Par Michel Servion
Il serait étrange qu’en ces temps de mondialisation la guerre au Sahel y restât confinée. Eh bien elle ne l’est pas ! Depuis longtemps les internationales djihadistes y agissent concurremment et parfois conjointement, et, en face, les armées du G5 Sahel appuyées par des embryons de coopération européenne (Takuba) ou par une aide américaine (drones) témoignent d’une internationalisation de basse intensité, mais bien réelle et illustrée spectaculairement par l’arrivée des Russes. Mais c’est d’un autre aspect de cette internationalisation qu’il est ici question. A savoir celle que prophétisait Ibrahim Boubacar Keita, président du Mali, aujourd’hui disparu, en déclarant «si la digue est rompue au Sahel, ce sera l’invasion de l’Europe». IBK, dont le grand père est mort a Verdun, savait que la digue était moins une frontière physique qu’une frontière « dématérialisée » battue en brèche par des flux migratoires, des enjeux ethniques, générationnels et religieux.
En précisant « l’invasion de l’Europe » IBK haussait le problème à son niveau intercontinental voire planétaire. La digue est bel et bien rompue. Confirmation en est déjà donnée avec la réduction des opérations militaires françaises à des coups de mains, et sera confirmée avec le départ des troupes françaises du Mali et la dislocation définitive du G5 Sahel ou seul la Mauritanie et moindrement le Niger tiennent le coup. Et sans doute faut-il penser à la digue bloquant les offensives vers le golfe de Guinée.
Le Partenariat Eurafricain l’a toujours dit : la rupture de la susdite digue aura des conséquences immédiates sur les diasporas implantées en France et en Europe. Sur plusieurs plans. D’abord Les diasporas reflètent plus ou moins pacifiquement, dans le pays d’accueil les structures et rapports de pouvoirs propres au pays d’origine. Une rupture de ces rapports de pouvoirs surtout si elle est violente, ethnicisée, islamisée ou simplement partisane aura des répercussions de même nature ici. Qui peut imaginer qu’un pouvoir islamiste et/ou violemment anti française serait sans conséquence ici ? Restera à le mesurer. Ensuite les populations restées au pays peuvent devenir des otages permettant aux nouveau pouvoirs de faire pression sur les comportements de la diaspora émigrée « si ne fait pas ceci ou cela tes parents restés au pays en subiront les conséquences ». Enfin il faut tenir compte de cette nouvelle donne que nous avons déjà analysée à savoir que les diasporas (qu’on pourrait analyser comme des communautés en mouvement) sont des populations ayant leurs propres spécificités, médiatrices entre deux mondes. On le voit avec le débat sur la laïcité vécu par les diasporas dans un espace intellectuel original qui n’est ni vraiment africain ni vraiment « européen ». Autre question parmi d’autres : comment une déstabilisation du monde des diasporas se répercuterait-elle sur un aspect capital de la relation Nord Sud : le transfert d’argent des diasporas vers les pays du Sud ?
Les déstabilisations africaines influent directement sur l’organisation des diasporas : dans leur vie associative, dans l’organisation de leurs circuits de transfert financier, des tontines, de la gestion des foyers, de celle des mosquées … Il faut également tenir compte de phénomènes générationnels comme à Montreuil, capitale malienne, où ce sont les jeunes qui ont déjà entrepris un changement de personnel dans la communauté, avec un marqueur de haine envers la France. C’est grande ville par grande ville qu’il faut observer les changements de pouvoir au sein de diasporas et leurs conséquences sur les gouvernances locales.
Et c’est là où Emmanuel Macron qui se targuait – du discours de Ouagadougou au rassemblement de Montpellier (oct.2021) en passant par l’étape marseillaise – d’être réélu avec les diasporas risque fort d’être déçu. On voit mal comment viendraient vers lui des populations dont l’encadrement jour après jour bascule dans l’hostilité à la France, que, le temps d’une élection, elle ne maquera pas d’identifier à Emmanuel Macron.