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Entretien avec Catherine Rouvier : Que faire ? Le jour d’après pour les Gilets Jaunes

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Suite de notre entretien du 5e numéro du Bien Commun sur le mouvement des Gilets Jaunes avec Catherine Rouvier, professeur de droit public et de sciences politiques, sur les lendemains du mouvement des Gilets Jaunes.

La communication doit-elle être une partie de l’action des Gilets Jaunes ?

Macron communique sans cesse via le grand débat. Il se met en scène avec le peuple, montrant son courage, sa science, son endurance, relayés par les télévisions et You tube. Et bien sûr il communique en même temps sur la dangerosité des Gilets jaunes, tous d’extrême droite, haineux, fascistes, nazis, grossiers, et rusés en plus (le « boxeur », le « gitan de Massy » il ne parle pas comme un gitan, a dit le Président, c’est donc son avocate qui lui souffle …)
Les Gilets jaunes doivent contre-attaquer avec des images les montrant dans leurs revendications traditionnelles, familiales, religieuses même. « Pourquoi ne pas montrer par exemple une vidéo de Gilet jaune assistant à une messe de Noël ? » a demandé plusieurs fois Michel Onfray lors d’interviews télévisées récentes. Et des vidéos de Gilets jaunes donnant à manger aux SDF, allant voir les enfants dans les hôpitaux, protégeant des policiers ou même le patrimoine – Arc de Triomphe – des antifas et black blocks ?
Ces vidéos existent, mais restent confidentielles, tournent en interne du mouvement. Ou même les sagas attendrissantes, comme celle de ce couple Gilet jaune tombant amoureux sur un rond-point et se mariant au son de musiques régionales traditionnelles, dans la joie, la danse et la bonne humeur.
Faire apparaître les Gilets jaunes pour ce qu’ils sont : des Français soucieux de garder leurs racines, et de protéger leur famille de la misère, du déclassement social, d’impôts trop lourds, de salaires trop bas, et non des révolutionnaires, des rouges, des violents, des brutes qui veulent mettre la France à feu et à sang.
Et doubler l’action directe de nouveaux modes d’action politique.

Faut-il que les Gilets jaunes se présentent aux diverses élections ?

Il y a une foule qu’on oublie : c’est celle du plus grand parti de France : les abstentionnistes.
Ils étaient 26 millions, sur 46 millions d’inscrits, à ne pas avoir voté en 2014 aux européennes.
Une bonne partie d’entre eux, de droite, constitue une foule potentielle, traumatisée en 2017 par l’échec de ses candidats, ressenti comme une injustice. À partir de ce constat deux manières de voir les choses :

Soit on prend ce fait comme acquis cette abstention massive, on calcule pour l’élection de mai le quotient électoral à partir de 20 millions de suffrages exprimés divisé par 79 – le nombre de sièges que nous aurons cette année – ce qui fait 300 000 voix, et on se dit il ne faut pas gaspiller les voix et donc éviter les listes dissidentes qui risqueraient de ne même pas avoir un siège .
Ce raisonnement est logique. Aucune des très nombreuses petites listes n’a pu avoir de sièges en 2014 : ce sont donc des voix perdues.

Soit on pense que nous sommes précisément, grâce à ce phénomène de foule Gilet jaune, à un moment ou cette abstention peut être en partie résorbée par une offre politique nouvelle. Capables d’affronter le froid, la pluie, le vent la neige, capables de risquer de perdre une main ou un œil, les Gilets jaunes ne seraient pas capables de se bouger le 26 mai si le jeu en valait la chandelle ?
La gauche le pense, d’où la proposition de deux ou trois listes Gilet jaune plutôt de gauche prévues, dont une patronnée par l’ex-champion à gants de boxe de la lutte Anti-le Pen : Bernard Tapie.

