Par Éric Bianchi, (Médecin, président de la CME.)
Notre ami Éric Bianchi, par ses fonctions, se trouve au cœur de lutte contre la pandémie. Pour l’AF, il fait un point sur les mesures prises, sans esprit polémique , mais sans concessions non plus.
Et maintenant qu’allons-nous faire, nous dirait le chanteur ? Nous voici arrivés dans le dur depuis jeudi soir. La fermeture des écoles annonce un nouveau processus. Que penser de ces mesures ? Tout d’abord depuis mon dernier papier la situation a évolué de manière catastrophique en Italie (Espagne ce jour) et inquiétante en France. Il n’y a pas de surprise. Nous suivons les courbes et les modèles statistiques établis dans les premiers pays infectés dont la Chine. Nous avons découvert que des pays occidentaux pouvaient vivre une crise sanitaire et que les soignants doivent choisir qui sauver. Nous avons découvert que le virus a une capacité à survivre sur des surfaces, ce qui n’est pas anodin et ne résume pas la contamination aux contacts humains. Nous avons découvert en Italie un taux de mortalité de 5% (supérieur à la Chine officielle) un taux de gravité énorme avec une présence prolongée en réanimation qui explique la pénurie de respirateurs et une atteinte de sujets jeunes sans autres pathologies. Si la situation n ‘était pas catastrophique ce serait fascinant de voir la science se faire ainsi en direct. C’est une situation tout à fait exceptionnelle, plusieurs fois par jour des publications scientifiques apportent du nouveau, là où habituellement il faut des mois. On a beaucoup raillé les chinois mais leur apport a été et reste essentiel, à ce jour leurs « prédictions » se sont révélées exactes et ils nous annoncent en France une situation similaire au Wuhan. Les dernières publications scientifiques montrent que les chiffres en France sont sous-estimés et serrent plus entre 24 000 et 140 000 selon les modèles statistiques. Alors que penser de ces mesures, d’abord quel déficit de communication ! Le matin, les ministres font le tour des médias en jurant qu’il n’y aura pas de fermeture et le soir le Président ferme tout. Moralité tous les établissements de santé et scolaires se retrouvent dans la difficulté sans avoir pu anticiper quoique ce soit. L’absentéisme résultant de la fermeture des écoles est encore inconnu mais lentement les mairies mettent en place des solutions pour les enfants de soignants, les réseaux se mettent en place, le personnel se sent mobilisé. Lundi 16, dans mon établissement il y aura une absence prévue. Les congés sont annulés, chacun prend ses dispositions. Les couples de soignants étant fréquents, les organisations se mettent en place. Les stocks ont été vérifiés. Les ordres sont contradictoires mais les soignants commencent à reprendre le pouvoir sur les dirigeants comptables, RH et autres. La base est solide, j’ai confiance dans nos équipes, ils ont encaissé des chocs, attentat, inondations, ils tiendront. Ils tiendront si l’intendance suit et si on ne change pas à nouveau de stratégie en cours de bataille. Après s’être moqué des chinois, après avoir raillé les italiens, nos dirigeants commencent à prendre des mesures. Elles sont le minimum. Elles auraient dû être prises, il y a une semaine. Au lieu de devancer l’épidémie et la contrer nous courrons après. Pourtant nous avons toutes les données et les modèles à disposition. Il aurait fallu s’appuyer sur l’exemple italien qui se situe dans un pays occidental et l’épidémie se développe dans sa partie la plus équipée. Nous avons pris du retard. Pourrons-nous le rattraper ? Pas sûr, l’Espagne vient ce jour de décréter le confinement général, les Suisses déploient l’armée et ferment leurs stations de ski. Chez nous toujours pas de restrictions, les frontières ouvertes, les déplacements non limités et je ne parle pas des comportements aberrants. Lors Que Faire (et Lénine n’a rien à voir avec ça). Il existe plusieurs niveaux :
Au niveau individuel être rigoureux sur les mesures barrières, s’astreindre à des mesures de confinement, diminuer ses interactions sociales.
Au niveau social, exiger de ses employeurs, supérieurs, une politique cohérente de protection des populations.
Au niveau gouvernemental, espérer que les bonnes mesures soient prises, elles nécessitent du courage et seront rudes pour tous. Cette situation est aussi une chance de reprendre le pouvoir et de tout cela demain pourra surgir un bien. Nous serons là et vous aidez-nous en respectant les consignes, nous espérons que chacun accomplisse son devoir même le plus minime. C’est tous ensemble qu’il faut mener cette bataille.
Grasse le 14 mars