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Anne Coffinier : L’école hors contrat au secours de l’enseignement rural ?

Recension d’Olivier Perceval

Anne Coffinier n’est pas une inconnue pour ceux qui suivent habituellement le site https://www.actionfrancaise.net. Après avoir été remerciée par le conseil d’administration de la fondation pour l’école dont elle était elle-même la principale fondatrice, Anne Coffinier diplômée de Normale sup et de l’ENA a fondé la Fondation Kairos pour l’innovation éducative dans le but de soutenir et développer les écoles hors contrat basées sur la liberté pédagogique et libérées des contraintes d’une administration national centralisée, souvent fort éloignée du terrain.

Anne Coffinier a publié une tribune dans le magazine Marianne, dont voici les principaux éléments :

Avec le Covid et l’essor de la conscience écologique, nous sommes de plus en plus nombreux à nous sentir une vocation de néo-ruraux. Le luxe, c’est le temps, c’est l’espace, comme dit la publicité. C’est aussi l’air pur et la beauté. Le retour à la terre, au charnel, à l’enracinement, l’écologie et la permaculture, en réaction à ce monde d’arrachement et de virtualisation des relations…. Bien sûr, bien sûr ! Mais la ruralité en 2021, c’est aussi la cohabitation hasardeuse avec ceux qui n’ont jamais quitté leur vallée ou leurs montagnes et qui ne comprennent pas la passion soudaine des citadins à venir jouer les Jean de Florette là où eux-mêmes peinent à vivre et à faire encore société. La grande ruralité, c’est aussi les territoires en forte déprise démographique, où la couverture internet est capricieuse quand elle n’est pas inexistante, où les services publics sont réduits à la portion congrue, la vie culturelle minimaliste, les transports chronophages…

L’ÉCOLE RURALE EN DANGER

Ce qui est certain, c’est que la grande ruralité n’a pas d’avenir si elle ne trouve pas le moyen de garder ou d’attirer des jeunes familles sur son territoire. Et ça passe d’abord par les écoles. La Fondation Kairos pour l’innovation éducative vient d’organiser un séminaire-action sur ce sujet à l’Institut de France, réunissant des élus ruraux et nationaux, des créateurs et développeurs d’écoles pour identifier les moyens d’assurer l’avenir de l’école rurale.

L’école rurale, et nous n’en sommes peut-être pas assez conscients, est l’archétype même de l’école communale, qui a d’ailleurs été historiquement pensée et conçue pour le monde rural. Aujourd’hui encore, 20% des élèves étudient en ruralité et 34% des écoles en France sont rurales. Pour le chancelier Darcos, président de la Fondation et ancien sénateur de Dordogne, « l’école rurale est un mythe au sens barthésien du terme de l’histoire française.  (…) L’école est conçue comme le lieu scolaire mais aussi le lieu central de la commune. »

C’est dans cette école à classe unique ou multiniveaux que tant d’inventions pédagogiques ont été faites et cette formule pédagogique donne aujourd’hui encore, pour le primaire, de meilleurs résultats que ceux des écoles de centre-ville. En revanche aujourd’hui, à la différence des écoles normales, les INSP ne forment hélas plus à enseigner dans ce type de contexte pédagogique, en classes multiniveaux, avec une forte implication dans la vie communale. Ce sont des traditions fécondes qui sont ici menacées.

Malgré son succès académique et son importance pour la vitalité du village dans son ensemble, les écoles rurales sont fermées à tour de bras, selon une logique de rationalisation budgétaire, l’étape intermédiaire étant souvent le regroupement des enfants en RPI (regroupement pédagogique intercommunal). C’est souvent un drame. Les familles ne sont pas prêtes à faire des kilomètres et finissent par abandonner leur village parce qu’il n’a plus d’école. Ces fermetures ont été décidées unilatéralement par l’Éducation nationale, qui, comme l’explique Max Brisson, sénateur des Hautes-Pyrénées et inspecteur général honoraire de l’éducation nationale, se pense (à tort) comme une administration régalienne et n’a pas la culture de la concertation et de la contractualisation avec les territoires. Comme l’explique David Djaïz, haut fonctionnaire et essayiste, il faudrait faire davantage confiance aux acteurs et davantage coopérer que nous ne le faisons aujourd’hui, et définir les RPI ou la carte scolaire en étroite coordination avec ces élus locaux. Mais, comme le disent les sociologues des organisations Oivier Borraz et Henri Bergeron : « La France est un pays saturé d’organisations mais qui organisera les organisations ? »

Face à ces logiques administratives brutales, des acteurs de terrains se battent pour préserver leurs classes, innover et expérimenter. Encore faut-il que l’État laisse les territoires expérimenter et déroger aux lois générales, comme c’est toléré de la part des territoires de REP+ en banlieues. C’est ce que réclament les élus locaux, tel le député du Loiret, Richard Ramos, ou Valentin Josse, maire et vice-président du conseil départemental de Vendée, qui dit ne rien attendre d’autre de l’État que la latitude nécessaire pour expérimenter au niveau local.

