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Près de 10 000 personnes avaient fait le déplacement l'an dernier.

La francophonie des affaires, enfin ?

Texte de Philippe Kaminski, (envoyé par le Carrefour des acteurs sociaux)

Nous avons reçu ce texte qui nous réjouit, car il annonce un virage important dans la manière d’appréhender la francophonie. On passe de l’évocation éthérée d’une langue moribonde à la proclamation de la nécessité d’utiliser cette langue bien vivante, non pour promouvoir quel qu’idéologie humaniste, mais pour échanger, commercer, bref faire des affaires avec 512 millions de locuteurs. (NDLR)

L’an passé, la Francophonie institutionnelle a fêté ses cinquante années d’existence. Occulté par la crise sanitaire, cet événement n’aura guère marqué les esprits. Qui s’en souvient, qui s’en soucie ? Du bilan, hélas assez maigre, de ce demi-siècle de sommets, de déclarations et de manifestes, une conclusion se dégage néanmoins : cette Francophonie-là, celle des diplomates, des fonctionnaires et de l’argent public, aura marginalisé puis absorbé sa sœur aînée, la francophonie libre et spontanée née des rencontres privées ou professionnelles entre locuteurs, défenseurs ou amoureux de la langue française, d’où peuvent naturellement éclore complicités et communautés d’intérêt.

Et, comme tout monopole, elle aura contribué à assécher, à stériliser son domaine. Car elle pâtit, depuis ses origines, d’un vice rédhibitoire, à savoir son intellectualisme. Plus encore que politique, sa démarche est administrative, et ses priorités devenues exclusives sont d’ordre culturel, obéissant à cet axiome implicite qui veut que seuls les échanges intellectuels peuvent, sans heurter personne, amener progressivement peuples et nations à unir leurs destins dans une même confraternité.

Dès les tous premiers mots, tout oppose le Commonwealth et la Francophonie. Chez les uns, on parle d’emblée de richesse, et chez les seconds, on se contente de langue en partage. Cette dernière formule, qu’on pourrait attribuer à un curé en mal de consensus œcuménique, est certes bien belle, mais touchante de naïveté et porteuse d’immobilisme. Là où les anglophones promettent qu’en travaillant ensemble, chacun deviendra plus riche, nous évoquons le partage, forcément frugal et équitable, d’un bien aussi immatériel qu’une devise gravée au fronton d’une Préfecture.

S’enrichir c’est concret, mais finalement peu engageant. Alors qu’adhérer à un projet intellectuel, non seulement cela ne rapporte rien de sonnant ni de trébuchant, mais c’est déjà choisir un camp, une idéologie. Ce qui fait que malgré d’infinies précautions oratoires, la Francophonie s’est fait des ennemis, et ce depuis le début. Le plus visible et le plus irréductible est l’Algérie, mais le plus redoutable et le plus vivace est certainement l’ennemi intérieur, cette coalition de sorbonnards pour qui toute affirmation du fait français, même la plus timide, n’est qu’une intolérable manifestation impérialiste de domination et de néocolonialisme.

Et pourtant, ces dénonciateurs savent bien à quel point la Francophonie est devenue le cadet des soucis des autorités françaises et combien la part de l’Afrique dans le commerce extérieur français s’est réduite jusqu’à devenir tout à fait marginale. En fait, leurs discours hors sol, tout comme leurs attaques contre le franc CFA, ne sont que l’expression d’un besoin désespéré de quelques survivants du tiers-mondisme germanopratin de continuer à exister, et de se donner l’illusion de peser sur la marche du monde en faisant offrir colonnes et tribunes à leurs ex-étudiants africains devenus leurs disciples et continuateurs. Jadis, l’Université française avait ainsi produit un Ho Chi-Minh, puis un Pol Pot. Leurs successeurs ne sont plus que des écrivassiers de troisième zone dont les arguments ridicules ne trouvent d’écho que parce que, justement, c’est la nature de la Francophonie institutionnelle que de les susciter, à force de brasser idées creuses et proclamations convenues.

En plus de ces ennemis qu’elle ne sait pas faire taire, la Francophonie souffre de la présence d’écornifleurs, pays n’ayant qu’une inclination réduite pour la langue française mais soucieux d’occuper un strapontin dans cette ONU du pauvre qu’elle est progressivement devenue.

Pragmatiques, les Québécois sont finalement les seuls à avoir réellement su profiter de leur fort investissement francophone. Et il n’est pas impossible que ce soient leurs insolents succès qui ont récemment provoqué une réaction, qu’on espère salutaire, du patronat français : et si nous tirions avantage, nous aussi, du fait francophone, qui réunit 512 millions de locuteurs et compte pour 16% du PIB mondial ?

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C’est ainsi que le MEDEF vient de réunir, à l’hippodrome de Longchamp, un vaste aréopage de personnalités de nombreux pays, tant politiques que représentant le monde des affaires, autour du projet de donner réellement consistance à une dimension économique de la Francophonie. C’est la première fois qu’un événement de cette ampleur est organisé sur ce thème. C’est la première fois que les organisations patronales francophones cosignent une déclaration qui pose explicitement les termes d’une ambition commune.

Certes, des colloques internationaux, il s’en tient des centaines chaque année. On les oublie vite. Et celui-ci a eu lieu au mois d’août, qui plus est dans un contexte où l’opinion comme les gouvernants ne sont préoccupés que par la situation sanitaire. Il ne faut donc pas exagérer l’importance d’une brochette de signatures prestigieuses au bas d’un texte de portée générale. Il faut attendre d’en voir les premiers effets. Cependant, pour qui a pu suivre sur une longue période l’évolution du monde des affaires par rapport à la question francophone, le retournement est total. C’est une époque nouvelle qui est, peut-être, en train de s’ouvrir.

