Cinquante ans après, la grève du 22 mars sera-t-elle à l’origine d’un grand « soulèvement de la vie » tel que l’évoquait Maurice Clavel à propos de Mai 68 ? Si le choix de la date par les syndicats peut ne pas être entièrement le fruit du hasard et renvoyer au souvenir du comité du même nom qui « inaugura » ce fameux mois de Mai, il est peu probable (même si l’histoire n’est jamais complètement écrite avant de se réaliser) que ce mouvement de jeudi change la donne en France : à écouter « le peuple des comptoirs », je ne sens pas vraiment se lever la tempête. Les lycéens sont calmes et semblent, même, largement indifférents aux événements sociaux et politiques, malgré les tentatives renouvelées depuis fin janvier de mobiliser ces masses scolaires sans lesquelles il n’y a généralement pas de recul gouvernemental (exception faite de la grève de 1995), et les professeurs parlent d’autre chose, sans savoir, pour l’heure, comment considérer exactement les réformes annoncées, de celle de l’entrée en université, de l’organisation du cycle d’études lycéennes et de la nouvelle configuration du baccalauréat : cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas d’inquiétude ou de mécontentement, mais cela tient plus des conditions locales d’application possible de ce qui est annoncé que d’une contestation globale.
Bien sûr, les revendications des retraités sont sans doute légitimes, et il me semble que l’un des enjeux des décennies prochaines sera l’accueil de ceux-ci dans une société qui semble vouloir de plus en plus les négliger, et cela au-delà des questions financières ; bien sûr, la grogne de certaines catégories de fonctionnaires est compréhensible, tout comme l’est la volonté politique de réformer la Fonction publique ; bien sûr, les cheminots ont beaucoup à perdre, au moins statutairement, au regard de la libéralisation du rail exigée par les directives de l’Union européenne… Mais tout cela ne fait pas une révolution, ne serait-ce que parce que les intérêts des uns et des autres ne s’accordent pas facilement dans une situation de mondialisation et de libéralisation globale, et dans le cadre et contexte d’une société de consommation qui « tient » mieux les populations que les dictatures classiques ne sauraient le faire : Huxley avait déjà saisi, avant même que ce globalitarisme mondial ne soit définitivement en place, les possibilités de celui-ci et la « servitude volontaire » (pour plagier La Boëtie) qu’il suscite et entretient. Ainsi, la « convergence des luttes », ce jeudi 22 mars, ne peut être qu’extrêmement temporaire, et il est peu probable qu’elle débouche sur un mouvement plus général et plus visible ou actif.
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