, leurs institutions pouvaient être celles des villages berbères. Rome voulut surtout marquer son empreinte sur les individus, en les soumettant à une véritable hiérarchie et en donnant à chacun la possibilité d’accéder aux plus hautes conditions sociales. Elle facilita à chacun le moyen de s’élever en passant de la qualité de pérégrin au rang de citoyen de droit latin, et mieux encore, à celui de citoyen de droit romain.

La formation d’une bourgeoisie municipale a toujours été l’un des soucis de la politique romaine en Afrique, aussi a-t-elle favorisé la succession de père en fils dans les grandes fonctions.

Comme la France a établi la paix française, Rome a pu faire imposer la paix romaine par des Berbères romanisés à des Berbères non romanisés. L’exemple le plus déterminant est l’établissement à Lambèse. La troisième Légion se spécialisa aussi dans la construction des routes indispensables pour relier les postes d’observation établis tout au long du Limes. Ces légionnaires ont été des pionniers de la colonisation et de la romanisation. Seul leur petit nombre a empêché une action en profondeur, donc une influence déterminante.

Sur le plan économique, la colonisation romaine s’est placée dans la continuité de celle de Carthage, c’est-à-dire la culture du blé, de l’orge, de la vigne, et de l’olivier, qui, plus tard, furent également le fondement de l’agriculture de l’Algérie, de la Tunisie et du Maroc.