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Un samedi à Paris : le témoignage d’un spectateur engagé. Partie 4 : le temps des pillards, ces saboteurs de la protestation.

La nuit avait étendu ses ombres sur la ville sans l’obscurcir vraiment : l’éclairage public était, par endroits, le dernier mobilier urbain épargné par l’émeute, et les lueurs des explosions rajoutaient à cette ambiance étrange, dans laquelle toute mesure semblait perdue. A l’angle des Champs Elysées et de l’avenue de Friedland, quelques manifestants arrachaient la plaque de la représentation diplomatique du Qatar et jetaient par dessus la grille des canettes lestées. Les discussions allaient bon train quand les forces de l’ordre, toutes proches, bloquaient l’accès aux avenues voisines donnant sur l’Etoile, bouclier contre bouclier. Alors qu’ils étaient à quelques mètres des manifestants, ils étaient impassibles et, d’ailleurs, personne ne les provoquait alors que, de l’autre côté de la place, les affrontements faisaient rage… C’était tout-à-fait étrange : quelques dizaines de mètres seulement séparaient deux situations complètement différentes, dans le même contexte pourtant, comme une sorte de délimitation invisible entre deux mondes, celui de la violence et celui de l’apaisement. Ainsi, des manifestants « combattants », masqués ou visage découvert, se reposaient à côté, presque à toucher, des forces de l’ordre immobiles dont ils lapidaient les collègues qui s’aventuraient de l’autre côté de l’Etoile !

En me promenant dans une rue voisine, non loin d’un barrage policier, je remarque un petit groupe de jeunes en survêtement, dont certains paraissent avoir treize ans (ce qui s’est trouvé confirmé par des bribes de conversation saisies) : visiblement, ce n’est pas la manifestation sociale qui les motive, et certains découvrent, les yeux écarquillés, une ville « belle et offerte », selon l’expression de mon interlocuteur du moment, aussi étonné (et agacé) que moi de la présence inopportune de ces jeunes qui roulent des mécaniques et parlent fort et « mal ». En revenant sur mes pas, vers l’avenue de Friedland, je constate que ces groupes juvéniles sont de plus en plus nombreux, et que la physionomie de l’émeute est en train de changer rapidement. Mélange de vrais gilets jaunes qui commencent à partir en clamant haut et fort « A samedi prochain ! », d’activistes qui cherchent encore à faire rougeoyer la nuit et de bandes beaucoup moins politiques et beaucoup plus opportunistes, l’émeute change de fond, mais aussi de forme, la dernière catégorie prenant progressivement le dessus sur les deux autres qui sont pourtant toujours là, mais se retrouvent bientôt entre le marteau des pillards et l’enclume des forces de l’ordre.

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