Par Louis-Joseph Delanglade
Dans sa conférence de presse de jeudi dernier, M. Macron a fixé les objectifs de sa prochaine présidence du Conseil de l’U.E. Il « veut » tout à la fois une « Europe puissante dans le monde […] pleinement souveraine » et une Europe « puissance du numérique », un « réengagement » dans les Balkans, et une « [refondation] en profondeur » de la relation euro-africaine, une réforme de « l’espace Schengen » et un nouveau « cadre budgétaire », etc. Bref, il veut tout, ou presque, ce qui est quand même beaucoup, et même trop, et de toute façon impossible, vu les circonstances (six petits mois au mieux et une élection présidentielle). M. Macron ne peut pas l’ignorer et cette conférence de presse s’inscrit à l’évidence dans une démarche électorale parfaitement calculée.
Mais, qui pis est, il n’ignorait pas non plus les intentions allemandes dûment explicitées dans le Contrat signé par les trois partis de la nouvelle coalition gouvernementale. On rapporte même qu’il y aurait trouvé des motifs de satisfaction, satisfaction à nouveau exprimée à M. Scholz, le nouveau chancelier venu lui rendre visite le lendemain de sa conférence. Disons qu’il y a de quoi être étonné quand on entre dans le détail des objectifs de la politique européenne de l’Allemagne. Parmi ceux-ci, il en est trois qui nous semblent inquiétants, deux d’une grande actualité (la « défense de l’État de droit » et la « transition énergétique »), le troisième tout simplement d’ordre existentiel ( l’« État fédéral »).
Concernant la « défense de l’État de droit » (y compris hors des frontières de l’Union), Mme Baerbock, la nouvelle et verte ministre fédérale des Affaires étrangères, a déjà fait savoir qu’elle ne voulait plus d’une politique qui ne prendrait pas en compte les droits de l’homme. Et de viser notamment la Chine et la Russie, c’est-à-dire qu’elle s’aligne (ou plutôt reste alignée) sur les Etats-Unis : c’est en effet la ligne américaine telle que programmée par M. Biden lors de sa campagne électorale et confirmée par le récent Sommet pour la démocratie organisé aux États-Unis les 9 et 10 décembre. Est-ce cela la « souveraineté » dont il est question dans la conférence de M. Macron ?
La « transition énergétique », quant à elle, met en lumière un différend qui oppose frontalement Français et Allemands, ceux-ci ayant choisi le gaz, ceux-là le nucléaire. La question est d’importance car toute énergie classée « renouvelable » donnera lieu à des subventions européennes. M. Macron et Mme Merkel s’étaient plus ou moins entendus en juillet dernier pour se soutenir l’un l’autre ; mais cet accord est quasi caduc à cause de l’opposition des écologistes allemands. Sauf petit miracle, on peut même penser que rien ne nous garantit que leur hostilité viscérale au nucléaire ne nous porte pas un grand préjudice dans le cadre de l’U.E.
Enfin, revoici l’« Etat fédéral » européen pour l’instauration rapide duquel plaide le Contrat allemand. Il est stupéfiant que M. Macron n’ait pas relevé ce point, faisant mine de l’ignorer dans une conférence de presse entièrement conçue sur le présupposé de la situation actuelle, celle d’une action conjuguée d’Etats souverains et de leurs gouvernements. Un processus de mutation de la nature même de l’Union constituerait, vu le primat allemand, un danger mortel pour notre indépendance nationale.
En recevant M. Scholz, M. Macron connaissait la difficulté, voire l’impossibilité, d’établir un programme européen sans l’aval des Allemands. On sait bien que Paris et Berlin ne pèsent pas le même poids au sein d’une U.E. qui est et reste d’abord une entente comptable. Rappelons que, lors de chacune des dix dernières années, le déficit commercial de la France aura été de cinquante milliards d’euros, l’excédent de l’Allemagne de plus de deux cents milliards. On peut donc être assuré qu’en cas de désaccord, ou d’absence d’accord, l’Allemagne aura le dernier mot. A tout le moins le craindre fortement.
M. Macron peut bien se bercer d’illusions et nous seriner ses incantations européistes. La réalité, en Europe comme ailleurs, c’est la loi du plus fort. Mais de cela M. Macron n’a cure : il sera de toute façon un double président pendant toute la durée de la campagne présidentielle.