Par Antoine de Lacoste
Les conséquences de l’invasion du nord de la Syrie par la Turquie ne se sont pas faites attendre. Les Kurdes, conscients de leur incapacité à résister longtemps à l’armée turque, se sont tournés vers Moscou et Damas afin que l’armée syrienne fasse mouvement vers la zone de combat pour faire tampon et éviter un bain de sang dont ils feraient les frais.
C’est une rude capitulation pour ceux qui avaient profité de la faiblesse de l’armée syrienne et avait passé un accord avec elle dès 2012 pour se battre contre les terroristes islamistes dans le nord et le nord-est de la Syrie. Les Kurdes avaient ensuite trahi cet accord et proclamé l’autonomie d’une sorte de Kurdistan syrien, bien que les populations arabes soient majoritaires dans la région.
Rappelons que les Kurdes, qui n’ont historiquement aucune origine syrienne, ont alors appliqué une politique très dure à l’encontre des populations non kurdes : expulsion de maisons et de villages au profit de familles kurdes, enseignement obligatoire en langue kurde, surveillance étroite du clergé chrétien notamment. Plusieurs écoles publiques, refusant d’enseigner en langue kurde, ont dû fermer leurs portes. Les écoles chrétiennes, encore actives dans la région, avaient alors accueilli de nombreux élèves arabes (musulmans et chrétiens) chassés de ces écoles, car les Kurdes n’avaient pas osé s’attaquer à elles.
Les témoignages sont multiples sur le sujet et le journal Le Monde s’en faisait encore l’écho dans son édition du 15 octobre. Ces comportements ne sont guère surprenants de la part de ceux qui furent les aidés zélés des Ottomans lors des génocides arménien et assyro-chaldéen, mais ils ont provoqué un rejet très important de la part des populations arabes. La haine s’est durablement installée entre les deux communautés. Ceci explique pourquoi de nombreux villages arabes ne se sont pas défendus contre l’armée turque, heureux d’être libérés du joug kurde.
L’armée syrienne, depuis cet appel au secours des YPG (organisation armée des Kurdes) progresse vers le nord. Elle est entrée dans Manbij, précédemment occupée par les Américains et dans Tabqa, occupée par les Kurdes, d’où elle pourra reprendre le contrôle de la plus grosse centrale hydro-électrique de Syrie. Elle se rapproche aussi de la frontière turque notamment à Kobané et à Tall Tamer, tout prêt des zones de combat qui opposent en ce moment l’armée turque et ses supplétifs islamistes syriens aux YPG kurdes.
Prudents, les Russes font accompagner ces mouvements de l’armée syrienne, par de nombreuses patrouilles, afin d’éviter tout incident entre turcs et syriens. A chaque fois que des unités syriennes risquent d’entrer en contact avec des soldats turcs, des forces spéciales russes s’intercalent entre les deux.
Poutine, avec le départ providentiel des Américains, a maintenant toutes les cartes en main. Il doit rencontrer Erdogan afin d’organiser la suite des opérations, ce qui sera tout de même assez délicat : il faudra en effet convaincre les Turcs de quitter la Syrie et, pour que cela soit possible, convaincre les Kurdes de rendre leurs armes lourdes et de passer totalement sous le contrôle de l’armée syrienne. Dans le même temps, il sera nécessaire de se mettre d’accord pour délivrer la dernière province syrienne tenue par les Islamistes (Idleb) où près de 50 000 djihadistes y font régner une tyrannie sanglante. Accessoirement, le sort des camps regroupant des milliers de combattants de Dach et leurs familles, devra aussi être réglé.
Les Russes ont encore du pain sur la planche mais, plus que jamais, ce sont eux les maîtres du jeu.