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Francis Venciton en Provence

Nous avons, depuis toujours, parmi nos militants de l’Action Française, des purs intellectuels émergeants qui ont tout lu, Maurras bien sûr, ainsi que tous les ténors de notre mouvement, mais les autres aussi, ceux d’en face et ceux d’à côté. Et non seulement ils les ont lus, mais compris, analysés et critiqués.

Francis Venciton est de ceux-là. Il est aujourd’hui secrétaire général adjoint et participe activement à la nouvelle dynamique stimulante que nous ressentons tous depuis quelques années. Il était au banquet de la rentrée Provençale et nous a gratifié de quelques mots encourageants, non dépourvus d’humour. (NDLR)

Chères amies et chers amis, ou plutôt, devrais-je dire dans un bel effort d’inclusion, chers camarades,

C’est pour moi, un peu terrible de prendre la parole après des gens aussi estimables que Jean-Eugène Gugliotta, le président de la fédération provençale, qu’Olivier Perceval, le premier secrétaire général sous lequel j’ai servi, et de Raymond Toulourenc avec qui je partage l’expérience de la rue Navarin et d’un certain nombre de collages en commun. Tant pis, maintenant que j’ai la parole, il faut que je la garde et que j’essaye de dire des choses un peu intelligentes. 

Maurras étant l’altissime, qu’il nous soit permis de mettre bas les masques et de respirer un peu de hauteur. C’est pour cela que je vais commencer par une rectification. Monsieur le président Gugliotta, me présentait comme un homme du national et il prononça le national comme on prononce partout par ici Paris. Je tiens à rappeler qu’étant né à Marseille, ayant grandi à Bandol et passant beaucoup de temps à Carcès, j’ai tout lieu de me targuer d’être provençal et si le travail ne m’obligeait impérieusement de rester à Paris, je troquerais bien volontiers les gratte-ciels contre les oliviers.

Mais qu’importe mes histoires de ville, l’essentiel n’est pas là. Mes prédécesseurs ont évoqué brièvement l’histoire de la fédération provençale et ce qui était en train d’être mis en place pour l’année qui vient. Maintenant qu’a été évoqué le passé et le présent, il ne me reste donc plus que la difficile tâche d’évoquer le futur. Rassurez-vous, je ne suis pas une madame Irma et je reste bien en peine de vous dire ce qu’il arrivera demain, si ce n’est pour vous dire que nous nous quitterons tous en nous disant que nous avons passé un bon moment de retrouvailles pour ce banquet de lancement d’année de la fédération provençale. Mais après tout tant mieux, si nous avions la faculté de voir le futur, quel désespoir ce serait pour le militantisme. Nous serions comme ces anciens militants marxistes qui tout à la fois expliquaient qu’il fallait s’engager pour changer l’ordre du monde en abattant le capitalisme et qui dans le même temps exposaient que les contradictions du capitalisme condamnaient ce dernier à la destruction. Non, nous ne connaissons pas le futur et c’est tant mieux. Déjà, parce que nous nous méprenons de beaucoup sur ce que nous appelons le passé, présent et futur comme nous l’explique Boutang dont je ne doute pas que vous ayez lu toute son œuvre. Car si je vous dis : « Présentement », je n’aurai pas fini de prononcer le mot, qu’il aura déjà été envoyé dans le passé. Tentez de prendre conscience du présent, c’est déjà se retrouver dans le passé, ou plutôt le passé est notre présent. Tout ce qui nous entoure, tout ce que nous ressentons présentement est déjà du passé. Ce que nous devrions appeler notre présent, en fait c’est le futur immédiat que nous n’arrivons jamais à attraper. Et le futur, ce grand Futur, c’est le mystère. La fin de l’humanité n’est pas un quelconque point Omega comme le pensent en commun Teilhard de Chardin et les transhumanistes, non c’est un grand mystère, une ascension. Tout notre combat ne consiste pas à arriver à ce point final ou à l’engendrer, mais à être dans les dispositions requises quand cela arrivera et c’est cela le vrai enjeu dont je veux vous parler. Quelle disposition d’esprit l’Action française cherche-t-elle à vous donner pour accompagner toutes les choses étonnantes que nous réserve le futur ? Car très bien, nous avons Maurras, Bainville et Daudet en boussoles des temps présents, mais face à ce qui arrive et qui n’est pas prévu, quelles armes avons-nous ?

A mon sens, l’Action française nous donne trois modèles en contrepoints et trois modèles qui se trouvent être des femmes. La première, c’est Antigone, la vierge-mère de l’ordre. Grâce à elle, nous savons qu’il y a la légitimité du pouvoir et celle des Dieux et de la nature, mais plus encore que la première n’a pas à empiéter sur la seconde. Car, quand Créon édicte sa loi inique, non seulement il veut imposer la loi des hommes sur celle des Dieux, mais en plus il abolit ce qui est l’objet même de son devoir. Créon doit régner sur la Cité et assurer le bien commun, ne voilà-t-il pas qu’il devient l’anarchiste, le destructeur. C’est bien ces deux idées qu’il faut avoir en tête : d’abord, qu’il est une légitimité supérieure à la République qui nous autorise à nous opposer à celle-ci chaque fois qu’elle s’en prend à la dignité des personnes ou aux lois naturelles. Deuxièmement, quand nous remettons en cause le pouvoir en place, ce n’est pas juste par goût de la controverse, mais parce que son illégitimité est source de désordre et de violence. Il est connu que l’Action française a souvent été critiqué fortement pour la vigueur de ses actions, mais la violence de ses militants n’a rien à voir avec la violence du pays légal. Quelle dérisoire violence est celle du militant qui entarte un député, quand l’Etat abandonne des ouvriers à la rapacité de fonds vautours qui pillent tout et s’indiffèrent de la casse humaine. Quand on vend l’industrie à la découpe, le suicide devient une variable d’ajustement budgétisée.