Lors de la naissance de la Francophonie en 1970, le président du CNPF était Paul Huvelin. Deux ans plus tard, lui succédait François Ceyrac, un réactionnaire de la vieille école dont il portait toutes les qualités aujourd’hui regrettées et tous les défauts abondamment caricaturés. Les entreprises françaises présentes en Afrique ne se sentaient pas trop menacées et les questions linguistiques ne se posaient pas encore de manière aiguë. Rue Pierre 1er de Serbie, on parlait un français châtié.

Et bien que le successeur naturel de Ceyrac (Yvon Chotard) ait été battu en 1981 par Yvon Gattaz, il n’y eut pas alors de rupture, car l’essentiel de l’énergie du nouveau président (et il en avait !) fut consacré à l’affrontement avec le pouvoir socialiste. C’est en 1986, année de la première cohabitation, que l’arrivée de François Périgot marqua le tournant de la mondialisation. Venant d’Unilever, le nouveau président des patrons entendait internationaliser les entreprises françaises à marche forcée, et bien entendu il préférait s’exprimer en anglais. Tout ce qui touchait à la francophonie lui semblait ringard, passéiste, inefficace. Avec ce parti-pris, le fait que la Francophonie ne voulait pas s’intéresser à l’économie ne pouvait que lui donner raison.

Je ne vois pas, proclamait-il, pourquoi nous parlerions anglais moins bien que les autres. Il n’y avait pas là forcément malice ; pour être le plus compétitif, autant ne pas partir avec un handicap. Sans doute croyait-il sincèrement que le monde entier parlait anglais, ou allait très bientôt le faire, et que s’accrocher au français était aussi stupide que de rouler en diligence ou de s’éclairer à la lampe à pétrole. Il s’est lourdement trompé, mais il a donné au CNPF, devenu plus tard MEDEF, un état d’esprit, une impulsion, qui auront été la norme durant 35 ans. C’est peut-être ce qui est en train de changer sous nos yeux.

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Car plus que la rédaction elle-même des textes des résolutions adoptées à Longchamp, il y a dans la succession des arguments, dans les intonations des orateurs, des éléments qui auraient été impensables il y a encore quelques années. Je me souviens, ce devait être en 2004, d’avoir entrepris une recherche de mécènes privés pour la restauration du château de Villers-Cotterêts, avec un certain soutien du Maire. Je dus vite l’interrompre, n’ayant aucun goût à passer durablement pour un imbécile. Car partout, et même à la Caisse des Dépôts, je me heurtai aux deux mêmes évidences : d’une part les entreprises ne financent que ce qui est bon pour leur image, c’est à dire l’ouverture, l’inclusion, tout le contraire de la francophonie qui n’évoque qu’un repli rabougri et dépassé, et d’autre part notre projet ne pouvait relever que d’un financement public, donc politique, soit de la culture, soit de la coopération, car bien entendu Afrique égale aide et rien d’autre.

Je ne suis pas pour grand’chose dans les évolutions qui ont suivi. Mes efforts dérisoires n’y sont certainement pour rien. Mais allez savoir… Au printemps prochain, la Cité de la Francophonie sera inaugurée dans le château de Villers Cotterêts refait à neuf. Et aujourd’hui j’entends le MEDEF reprendre les propos que je tenais aux « spécialistes » du mécénat il y a dix-sept ans. J’ai quand même le droit d’en tirer quelque satisfaction.

Il faut soutenir l’initiative du MEDEF. Je ne sais comment, mais nous le saurons bientôt, si nous y réfléchissons avec assez de perspicacité. Il faut que l’économie devienne l’épine dorsale et cesse d’être le parent pauvre de la Francophonie. Aux côtés du politique et du culturel, il faut qu’elle prenne toute sa place. Ce n’est pas là faire du Dumézil à la petite semaine, ni tracer un parallèle trop réducteur avec la montée en puissance de l’union européenne.

Non, car si Senghor, Bourguiba et Hamani Diori revenaient en notre monde, je ne doute pas un seul instant qu’ils seraient horrifiés par l’état de leurs pays, par le gouffre qui s’est creusé entre ceux-ci et le monde dit « développé ». Ce n’est pas cette Francophonie-là dont nous voulions, se lamenteraient-ils de concert.

Non, s’il est de bon ton de critiquer le tout économique, de souligner le caractère indispensable du spirituel, de fustiger le non-sens d’une société où chacun perd sa vie à essayer de la gagner, de vitupérer l’accumulation des biens comme seul but dans l’existence, de crier haro sur le Veau d’Or, il faut aussi reconnaître qu’ignorer l’économie, ou pire, l’éviter, c’est aboutir à coup sûr à un résultat également détestable, non seulement par la misère, mais aussi parce qu’aucune spiritualité n’y sera possible. Imagine-t-on la règle de Saint Benoît sans sa part de travail ?

Alors, il faut rééquilibrer la Francophonie. Assez d’intellectualisme, nous en avons une indigestion. Il faut passer aux affaires sérieuses, c’est à dire, simplement, aux affaires. Et au sein de ce vaste ensemble que sont les affaires entre francophones, une place spéciale doit être réservée à l’Économie Sociale, instrument privilégié d’un développement harmonieux et solidaire. Du boulot pour moi, et je ne serai pas seul.