A l’issue de son accession au pouvoir, succédant à son frère Feu le roi Abdallah en janvier 2015, le roi Salman Al Saoud a opéré des changements au sein du gouvernement où il a nommé son fils, Mohamed alors âgé de 30 ans, ministre de la Défense, ensuite vice-Premier ministre. Deux ans plus tard, en juin 2017, il l’a désigné comme Prince héritier, en écartant son neveu, le Prince Mohamed Ben Naïef de cette fonction. Le roi Salman avait perdu deux de ses fils dans ces circonstances qui n’ont pas été élucidées.
Agé de 32 ans, le Prince Mohamed Ben Salman, connu de plus en plus par ses initiales « MBS », a entamé une série de réformes que nous ne pouvons que saluer, notamment le retour à une pratique de la religion musulmane telle qu’elle l’était avant la dérive du Wahhabisme en 1979. A cette date, le fondamentalisme, notamment le salafisme, a été encouragé par les services américains afin d’être exporté en Afghanistan afin d’être instrumentalisé dans la lutte contre le communisme.
MBS ou le Robin des Bois saoudien
Mohamed Ben Salman souhaite même revenir sur l’interprétation des Hadiths qui constituent pour les Wahhabites la principale source de la théologie musulmane à l’instar du Talmud chez les juifs rabiniques, en redonnant plus d’importance au Coran. Il a, par ailleurs, accordé le droit aux femmes de conduire, une mesure populaire phare… Néanmoins, il avait pris d’autres mesures, en tant que ministre de la Défense, qui ont ruiné son pays et qui le conduisent progressivement vers la faillite : la guerre du Yémen qui s’enlise et qui coûte environ 5 milliards d’Euros par semaine à la monarchie. Entraîné dans cette aventure par les Etats-Unis et Israël dont l’armée contribue à certaines opérations militaires sur le terrain, MBS cherche un moyen pour pallier le budget déficitaire de son pays. Pour rester populaire, il n’a pris aucune mesure pouvant affecter les revenus des classes moyennes. Il a cru bon s’attaquer, sous prétexte de lutte contre la corruption, aux hommes d’affaires les plus riches et aux princes de son royaume, les arrêter et négocier avec eux le paiement de sommes d’argent en contre-partie de leur libération.
C’est ainsi que le 4 novembre dernier, il arrêta 4 ministres, 11 princes (y compris le Prince Walid Ben Talal), des anciens ministres et des hommes d’affaires. Après avoir exigé 6 milliards de dollars du Prince Walid Ben Talal afin de le libérer, et que ce dernier refusa de payer selon nos sources, l’un des fils de l’ancien roi Abdallah également arrêté dans la foulée et assigné à résidence dans le luxueux hôtel Ritz de Ryad, le Prince Met’eb, a cédé et réglé 1 milliard de dollars en contre-partie de sa libération.
Pas de chaos à Beyrouth
MBS avait usé du même procédé pour retenir, en Arabie saoudite, le Premier ministre libanais, Saad Hariri, détenteur également de la nationalité saoudienne, le forçant à prononcer sa démission. Les raisons de cette opération n’ont pas été totalement élucidées. Néanmoins, les motifs politiques ne font aucun doute : le consensus inter-libanais et le rapprochement inter-communautaire au pays du Cèdre entre sunnites, chiites (y compris le Hezbollah) et chrétiens dérangeait Israël et les Etats-Unis, mettant en cause leur projet politique consistant à semer le chaos dans la région. Le texte de démission imposé à Saad Hariri tendait à allumer la tension entre sunnites et chiites libanais, entraînant le pays vers une guerre civile. Mais l’intervention du Président français, Emmanuel Macron, à la demande de son homologue libanais, Michel Aoun, a fait chuter cette tentative qui a été également déjouée par une réaction inattendue au pays du Cèdre : le renforcement de la cohésion inter-communautaire. Le Premier ministre libanais fût libéré et regagna son pays où il est revenu sur sa décision forcée, après un court passage à Paris.
Mohamed Ben Salman, qui semble avoir curieusement acheté, en 2015 selon le New York Times « la maison la plus chère du monde », s’agissant du « Château Louis XIV » à Louveciennes pour 275 millions d’Euros, un yacht pour 500 millions d’Euros et d’une toile à 450 millions de dollars, continue sa purge sous prétexte de lutte contre la corruption, ce qui lui permet de procéder à des règlements de compte et à éliminer toute personne susceptible de devenir un adversaire politique.
Les Atrides à Ryad
Dans la nuit du 3 au 4 janvier, il se rendit avec plus d’une vingtaine d’hommes armés à la propriété de S.A.R. le Prince Salman Ben Abdelaziz Al Saoud, à Ryad. Ce dernier, âgé de 35 ans et ancien camarade de classe de MBS, a été lynché devant lui jusqu’à ce qu’il tombe dans le coma, baignant dans son sang devant son épouse (fille de l’ancien roi Abdallah) et sa fille à peine âgée de deux ans. Il a été ensuite enlevé. A ce jour, aucune information n’a pu être donnée sur le lieu de sa détention.
Docteur en Droit comparé de l’université de Paris I, officier de la Légion d’Honneur en raison de ses actions culturelles et humanitaires en France, le Prince Salman Ben Abdelaziz Al Saoud parle plusieurs langues et jouit de contacts politiques et diplomatiques internationaux, ce qui lui donne une stature qui, aux yeux du prince héritier saoudien, pourrait porter préjudice à son accession au pouvoir à la mort de son père : l’intronisation du monarque au royaume saoudien se passe à l’issue de sa désignation par un Conseil de sages qui peut désapprouver sa qualité de prince héritier attribuée par le roi défunt.
Appuyé par l’Administration américaine à laquelle il est particulièrement attaché, non seulement en raison du traité de Quincy qui, depuis 1945, transforma le royaume saoudien en protectorat américain, mais aussi compte tenu de ses liens avec Jared Kushner, gendre et conseiller spécial du Président Donald Trump pour le Moyen-Orient, le prince héritier saoudien, en s’érigeant en despote avec le feu vert de Washington, est en train de conduire son pays vers une déstabilisation qui pourrait renverser la monarchie et amener le chaos dans la région. Tel est, en effet, l’objectif des Etats-Unis et de leurs alliés qui profitent du manque d’expérience politique de ce jeune prince aventurier.
Elie Hatem