Certes LAREM n’a rien à perdre à la création de listes dissidentes : elle n’existait pas à la dernière élection en 2014, et les scores de ceux qui pourraient la représenter à Strasbourg ne sont pas fameux (13 PS, 7 centristes…).
Alors que la Droite elle, a fort à perdre ( 20 députés LR et 24 députés RN, le contingent le plus fort de députés français à Strasbourg) et tente donc plutôt d’agréger des Gilets jaunes a ses listes .
Mais ces listes partisanes, aussi bien dosées soient-elles, ne feront pas plus le plein de voix de droite qu’elles ne l’ont fait en 2014.
Les abstentionnistes qui ne votent plus pour Les Républicains car ils les trouvent trop mous sur l’immigration, ou qui ne votent plus pour le RN car ils le trouvent trop absent sur le sociétal, PMA, GPA, IVG. etc. ne rejoindront pas forcement les listes, même renouvelées pour leur plaire. Alors que sous un label rassembleur comme celui des Gilets jaunes et dans la conjoncture actuelle de désir puissant de renverser le régime politique ils pourraient se décider à voter.
En cette période politique française très agitée, le vote à la proportionnelle sur l’entièreté du territoire qui aura lieu le 26 mai est d’une importance capitale.
ll sera une photo instantanée de la structure politique réelle du peuple français que ne peut jamais donner le système majoritaire, très déformant.
Alors pourquoi ne pas tenter d’y amener les abstentionnistes ? Certains Gilets jaunes le sont parce qu’ils veulent changer de régime politique ? Parce qu’ils veulent la fin de l’immigration sans contrôle ? Car ils veulent une politique familiale nataliste ? Il leur faut une offre adaptée.
On l’a vu, si l’abstention est de 50 % comme en 2014, il faudra 300 000 voix pour avoir un siège, le quotient électoral se calculant sur les suffrages exprimés. Mais beaucoup moins si la participation est plus forte …
Le jeu peut en valoir la chandelle.
Il faut de l’argent, certes, mais madame Levavasseur a su en trouver un, Tapie ! … Personne ne pourrait parrainer, à droite ? La campagne sera courte. Et les réseaux sociaux, gratuits, seront bien plus importants que le bon vieux matériel ruineux des affiches et tracts, pour créer cet élan contagieux si typique des mouvements de foule. On a pu voir ça à l’œuvre dans les révolutions orange, de velours, du printemps arabe et autres.

Et l’idée d’un referendum ?

Supposons que ce referendum soit libellé ainsi « Voulez-vous une révision de l’article 11 de la Constitution qui instaurerait un véritable RIC ? Voulez-vous une loi organique qui instaurerait le scrutin proportionnel aux prochaines élections législatives ? »

Ce sont deux questions auxquelles les Gilets Jaunes réfléchissent et qu’ils appellent de leurs vœux depuis plusieurs mois, et non pas comme lors du référendum de 1969, qui a abouti au départ de De Gaulle, des questions sur des institutions que les Français ne connaissaient même pas : les Régions et le Sénat !
Les Français ne bouderaient pas leur plaisir.
Et s’il y avait une liste Gilet jaune droitiste à leur goût, ils voteraient pour elle aussi, dans la foulée. Dans une hypothèse très optimiste j’en conviens le référendum étant acté fin mai, la révision pourrait intervenir avant fin juin ou au plus tard en juillet, et les Français pourraient, avant la fin de l’année, proposer un RIC sur une question de leur choix .

Pour conclure, referendum ou pas, on peut prédire sans trop de risques que celui ou celle qui sera considéré comme portant le mieux les revendications les plus à droite des Gilets jaunes sera porté par un mouvement de foule puissant.
Une foule restée très en colère de ce qui lui apparaît comme les injustices du dernier scrutin présidentiel, une foule pleine de la douleur des victimes mutilées, défigurées, de l’actuelle répression sanglante des manifestations de Gilets Jaunes, une foule dont l’émotion donnerait à ses paroles un souffle puissant.

 Propos recueillis par Léon Morin

Source : Le Bien Commun n°7, mai 2019.