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Décalogie essentielle de livres viatiques

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par Marc de Rancon

Nous ne cédons pas à la mode saisonnière qui atteint beaucoup de médias, courant principal ou réinformation marginale. Manie selon laquelle on ne peut s’empêcher de conseiller les lectures qualifiées d’indispensables. Présentées comme d’autant plus urgentes ou importantes, ne soyons pas naïfs, que le manque d’idées à placer sous le sapin devient de plus en plus pressant au fur et à mesure que Noël se rapproche.

La décalogie qui suit revêt un caractère à la fois plus permanent et plus important que les goûts du moment de telle rédaction. Ou de telle personnalité, quelle que soit sa valeur intellectuelle, sa conscience idéologique ou son discernement littéraire. Il s’agit de guider l’honnête homme du XXIe siècle, lequel malheureusement ne connaît plus nécessairement les mêmes repères que son homologue du XVIIe, vers les ouvrages de base indispensables. Ceux qui vont l’aider à comprendre le sens de la marche de notre société. Et surtout lui servir de viatique, soit le minimum de provisions nécessaire, pour le voyage vers un demain tellement proche qu’il est déjà largement présent aujourd’hui.

Notre société est déjà entrée dans l’abolition de la mémoire collective du passé, ancien comme récent. Elle avance de jour en jour sur la voie du totalitarisme, physique et surtout mental, via le double phénomène du crime culturel de la réécriture du passé et de la chimère de la création d’un homme nouveau, déraciné, interchangeable, programmable.

Or, des écrivains nous ont alertés. Des esprits qui voient loin, sachant déceler dans les évolutions sociétales en cours les tendances de fond qui vont modeler notre avenir. Ce sont des visionnaires. Ils ont pris la peine de nous avertir. Savons-nous les lire et les comprendre, afin de nous prévenir des cauchemars qui nous guettent ? C’est l’objet des deux mains qui suivent, lesquelles comptent sur leurs dix doigts les pages essentielles qu’il faut avoir en tête pour affronter nos temps en connaissance de cause. Bien sûr, il s’agit de choix, donc de discrimination et de subjectivité, bien d’autres auteurs et quantité de leurs ouvrages mériteraient d’y figurer. Mais écrire, c’est comme gouverner, c’est choisir.

1. En premier lieu, c’est l’urgence et l’évidence, lire – ou relire selon le cas – le 1984 de George Orwell. Écrit en 1948. Nous sommes encore en 2024. Sans faire allégeance systématique à la gématrie, sans se cacher la noirceur qui vous pénètre de la première à la dernière ligne, il faut savoir regarder le danger en face.

2. Tout aussi fataliste mais avec quelques zestes d’humour rendant la lecture moins angoissante, le deuxième élément du viatique c’est Le meilleur des mondesd’Aldous Huxley.

3. Un peu plus récent et couvrant un secteur sociologique moins large mais très représentatif, Fahrenheit 451 de Ray Bradbury.

4. Le camp des saints de Jean Raspail, terriblement actuel un demi-siècle plus tard.

5. Soumission de Michel Houellebecq, chaque jour plus prémonitoire.

6. Inclure de Dénis Cieslik, une anticipation jouissive du délire wokiste, pas si délirante que ça, peut-être. Pas nécessairement plus optimiste que les autres livres cités ici, mais qui vous détendra au milieu de cet océan de pessimisme réaliste.

7. Laurent Obertone, au choix le classique La France orange mécanique ou le récent Guerre, ou encore tout aussi profond mais vous permettant de poursuivre la fenêtre thérapeutique anti-stress ouverte avec Cieslik, le savoureux Raisonnablement sexiste.

8. Philippe de Villiers, tout son œuvre constitue un cumul de constats et d’analyses incontournable dans l’esprit tocsin de notre liste, son dernier opus Mémoricidepouvant être mis en exergue car fournissant, comme Obertone avec Guerre, une petite lueur afin de ne pas sombrer dans un désespoir spenglérien.

9. Mathieu Bock-Côté, avec Le Totalitarisme sans le goulag, n’ignore pas – malgré le titre peut-être maladroit – que le premier goulag qui est en train de nous enserrer est autant sinon plus politique et mental que juridique et carcéral.

10. Éric Zemmour le courageux, dont chaque volume pourrait ici avoir sa place, mérite sa sélection dans ce décalogue surtout pour son implacable description, qui n’a pas pris une ride malgré le temps, de notre renoncement : Le suicide français.

Amis lecteurs de cette chronique, nous le savons, pareille liste paraît arbitraire. C’est normal, elle l’est. Disons plutôt qu’il ne s’agit pas d’une liste. Nous n’avons pas voulu effectuer une recension d’ouvrages. Il en manquerait  beaucoup à l’appel, plusieurs bibliothèques de notre logis en témoignent. Notre finalité était de vous faire savoir que, après avoir lu au moins cette décalogie élémentaire, vous ne pourrez pas exciper de l’excuse d’ignorance : demain est lourd, noir, terrible, et c’est déjà pour part aujourd’hui. D’où la nécessité d’un viatique de l’essentiel pour continuer ce voyage.