Les moments de crise intense permettent souvent d’observer en direct des phénomènes qu’habituellement les spécialistes analysent dans leur langage propre et leurs instruments universitaires. Ainsi en va-t-il du populisme, sur lequel tant d’études ont été publiées, le plus souvent dans un but de stigmatisation. On s’aperçoit en direct qu’il s’agit non pas d’une idéologie dangereuse, qui nous ramènerait dans l’Europe des années Trente avec la montée des systèmes totalitaires. Non, il s’agit bien d’une réalité sociale qu’un Christophe Guilluy a parfaitement identifiée. Nous voyons clairement, nous dit Jean-Pierre Le Goff, « la revanche de ceux qu’on a traité de beaufs et de ringards, largement ignorés depuis des années par les pouvoirs en place au profit des catégories sociales branchées et des gagnants de la mondialisation ».
Cette réalité sociale, le philosophe original et intempestif qu’est Jean-Claude Michéa, l’observe depuis le Pays basque où il a pris sa retraite : « Il est clair que la plupart des gilets jaunes n’éprouvent aucun plaisir à devoir prendre leur voiture pour aller travailler chaque jour à cinquante kilomètres de chez eux, à aller faire leurs courses au seul centre commercial existant dans leur région et généralement situé en pleine nature à vingt kilomètres, ou encore à se rendre chez le seul médecin qui n’a pas encore pris sa retraite et dont le cabinet se trouve à dix kilomètres de leur lieu d’habitation. » Et d’ajouter : « J’ai même un voisin, qui vit avec 600 euros par mois, qui doit calculer le jour du mois où il peut encore faire ses courses à Mont-de-Marsan, sans tomber en panne, en fonction de la quantité de diesel – cette essence des pauvres – qu’il a encore les moyens d’acheter. »
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