On doit à Emmanuel Macron et à ses ministres plusieurs clarifications importantes.
Je ne parle pas de ses envolées lors du débat avec les intellectuels, où les « externalités climatiques négatives » rejoignaient les « impacts négatifs d’un système productif » annihilant sans doute le « pouvoir d’évaluation des politiques publiques », ce qui était d’ailleurs sans gravité car « le phasage tel qu’il a été décidé crée une primauté de la fonction présidentielle » dans une « maïeutique à ciel ouvert » (merci à Slate pour son compte rendu).
On l’aura compris, il s’agissait moins là de clarifier les choses que de les emporter dans l’empyrée des concepts et en même temps de les poser comme soubassements d’une nouvelle civilisation. Vaste programme. Non, la clarification c’est la manière dont le président de la Ve République a définitivement montré que ses institutions ne servaient à rien. La démocratie représentative a vécu, et sans doute la démocratie elle-même. Voilà plusieurs semaines, plusieurs mois que le Parlement assiste sans bouger à l’organisation d’une consultation directe des Français où les représentants ne servent à rien, sinon à parfois réserver les salles. Chaque corporation s’est emparée du Grand Débat pour y participer ou le décliner en version Medef ou Beaux-Arts, un peu comme ces cuisiniers médiatiques qui revisitent la blanquette, et le président lui-même s’est affranchi joyeusement de la règle qu’il avait posée en cannibalisant les réunions où personne ne parle sinon lui, ses ministres lui servant de porteurs d’eau, et en faisant en sorte que les journaux ne parlent que de ses performances puis de ses possibles arbitrages puis du rythme et des séquences de son quinquennat. Le magicien a fait disparaître les représentants et éclipsé le peuple, bravo l’artiste !
La démocratie représentative a vécu
Bruno Le Maire est admirable de constance. À chaque fois que l’Union européenne retoque ses projets fiscaux, sociaux et industriels, il l’accuse d’être une institution aveugle et sourde, insensible aux mouvements du monde et impuissante à s’adapter, refusant tout à la fois de comprendre les enjeux nationaux et d’assurer la défense des intérêts européens – ce qui est logique puisqu’il la suppose incapable de les discerner et de les définir. Les européistes, de leur côté, avec la même constance, expliquent que l’Union européenne protège, défend, et enrichit puis se dépêchent, les uns de ne pas acheter à Arianespace ses vols spatiaux, les autres de ne pas acheter les armes françaises, tous de ne pas taxer les GAFA et ils appellent la France à ne pas traiter ses manifestants comme des Vénézuéliens moyens. Alors Bruno Le Maire explique que les nations sont souveraines puis appelle à voter aux Européennes pour empêcher les nationalistes de défendre les intérêts nationaux et pour empêcher les populistes de réformer l’Union européenne. Quant aux éditorialistes de France Culture, ils expliquent que voter aux Européennes signifie voter contre Marine Le Pen et pour Macron, achevant eux aussi de nationaliser ce scrutin international. Utiles dévoilements des perspectives dans laquelle chacun considère l’Union.
La dictature de la richesse sans frontière et sans frein
Bernard-Henri Lévy considère, dans un journal belge, que le vote des populistes n’est pas à prendre en compte, les adversaires de Trump considèrent que l’enquête qui le blanchit ne prouve rien, les partisans du remain considèrent qu’ils ont raison contre le référendum et qu’il faut donc empêcher le Brexit par tous les moyens légaux ; tous sont démocrates. Démocrate comme Macron qui considère que les Français n’ont pas le choix et pose l’alternative « le chaos ou moi » – alors que le chaos et moi serait plus macronien et plus juste, à considérer les rues. La démocratie ne se confond ni avec la république, ni avec les formes républicaines, ni avec le pouvoir. Voilà l’ultime et la plus nécessaire clarification. Ceux qui détiennent la puissance ne veulent pas que son usage soit limité : les journaux doivent être plus puissants que les faits, la justice doit se plier aux ordres, le peuple ne délègue aucun pouvoir, il doit faire preuve de son allégeance à des intérêts supérieurs que seule l’élite comprend.
« Les pauvres sont faits pour sentir, les riches pour comprendre et en abuser raisonnablement », disait Marcel Aymé dans son Confort intellectuel. C’était avant. Maintenant que les riches sont au pouvoir, ils réclament d’abuser déraisonnablement de leurs privilèges et ils réclament qu’on les acclame : qu’on proteste, qu’on les suspecte, qu’on les contredise, qu’on les déteste leur est insupportable. La dernière liberté dont jouissait le peuple, ils méditent de la lui enlever. Car le pouvoir n’est pas synonyme de consensus ou de dialogue, surtout quand il vise à établir la dictature de la richesse sans frontière et sans frein.
Philippe Mesnard