L’ éditorial de François Marcilhac
En ce début d’année, comment ne pas tout d’abord nous tourner vers la famille qui incarne l’espérance française ? Oui, que tous nos vœux accompagnent le comte de Paris, Madame, le jeune dauphin Gaston, ainsi que ses frère et sœurs. S’il est vrai qu’une cité est une famille de familles, alors, qui mieux que la Famille de France peut représenter notre pays, son unité, sa tradition nationale et son avenir ?
SAVOIR DISTINGUER LES ORDRES SANS LES OPPOSER
En ce sens, on peut dire que la monarchie royale, mieux que tout autre régime politique, pour un vieux pays comme la France, fondé et littéralement fait par une dynastie nationale, traduit, au plan politique, cette écologie humaine, à savoir l’alliance de la loi naturelle et de la loi historique, sans laquelle il n’est pas de cité viable, ni même souhaitable. En ce sens aussi, il ne sert de rien de séparer l’humanisme de la politique, dans un relativisme éthique, voire un radicalisme ethnique, contraires à la civilisation française. Car ce n’est pas parce que la globalisation prostitue la notion même d’universalité et le mondialisme instrumentalise la fraternité humaine en réduisant l’homme à son utilité immédiate visant un néo-esclavagisme, qu’il faudrait rejeter nos principes au prétexte d’une légitime aspiration à protéger, voire à recouvrer notre identité. Le nationalisme maurrassien fut toujours ouvert sur l’universel, à tel point que l’Action française regretta le surgissement, à la fin du moyen âge, du fait national lui-même, brisant ce que Maurras appelait, après Renan, pour la louer, la République chrétienne. C’est en 1917, en plein conflit avec l’Allemagne et l’Empire austro-hongrois, qu’il écrit : « C’est le malheur des siècles et la suite funeste de nos révolutions qui ont voulu que de nos jours les nations deviennent des intermédiaires inévitables pour ces rapports humains qui, sans elles, s’effondreraient. Il n’en a pas toujours été ainsi. Il fut un temps où l’Internationale ne dépendait pas des nations, mais les présidait et les commandait. » Ajoutant, en 1926 : « Au point de vue humain, la division de l’Europe en nations indépendantes, affranchies de toute communauté, plus vastes et promises par là à une rivalité sans frein, n’est certainement pas un progrès ». Puis, en 1937, saluant l’engagement antinazi de Pie XI : « L’étoile d’un espoir nouveau vient de se montrer, je ne dis pas sur le ciel de la politique internationale, mais sur un plan supérieur, plus qu’international, spirituel, celui de la Civilisation. » C’est pourquoi Maurras ne transigea jamais, et ne transigerait pas davantage aujourd’hui, sur la définition de l’Église comme « la seule internationale qui tienne », ni sur celle du pape comme père commun de l’humanité. Évoquant la neutralité de Pie X en 1914, il soulignait : « Le bon et généreux Vénitien qui mourut de la guerre par sa pitié du Genre humain traita tous les Européens en lutte avec l’égalité d’un père, comme ses propres et légitimes enfants, selon la loi de sa fonction universelle. »
C’est pourquoi, même si, parfois, en tant que nationalistes français, nous avons, ce qui est notre droit, du mal à approuver certains discours du pape actuel, s’agissant notamment de l’immigration, en revanche, nous n’avons jamais à sortir de notre devoir de réserve, que fonde précisément notre refus de confondre les ordres. Notre opposition légitime à tout laxisme en matière de politique migratoire comme notre volonté tout aussi légitime de préserver l’autonomie du domaine politique, ne sauraient être le prétexte à un quelconque néo-gallicanisme, aussi ridicule que vain, et qui ne fut jamais dans la tradition de l’Action française. C’est vers l’avenir que nous regardons, non vers des oppositions stériles appartenant au passé.
L’ACTION FRANÇAISE : LE PARTI DES POLITIQUES
Car tel est le sens, à l’aube de 2021, de ces rappels apparemment historiques : à l’heure où, sur fond, bien commode, de pandémie, les nuages s’amoncellent, rien ne serait pire que de se tromper de combat. À l’heure où Macron instrumentalise le patriotisme, voire le nom de Maurras, pour mieux dissoudre la nation française dans une pseudo-souveraineté européenne, qui n’est que le prête-nom du mondialisme ; à l’heure où, ce faisant, il cherche par tous les moyens, même légaux, à réduire, au nom de cette même pandémie, nos libertés publiques ; à l’heure où, se servant des dangers réels du communautarisme islamiste, il vise à dissoudre la nation française dans un conception kaléidoscopique de son identité ; à l’heure où, sous prétexte d’être moderne, il menace, à coups de lois sociétales, l’identité même de la famille et de l’être humain, rien ne serait plus préjudiciable à notre combat pour la nation, qui est aussi un combat pour l’homme, que de ne pas savoir définir les priorités, voire les menaces.