La deuxième figure, c’est évidemment Jeanne d’Arc, que les militants d’Action française ne peuvent nommer autrement que sainte Jeanne d’Arc. Comprenez, nous avons tant fait pour l’honorer et la faire reconnaitre par la patrie, qu’on aurait presque l’impression que sainte Jeanne d’Arc a existé en France, d’abord pour nous. Ce qu’il importe de comprendre avec sainte Jeanne d’Arc, c’est que son action est politique. Jeanne d’Arc ce n’est pas un sauveur de la France. Après tout, ne fut-elle pas incapable de se sauver elle-même ? Non, au-delà de la grâce divine qui jaillit en effusion de sa belle figure, sainte Jeanne d’Arc c’est la restauration du politique. Comme le dit Maurras dans sa méditation sur la politique de Jeanne d’Arc : « Le principe de son devoir est religieux ; l’objectif en est national, sa conscience l’obligeant au patriotisme et, en cas d’invasion, à l’effort libérateur : ce que l’on peut appeler proprement la Politique de Jeanne d’Arc ne commence qu’au choix des moyens. » Jeanne d’Arc ne fait pas l’économie de l’action, aux hommes d’armes il revient de gagner la victoire. «  Le politique d’abord », ce grand principe d’Action française, n’a jamais existé au détriment de tout les autres principes, mais s’il faut fonder ou restaurer, alors il faut bien commencer par le plus primaire : le politique. Tout ceux qui refusent ce fait du politique se retrouvent à être de ces kantiens dont Péguy disait qu’ils avaient les mains tellement propres qu’ils n’avaient plus de main. 

Evidemment, si je parle ici de Péguy, c’est que j’ai derrière la tête une idée bien évidente. La troisième figure féminine, c’est bien la petite fille Espérance. Car rien ne sert d’être politique et de dénoncer les fausses légitimités, s’il est refusé en son cœur l’idée de gagner. En l’absence d’espérance, rien ne sera jamais fait. Nous aurons laissé au désordre, s’accumuler les fausses solutions et in fine l’inaction, et cela est bien l’opposé de notre projet. L’Action française est une école d’espérance et c’est ce qui lui donne cette étrangeté d’être l’éternel phénix. Les générations passent, mais les rangs se repeuplent spontanément avec cette espérance royale. Quelle étrange espérance que de vouloir un roi alors que tout est fait pour nous en dégoûter ? Alors que l’ordure nous est frottée au nez comme la fin des fins, l’excellent et le meilleur.  Ce que nous nommons espérance, c’est une drôle de chose au fond. C’est une petite fille qui court au porche. Elle nous apprend qu’un « optimiste est un imbécile heureux et un pessimiste un imbécile malheureux » pour reprendre le mot de Bernanos. Mais surtout, elle nous enseigne qu’il faut espérer contre l’espoir. Cette formule de Saint Augustin, et c’est un signe qui devrait attirer notre attention, est la citation la plus fréquente dans l’œuvre de Gustave Thibon. J’entends qu’elle peut choquer, mais la différence entre l’espérance et l’espoir, c’est que l’espoir dépend de ce qui se passe. Par définition, l’espoir est fait pour disparaître. Si j’ai l’espoir d’avoir une glace à midi, et bien à l’heure dite, mon espoir est récompensé ou déçu. Mais dans les deux cas, à midi, je n’ai plus d’espoir de glace.  L’espérance n’a pas besoin de se placer dans le fil du temps ou de disparaître. Une fois le roi placé sur le trône, notre espérance royale n’aura pas disparu. Car il faudra bien que le roi soit roi en tout. Il faudra que nous soyons là pour dénoncer ses excès quand ils auront lieu. Le roi est un humain et c’est pour cela que nous pouvons l’aimer, et comme tout homme il fautera. Tant pis. Cela ne nous empêchera pas de garder l’espérance royale, car après tout, vous savez bien que « tout désespoir en politique est une sottise absolue ».

Je parle, mais il faut bien conclure et c’est là où vous pourrez juger si je suis gribouille ou fin acrobate. Ce que l’Action française cherche à mettre en besace pour l’avenir, ce n’est que ces trois perles : la légitimité, le politique et l’espérance. Avec elle, le futur ne sera pas une partie de plaisir ou dénué de difficultés, mais vous aurez ce qu’il faut pour tenir et avancer. Vous n’aurez pas le roi demain, tant pis. Vous êtes la force tranquille qui oriente et tient ce pays et comme la petite goutte creuse la roche, à petit coups réguliers nous mettrons à bas la république des voleurs pour que le prince revienne et chasse les brigands et les traitres. Ma foi, et si nous réussissons à châtier ces derniers avant la chute de la république, et bien tant mieux. Notre devoir est d’améliorer les choses, d’essayer de faire un peu de bien. Si nous y arrivons, alors nous aurons déjà fait tant de choses plus que tous les partis qui ne promettent que l’agitation et la parlote. Voilà, ce que j’avais à divaguer devant vous, il ne me reste qu’à vous souhaiter une bonne année militante, chers camarades.

Francis Venciton

Secrétaire général adjoint