Par Charles Saint-Prot Directeur de l’OEG
Cet article passionnant de notre ami Charles Saint-Prot, ne peut prétendre apporter une réponse définitive à la question complexe posée par l’existence du peuple kurde et les agissement des milices , notamment au niveau de la frontière turco-syrienne. On peut avoir un regard différent, notamment sur la volonté impérialiste d’Erdogan, mais l’analyse présente ouvre des perspectives ignorées par les observateurs à la solde du discours formaté par les faiseurs officiels d’opinion.
La Turquie et ses alliés de l’Armée nationale syrienne (rebelles syriens) ont lancé, le 9 octobre 2019, une offensive dans le nord-est de la Syrie contre les milices kurdes, en particulier l’YPG-PKK. La veille des troupes américaines présentes en Syrie s’étaient repliées du secteur de Ras al Aïn et d’autres zones frontalières. Cette offensive est conforme au droit international puisque la Turquie veut sécuriser sa frontière et prendre les mesures requises contre toute menace terroriste émanant de Syrie où l’État est, hélas, défaillant. En effet, il doit être clair que si l’État syrien contrôlait son territoire, les bandes venues de Turquie n’auraient pu proclamer illégalement un prétendu État kurde autonome !
L’annonce de l’offensive de l’armée turque et de ses alliés contre les Unités de protection du peuple (YPG) a été faite par le président Erdogan, qui a justifié cette opération par la nécessité d’éloigner de la frontière turque cette milice liée au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) qui est un groupe terroriste et séparatiste. Il s’agit pour la Turquie de mettre en place une zone de sécurité dans le nord-est de la Syrie. Le président Erdogan a souligné que cette zone de sécurité « va permettre le retour des réfugiés syriens dans leur pays » et il ne faut pas oublier que de nombreux combattants arabes de l’Armée nationale syrienne ont été chassés de leur terre par les miliciens kurdo-turcs du PKK. Il est clair que l’intervention turque ne vise que les séparatistes extrémistes venus de Turquie. De fait, la Turquie considère l’YPG-PKK comme une menace pour sa sécurité en raison de son projet séparatiste, de son idéologie marxiste et de ses attentats. À la faveur du conflit qui ravage la Syrie depuis 2011, l’YPG-PKK, vieux complice du régime de Damas, a installé une autonomie de facto dans le nord-est de la Syrie. Comme l’a rappelé au Bild, en octobre 2019, l’ex-ministre allemand des Affaires étrangères Sigmar Gabriel « L’ancien président Barack Obama souhaitait retirer les troupes américaines et il a œuvré avec l’YPG-PKK pour remplir le vide qui se formerait. Évidemment, malgré tous ses démentis, il savait que la branche syrienne du PKK allait contrôler le nord-est de la Syrie… »
Dans cette affaire le bon droit est du côté d’Ankara. En effet, on ne peut oublier que ceux qui parlent d’invasion sont souvent ceux-là mêmes qui ont fait de la Syrie un terrain de jeu militaire : l’Iran et sa milice du Hezbollah au service d’Assad, la Russie, les États-Unis et leurs alliés occidentaux qui, sous couvert de lutter contre Daech, sont installés en Syrie. En somme il n’y aurait que la Turquie à ne pas avoir le droit de protéger son unité nationale et son territoire des menées du PKK-YPG. Or, le PKK qui a causé la mort de plus de 40 000 victimes (enseignants, fonctionnaires, civils, militaires…) est considéré comme une organisation terroriste par la communauté internationale, notamment les États-Unis, le Canada, les États membres de l’Union européenne, la Grande-Bretagne…. En 2016, la France s’est opposée à
l’initiative de parlementaires européens d’extrême-gauche de retirer le PKK de la liste des organisations terroristes. Le Quai d’Orsay déclarait que « les raisons qui ont présidé à l’inscription du PKK sur la liste des terroristes restent pleinement valables ». On ne voit pas pourquoi, trois ans après, la France et les pays européens prétendent soutenir cette organisation terroriste contre une autre organisation terroriste (Daech) qui est elle-même combattue par le gouvernement turc. À moins que les dirigeants européens ne soient sensibles, d’une part, au lobbying des marxistes du PKK, qui contrôlent par l’intimidation une partie de la communauté turco-kurde immigrée en Europe, et, d’autre part, fassent montre d’une sorte de turcophobie bien condamnable.
À dire vrai, les Occidentaux ont fait assez de mal dans la région pour se monter plus discrets : de la destruction de l’Irak (2003) à l’installation de l’Iran à Bagdad, Damas et Beyrouth, en passant par des complicités inqualifiables avec les tribus kurdes séparatistes. Certains propagandistes ont le culot de parler de « désastre humanitaire ». C’est faire peu de cas du fait que les territoires où interviennent l’armée turque et ses alliés arabes ont été livrés à l’épuration ethnique des milices kurdes du PKK dans l’indifférence générale. Et, on aurait souhaité que la même indignation se manifestât face à l’épuration menée contre les manifestant pro-démocratie par le régime syrien qui a expulsé près de 7 millions de ses nationaux (soit un tiers de la population) et provoqué la mort, la disparation ou l’emprisonnement (avec torture) de plus de 500 000 Syriens. Ou lorsque l’embargo américain a causé la mort de plus d’un million d’Irakiens, en particulier des enfants. Ou quand le régime mis en place à Bagdad par les États-Unis et l’Iran fait tirer sur les manifestants. Ou quand l’armée d’occupation israélienne commet les pires méfaits en Palestine… En vérité, l’indignation antiturque est suspecte et relève de la propagande de réseaux marxistes bien organisés. La lutte de la Turquie ne relève pas de ses seuls intérêts nationaux, mais elle a également pour effet d’éviter la fondation d’un État terroriste à ses frontières, c’est-à-dire la balkanisation d’une région qui est déjà une dangereuse poudrière, en particulier du fait des atermoiements et des erreurs des pays occidentaux. C’est cette juste appréciation des choses qui a conduit le président Poutine d’une Russie devenue un acteur central dans la région, à recevoir le président Erdogan, le 22 octobre, pour conclure un accord sur la lutte contre le terrorisme, le retrait des miliciens de l’YPG de 30 kilomètres et la mise en place d’une « zone de sécurité en territoire syrien, ainsi que le retour des réfugiés syriens. L’ancienneté de l’amitié France-Turquie (les relations diplomatiques sont parmi les plus anciennes puisqu’elles remontent au XVe siècle) devrait inspirer une diplomatie française plus courageuse et moins alignée sur des lobbies dont l’action ne correspond pas aux intérêts fondamentaux de la France.