LE DÉCONFINEMENT DE DIEU
Sur l’ordre du Conseil d’Etat, le Gouvernement a donc été contraint de permettre aux catholiques de retourner à la messe dès le samedi 24 mai. On sait que c’était loin d’être la première préoccupation tant de Véran que de Castaner. La pandémie et l’état d’urgence sanitaire qui se sont ensuivis ont permis à Macron et au Gouvernement d’attenter aux libertés fondamentales, espérant inscrire, sinon aussitôt dans le marbre, du moins déjà dans les esprits — et on sait combien les esprits catholiques sont devenus dociles — le caractère négociable de droits qui, précisément, ne le sont pas, aux yeux des chrétiens comme, du reste, de tout citoyen aspirant à une vraie société de liberté — le christianisme n’a pas invalidé la leçon d’Antigone.
Nous ne pouvons que remercier, évidemment, tous ceux qui ont agi pour obtenir un résultat que le pouvoir voulait retarder après le temps pascal. En portant l’affaire devant le Conseil d’Etat, Jean-Frédéric Poisson a permis à la plus haute juridiction de l’ordre administratif d’exercer sa mission, en enjoignant à l’Etat de renouer avec des libertés fondamentales indûment bafouées. On peut également penser qu’un rapport de forces s’était engagé dans la plus grande discrétion, qui n’a pas dû laisser indifférent les membres de l’institution. Des provocations policières en pleines messes, notamment à Paris, n’avaient pas été du goût d’autorités religieuses qui, depuis deux mois, avaient fait preuve d’une extrême bonne volonté — c’est le moins qu’on puisse dire. Et elles l’avaient fait savoir. La situation devenait aussi ubuesque qu’indigne pour le pouvoir : le Conseil d’Etat l’a compris.
Priver les chrétiens, de la semaine sainte à la Pentecôte comprise, de toute célébration, c’était priver la société elle-même, symboliquement, de temps pascal : c’était la laïciser. Tel était, évidemment, le souhait d’un pouvoir qui a du mal à dissimuler, depuis trois ans, son mépris des catholiques. En tentant de refouler la liberté de culte dans le négociable, le pouvoir a cherché à faire du « monde d’après » un monde où Dieu serait définitivement confiné dans l’espace privé — une lubie libérale ressassée depuis le XIXe siècle. Tel fut le sens des propos, odieusement ridicules, de Castaner, lorsque le ministre de l’intérieur et des cultes prétendit se faire théologien en apprenant aux chrétiens « que la prière n’a pas forcément besoin de lieu de rassemblement », exprimant ainsi une ignorance crasse conjuguée de mépris. Si le culte devient accessoire, alors l’église, comme rassemblement, et comme lieu, à l’instar de Notre-Dame de Paris, qui n’est plus, pour le pays légal, une cathédrale que du bout des lèvres (qu’il s’agit d’affubler d’un « geste contemporain », selon les mots de Macron, c’est-à-dire profane), devient facultative. De cultuelle, elle devient culturelle, voire folklorique… Dans son discours des Bernardins, Macron avait pourtant été suffisamment clair : c’est à une laïcisation du message chrétien qu’il appelait, demandant à l’Eglise de renoncer d’elle-même à ses propres prétentions en matière de vérité : « La voix de l’Eglise, nous savons au fond vous et moi qu’elle ne peut être injonctive. Parce qu’elle est faite de l’humilité de ceux qui pétrissent le temporel. Elle ne peut dès lors être que questionnante. » Vous et moi, questionnante : ou comment non seulement neutraliser la voix de l’Eglise et sa conception de l’homme dans les débats dits sociétaux qui s’annonçaient alors, mais surtout, confondre le temporel et le surnaturel au profit du premier, c’est-à-dire effacer Dieu au profit de César. L’Eglise, humaine, trop humaine…
Telle est une société laïcisée : une société dans laquelle, les sacro-saintes valeurs républicaines absorbant toute question existentielle dans leur paradoxal relativisme, chacun est ramené à soi-même sous la haute protection d’un Créon bienveillant qui confine Dieu, la transcendance et, avec, nos libertés fondamentales. Le dé-confinement de Dieu a également un sens politique, face à l’arrogante théocratie républicaine.
François Marcilhac