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La « grande fureur d’honnêteté » des progressistes

Par Liam Seviso

Le militantisme progressiste s’introduit de plus en plus dans l’art et les disciplines intellectuelles. Le sentiment l’emporte sur la raison. C’est la victoire de la « moraline » alors même que toute forme de mesure hérité de la moral chrétienne est jetée au bûché comme étant une obsession de vieux réactionnaires.

Récemment, Alice Zéniter, prix Goncourt 2017, dans une interview vidéo accordée à France Culture offrait une lecture effarante de Madame Bovary. Elle déplorait que « C’était tout le temps ces existences un peu de la pesanteur domestique. Ou alors c’est des existences adjuvantes aux hommes. » La romancière réduisait donc le travail flaubertien à la mise en scène d’une femme peu inspirante existant seulement par rapport à son mari et ses amants. Oui, Madame Bovary n’a que peu d’être en dehors de ses rêveries romantiques et de ses amants, c’est bien là son intérêt. Zeniter semble nous dire qu’elle aurait préféré voir une héroïne féminine maîtresse de sa vie, à laquelle s’identifier pour être une femme libérée. Or, est-ce ce que l’on demande à la littérature ? L’identification à un personnage est certes la première étape de l’appropriation d’une œuvre. Cependant, il s’agit là d’un niveau de lecture assez faible. Si l’auteur est tout à fait légitime à avoir une lecture émotive d’une œuvre, l’exigence intellectuelle devrait l’obliger à ne pas réduire une œuvre et son intérêt à cela. Flaubert construit l’histoire de Madame Bovary pour railler l’esprit romantique de son siècle, il lui refuse toute grandeur et l’enferme dans la médiocrité. Cela non pas pour rabaisser la femme ou en faire un contre modèle (d’ailleurs Charles Bovary est tout autant, voire plus, médiocre et moqué que sa femme.) mais parce qu’il fait œuvre d’écrivain. Il pose un regard sur le monde, un pas de côté donnant une hauteur de vue sur son temps. Il ne faudrait pas faire de la littérature un tract néo-féministe.

Baudelaire, quelques mois après le procès de Madame Bovary, en 1857, se voit ordonner par le même procureur qui acquittera Flaubert, M. Pinard, de retirer six poèmes des Fleurs du mal. Le poète dénonce alors «la grande fureur d’honnêteté qui s’est emparé du théâtre et du roman. […] Moralisons ! Moralisons ! S’écrient-ils avec une fièvre de missionnaire […] dès lors l’art n’est plus qu’une question de propagande. ». Ces mots vieux de deux siècles résonnent tristement aujourd’hui. La littérature contemporaine, comme le cinéma, fait la course à la «représentation » des minorités, à la normalisations du caprice individuel, à celui qui dénoncera le plus fort même quand il n’y a rien à dénoncer. Dès lors, quelle est la raison d’être de la littérature ? Georges Bernanos dans Madame d’argent (1928) met en scène un illustre homme de Lettres méprisant secrètement sa femme et la trompant en pensées avec ses héroïnes. Pour Bernanos, ce personnage incarne ce que la littérature ou le littérateur n’est pas : un homme figé, coupé de la vie et figeant la littérature avec lui. Les militants sont figés, ne voyant le monde qu’à travers leur prisme, ils ne peuvent concevoir la littérature. Pour Bernanos ce qui distingue l’écrivain du vulgaire homme de Lettres est l’appel à la littérature, vocatus.L’écrivain est celui qui, à l’écart du monde, trouve la nécessité d’écrire
comme d’un travail. L’écrivain, contrairement à l’homme de Lettres est appelé pour répondre à un impératif de son temps, à poser son regard sur le présent, pas pour le réduire mais pour l’interroger, le comprendre.

Que l’on nous pardonne d’être plus bernanossiens que zeniteriens, s’il y a une lutte à mener en littérature, c’est celle de l’homme se débattant avec sa propre ignorance face au mystère de sa condition.