Par Platon du Vercors
Je pense qu’a priori la plupart de nos lecteurs aspirent à être libres. C’est-à-dire qu’ils veulent être responsables de leur destin professionnel, amoureux et familial avec néanmoins la part de hasard et de chance qui réside dans cette vie. C’est une liberté d’adulte qui souvent entraîne autant voire plus de devoirs que de droits. Par ailleurs, certains métiers ne peuvent être exercés qu’avec des diplômes (la médecine), d’autres non (tout le monde a le droit d’écrire un livre ou de créer un site web) ce qui restreint le nombre de libertés. De même, le mariage marque le renoncement à des enfantillages amoureux éventuels pour un choix de vie qui entraîne des devoirs.
En revanche, si on demande à un enfant quand pense-t-il qu’il est libre, il vous répondra « Quand je m’amuse avec mes copains donc pendant les vacances, les week-ends ou à la récré ». Il se voit libre quand il ne travaille pas, même s’il ne remet pas en cause la nécessité d’apprendre à l’école. Pour un enfant, la liberté réside dans l’activité de loisir. Il serait idiot de lui reprocher cette vision de la liberté, elle est parfaitement normale à son âge.
Pour un adulte, cette vision de la liberté conduit directement au chômage, voire largement pire. Or le mouvement de mai 68 a consisté à renoncer volontairement à cette liberté d’adulte dans l’espoir de conserver une liberté d’enfant pour la vie. Ainsi les slogans de mai 68 sont d’une puérilité déconcertante et ressemblent pour ces raisons souvent à des slogans publicitaires qui ont pour vocation à nous faire rêver.
L’exemple de Hara-Kiri/Charlie Hebdo est particulièrement éclairant : la rigolade permanente, voilà ce qu’était leur credo. Ils avaient du talent (Cabu, Wolinski) et ils avaient décidé de s’amuser toute leur vie. Entendons-nous bien, ces personnes travaillaient mais je pense que leurs conférences de rédaction, à part la dernière, devaient consister rapidement à se taper sur les cuisses.
Il en va de même pour l’essentiel des humoristes passé par Canal+ (les Nuls, Robin des bois, monsieur Poulpe, Alison Wheeler, etc…) : ils sont là pour rire et nous faire rigoler.
On comprend alors mieux leur détestation du français moyen. Un ouvrier, artisan ou employé qui travaille avec sérieux, ce n’est pas drôle, c’est bien trop sérieux. On lui préfère naturellement le migrant encore inactif. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ce que l’on voit le moins souvent à l’écran (à la télévision comme au cinéma), c’est une personne qui exerce son métier. Le travail n’est pas amusant en soi, donc on ne le filme pas. Même si, évidemment, le travail peut générer des bonheurs bien supérieurs à une tranche de rigolade.
Mai 68 a donc consisté essentiellement au renoncement à cette liberté d’adulte (la France des années 60 était évidemment un pays où régnait cette liberté) pour une liberté d’enfant appliquée à des adultes.
Il est sans doute frustrant de découvrir lors de l’adolescence que notre vie ne va plus consister à principalement s’amuser et que les loisirs divers vont relever de la portion congrue (même pas le week-end entier).
Mais que voulez-vous, c’est cela, la vraie liberté : le travail d’abord pour subvenir à ses besoins. C’est sans doute moins attrayant, mais c’est la vraie vie.