L’Action française se conçut explicitement dès l’origine comme le parti des politiques, à l’image de celui qui se constitua à la fin du XVIe siècle pour mettre fin à la guerre des religions. Comme l’écrit Maurras dans La Politique de Ronsard, celui-ci, en 1581, s’est « rallié à ce groupe d’esprits réfléchis qui devait, douze ans plus tard, se définir dans la Satire Ménippée ; à ce parti, composé avant tout de patriotes, protestants ou catholiques, qui, désespérés de voir le pays se déchirer pour des questions de dogme et de discipline, fraya le chemin du trône à Henri IV, restaurateur de la Patrie. » C’est la raison pour laquelle Maurras pensa, sur le modèle du parti des politiques, l’Action française comme un « compromis laïc », fondé sur un empirisme organisateur permettant, par-delà les disputes métaphysiques sur le vrai et le beau, de retrouver les conditions de la pérennité et de la prospérité de la nation et de la société françaises. Un compromis laïc dont devraient s’inspirer nos élites aujourd’hui, plutôt que de fomenter des lois visant à lutter contre le séparatisme islamiste mais qui, en ignorant les fondements de la nation française, au nom d’une laïcité haineuse conçue pour extirper les racines chrétiennes de la France, ne feront au mieux que manquer leur objet, au pire que favoriser ce même séparatisme.
LE CRITÈRE INSUFFISANT DE L’UTILITÉ SOCIALE
En effet, qu’on ne se méprenne pas : ce compromis laïc ne fut jamais prétexte à quelque relativisme que ce soit, s’agissant notamment des fondements éthiques des choix politiques et sociaux. Au contraire, Maurras admirait comment, par des chemins différents, l’enseignement traditionnel de l’Église, en matière sociale et politique, était confirmé par l’empirisme organisateur. Il rejoignait ainsi d’avance Benoît XVI dans son discours du 7 septembre 2010 de Westminter Hall : « La tradition catholique soutient que les normes objectives qui dirigent une action droite sont accessibles à la raison, même sans le contenu de la Révélation. » Les interdits en matière politique et sociale ne sauraient donc être réduits à de simples a priori religieux, qu’il faudrait être croyant pour accepter.
C’est pourquoi l’Action française insiste tant, au sein même de son combat, sur les lois sociétales en cours, qu’il s’agisse de la défense de la famille, « base de la nation », ou de celle de l’homme individuel, de sa conception à sa mort naturelles — nous mettons « naturelles » au pluriel, puisque désormais le mode même de sa conception se trouve menacé d’artificialisation par les nouvelles lois en cours de discussion. L’ « utilité sociale », en effet, ne saurait suffire à elle seule à fonder le combat de l’Action française. Comble du paradoxe : l’Action française se retrouverait alors dans le camp progressiste de l’utilitarisme, fruit de l’idéologie des lumières (l’anglais Bentham), et dont les héritiers justifient aujourd’hui toutes les monstruosités anthropologiques au nom de la réduction de l’homme à son « utilité » sociale — PMA, GPA, avortement, néo-naticide, élimination des vieillards improductifs ou des handicapés physiques ou mentaux — c’est explicitement au nom de l’utilité sociale que les nazis commencèrent d’éliminer ces derniers —, euthanasie, transhumanisme, le tout sur fond d’antispécisme : il n’est que de se reporter aux travaux du philosophe utilitariste australien Peter Singer.
Au contraire, l’enseignement de l’Action française et son combat pour la monarchie royale transcendent une notion aussi étroite et finalement incertaine, si elle n’est pas transcendée par celle du Bien commun. Car elle nie alors la spécificité de la civilisation française et, finalement, de l’homme lui-même. Maurras nous a appris que l’humanisme et le politique doivent voguer de conserve. Plus même : dans la grande tradition thomiste, que le second était au service du premier, sans qu’il y ait d’opposition possible, sinon conjoncturelle, puisque l’homme a été conçu, pour les chrétiens, et se trouve être, selon les lois dégagées par l’empirisme organisateur, un être politique, au sein duquel la Personne aspire au spirituel le plus pur. En ce sens, la Politique naturelle ouvre sur un humanisme intégral. L’inquiétude légitime devant les menaces qui se précisent, voire, déjà, se concrétisent, ne doit jamais nous conduire à oublier notre aspiration à voir, grâce au retour de son roi, pensant en prince chrétien et agissant en prince français, la France, « Fille aînée de l’Église et éducatrice des peuples » (Jean-Paul II), redevenir « la civilisatrice et l’institutrice du monde » (Maurras).
François Marcilhac