Par Antoine de Lacoste
« Depuis 2018 , l’Arménie est dirigée par Nikol Pachanian, un ancien opposant démocrate porté au pouvoir par des manifestations populaires, et cultivant (prudemment ) une rhétorique d’indépendance politique vis à vis de son grand protecteur. Pas tellement au goût du Kremlin qui mesure à cette aune son soutien à ce pays allié » (NDLR)
La Russie a tranché. Elle prend acte de la défaite militaire des Arméniens, accorde à l’Azerbaïdjan de reprendre ses territoires reconquis, mais aussi une partie du Haut-Karabagh, et oblige tout le monde à cesser les combats.
Il s’agit clairement d’une reprise en main après des semaines de discussions stériles, de cessez-le-feu non respectés, d’observation, voire de passivité. La Russie a choisi de ne pas aider son allié arménien, avec qui elle a pourtant un accord de défense, et de laisser la situation militaire se décanter. La chute de la ville stratégique de Chouchi , ouvrant la voie vers la capitale Stepanakert, a sonné le glas des espoirs arméniens.
Contrairement aux autres, ce cessez-le-feu sera respecté car aussitôt après son annonce, deux mille soldats russes accompagnées de blindés ont pénétré dans le Haut-Karabagh pour garantir les termes de l’accord signé dans la nuit du 9 au 10. C’est Poutine lui-même qui a annoncé la signature de l’accord : « Le président de l’Azerbaïdjan Aliev, le premier ministre de l’Arménie Pachinian et le président de la Fédération de Russie ont signé une déclaration annonçant un cessez-le-feu total et la fin de toutes les actions militaires. »
L’accord est encore flou sur de nombreux points, en particulier le statut du Haut-Karabagh. Mais il est certain que les Azéris ont obtenu ce qu’ils étaient venus chercher : la reconquête (probablement définitive) des territoires entourant le sud et l’ouest du Haut-Karabagh que l’Arménie lui avait enlevés en 1994 et la création d’un corridor reliant le Nakhitchevan (territoire autonome azéri situé au sud de l’Arménie) à l’Azerbaïdjan. Un deuxième corridor est créé par l’accord et permettra de relier l’Arménie au Haut-Karabagh. L’armée russe est déjà sur place pour sécuriser ces deux corridors.
Les médias et les diplomates soulignent dans l’ensemble le retour en force de la Russie qui a repris la main et s’est à nouveau imposée comme l’unique arbitre de ce conflit si proche de ses frontières. C’est exact et, forte de ses succès militaires, l’armée azérie était prête à poursuivre l’offensive et aurait sans doute conquis la capitale si Moscou ne l’avait pas obligée à s’arrêter net. Poutine a été paradoxalement aidé par la destruction d’un hélicoptère russe par l’Azerbaïdjan : cet hélicoptère survolait l’Arménie et accompagnait des blindés russes, hors du champ de bataille. Terrifié par cette erreur, le président Aliev s’est platement excusé sachant que la riposte russe pouvait être terrible et remettre en cause tous ses succès militaires.
Poutine a eu alors beau jeu de passer l’éponge et d’obliger Aliev à cesser les combats.
Mais gardons-nous de penser qu’il s’agit d’un triomphe russe. L’intrusion turque dans ce conflit gagné grâce à ses drones (bourrés de composants américains et européens, rappelons-le) et ses avions (américains), font d’Erdogan un vainqueur partiel : il a montré que, contrairement à la Russie, son allié avait bénéficié de son soutien total. Certes les Russes ne sont pas ennemis de l’Azerbaïdjan et c’est pour cela que la situation était très délicate pour eux, mais c’est tout de même la première fois que la Turquie s’aventure dans cette région et elle y gagne, grâce au corridor du Nakhitchevan un accès direct à l’Azerbaïdjan et donc à la Mer Caspienne : c’est tout de même beaucoup.
Quant à la France, très liée à l’Arménie, elle a été inexistante, mais qui s’en étonnera ?