Parmi les mauvaises raisons de célébrer Mai 68, il en est une particulièrement stupide: son prétendu caractère inédit. On le sait, ce grand monôme étudiant, à peine rehaussé des sautes d’humeur des maoïstes et des sautes d’humour des situationnistes, puisait ses sources, ses références, ses chants, ses couleurs et ses slogans dans de précédents mouvements (Front Populaire, Commune, Révolution). Mais il y a mieux (ou pire). L’évidence que Mai 68 ne fut que la copie de février 1848. Et les 68ards, donc, de vulgaires et médiocres post-48ards. On en retrouve la preuve chez les plus grands écrivains français du XIXe siècle, ce qui fait des Miller, Geismar, Weber, Cohn-Bendit et autre July non pas des vieux jeunes mais des vieux vieux.
Passons sur le concept de génération, repris comme titre de l’excellente étude de Patrick Rotman et Hervé Hamon consacrée aux leaders et militants gauchistes des années 60-70: il est bien sûr un clin d’œil à la formule d’Alfred de Musset évoquant les acteurs de la révolution de février 48 («une génération ardente, pâle et généreuse»). Le fameux «esprit de mai» dont tout le monde se gargarise en ce mois de mai 2018, du théâtre de l’Odéon au festival de Cannes en passant par la BnF et le monde de l’édition? Sa définition exacte se trouve chez Tocqueville le 25 février 1848: «Mille systèmes étranges sortaient impétueusement de l’esprit des novateurs et se répandirent dans l’esprit troublé de la foule (…) Chacun proposait son plan: celui-ci le produisait dans les journaux: celui-là dans des placards, qui couvrirent bientôt les murs ; cet autre, en plein vent, par la parole. L’un prétendait détruire l’inégalité de fortunes, l’autre l’inégalité des lumières, le troisième entreprenait de niveler la plus ancienne des inégalités, celle de l’homme et de la femme ; on indiquait des spécifiques contre la pauvreté et des remèdes à ce mal du travail qui tourmente l’humanité depuis qu’elle existe».
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