« Je crois au pluralisme des solutions, dit le sénateur Brisson. Il faut sortir donc d’une culture au cordeau et à l’équerre. (…) Faire de vraies conventions issues du terrain et non pas descendant de la rue de Grenelle et imposée aux territoires (…) La confiance de ces derniers est érodée car les conventions de ruralité ont souvent été le faux nez pour fermer les écoles. » Et Xavier Darcos, ancien ministre de l’Éducation nationale, d’abonder à ces propos girondins : « c’est une utopie que de croire qu’on puisse depuis Paris gérer de manière unique et totale l’ensemble du système éducatif. »

LES ÉCOLES LIBRES, UNE SOLUTION ?

Certains élus ont su soulever des montagnes pour innover localement malgré la pesanteur administrative de la capitale. Ainsi Sophie Gargovitch a-t-elle sauvé de la fermeture son école de village en la convertissant son école publique en école Montessori, ce qui a convaincu de nombreuses familles, de nouveaux commerces et professions libérales de venir s’installer chez elle, à Blanquefort-sur-Briolance dans le Lot-et-Garonne… C’est aussi le cas de Tursac en Dordogne.

Mais la plupart des expériences innovantes de redynamisation scolaire de village ruraux se sont réalisées à travers la création d’écoles libres, à l’initiative ou avec le fort soutien de la municipalité.

Le sénateur Max Brisson a souligné lors du colloque de la Fondation Kairos que « la guerre scolaire est un luxe qu’on ne peut pas se payer dans un territoire en grande déprise démographique. » Fonder une école libre est évidemment une solution pragmatique, pour assurer la continuité scolaire, se substituer à l’école publique fermée par l’État, et développer une offre scolaire au plus près des attentes des parents locaux et des atouts du territoire.

« Pourtant, ces actions de revitalisation rurale ne reçoivent aucun encouragement ni aucun financement public »

C’est ainsi que se sont développées de nombreuses écoles libres associatives à l’instigation directe de maires ruraux déterminés à rouvrir leur école. Comme l’école libre Montessori de Saint-Pierre-de-Frugie ouverte par Marcel Chabaud, dans le cadre d’un projet global donnant une forte place au patrimoine et à l’écologie. Son initiative intégrée a rencontré un succès exceptionnel et a conduit le village à passer de 360 à plus de 500 habitants. Il ne compte pas moins de 52 élèves inscrits pour la rentrée prochaine. Autre exemple, la renaissance de l’école de Puy-Saint-Vincent dans les Hautes-Alpes grâce à l’ouverture d’une école libre par le maire Marcel Chaud. Fondation qui a convaincu l’Éducation nationale de rouvrir une classe dans ce village de Montagne. On pourrait citer aussi l’école maternelle et élémentaire libre ouverte à Montherlant dans l’Oise, ou l’école libre ouverte à Céré-la-Ronde, grâce à la mobilisation financière du maire et des conseillers municipaux qui sont allés jusqu’à donner leur solde d’élus pour rémunérer les professeurs.

Parfois c’est l’école catholique qui ferme et qui est reprise et sauvée par des parents qui se réunissent en association à but non lucratif pour sauver l’école. Ce fut le cas tout récemment à Saint-Nicolas De Briennon dans la Loire, à l’initiative d’un groupe de parents catholiques et de professeurs, dont certains issus d’un éco-hameau situé à la Bénisson-Dieu. A la Bussière dans la Vienne, l’école Gilbert Bécaud s’est installée dans l’ancienne école publique, sous les fenêtres du maire. À chaque fois, c’est un village qui renaît !

Pourtant, ces actions de revitalisation rurale ne reçoivent aucun encouragement ni aucun financement public. Le droit en vigueur porte encore les stigmates de la guerre scolaire et interdit presque toutes les subventions de la part des collectivités locales aux écoles libres. Nombre de maires rêveraient de pouvoir utiliser le forfait communal qu’ils doivent verser aux communes voisines pour les élèves provenant de leur commune à une école qui serait située sur leur propre territoire. Mais c’est impossible et ces écoles ne peuvent attendre de secours que des donateurs privés.

« Faut-il encore que la passion égalitariste et technocratique de la France ne prenne pas le dessus sur ces jeunes pousses »

Si l’on veut faciliter l’essor des écoles rurales, il faudrait débloquer les possibilités de financement public sur la base du volontariat, alléger les règles interdisant à des personnes de diriger des écoles si elles n’ont pas cinq ans d’expérience dans un établissement d’enseignement, et améliorer les transports, le droit de l’urbanisme pour que les PLUi cessent d’empêcher les nécessaires constructions pour l’école ou les familles attirées par l’école, apporter du soutien administratif  et de la mise en réseau aux maires et créateurs d’école – ce que l’association Créer son école s’est proposée de faire -, innover notamment grâce aux campus connectés pour permettre des poursuites d’études supérieures tout en restant au pays (car aujourd’hui 23% des élèves ruraux, bien qu’ils aient en moyenne de meilleurs résultats, ne poursuivent pas après le bac contre 15% en moyenne nationale).

Les pionniers ont ouvert la route pour assurer un bel avenir à l’école rurale. Faut-il encore que la passion égalitariste et technocratique de la France ne prenne pas le dessus sur ces jeunes pousses. Il faudra être vigilants !