Par Olivier Perceval
Joe Biden réussit l’exploit d’unifier derrière lui, sur la cause ukrainienne, républicains et démocrates : c’est la grâce du billet vert aux USA, « in dollar we trust ». Dans cette perspective, tout sera fait pour empêcher l’Europe et la Russie de commercer ensemble. Le centre névralgique de l’économie mondiale se situant à New York, c’est New York qui décide ce qui est bon et ce qui est mauvais pour les affaires en Europe.
Le projet de gazoduc South Stream nous dit « Valeurs actuelles » a fait les frais de ce que nous avons baptisé la “néo-guerre froide” États-Unis-Russie. Ce pipeline, long de 3 600 kilomètres, destiné à exporter le gaz sibérien, en contournant l’Ukraine, devait fournir jusqu’à 63 milliards de mètres cubes par an aux pays européens grâce à deux branches, l’une vers l’Autriche, l’autre vers les Balkans et l’Italie. Lancé en 2007, ce projet, appuyé notamment par l’Italie et d’autres pays d’Europe du sud et balkaniques, a été abandonné, en décembre 2014, essentiellement sous la pression des Etats Unis.
Le gazoduc Nord Stream, qui passe sous la Baltique et débouche dans le nord de l’Allemagne, a été mis en service en 2012. Le projet Nord Stream 2, vise à doubler la capacité de livraisons directes de gaz russe du réseau Nord Stream 1 pour parvenir à 110 milliards de m³ par an. Avec des investissements estimés à 11 milliards d’euros, financés pour moitié par la compagnie russe Gazprom et le solde par les sociétés pétrolières européennes (OMV, Wintershall Dea, Engie, Uniper et Shell), le projet s’est attiré les foudres du Congrès bipartisan des États-Unis, qui accusait publiquement l’Allemagne d’être « prisonnière » de la Russie et exigeait son abandon… avant de faire adopter des sanctions « extraterritoriales » contre les entreprises collaborant au projet en décembre 2019.
Par ailleurs un rapport réalisé par la firme TOTAL nous informe qu’actuellement, « l’UE importe la moitié des produits énergétiques dont elle a besoin (73 % du pétrole et 44 % du gaz). En 2030, la part des importations d’hydrocarbures sera de 70 % (92 % du pétrole et 81% du gaz). Le rôle du gaz naturel augmentera sensiblement, tandis que sa production locale diminuera. Par conséquent, les pays de l’UE vont devoir faire passer leurs importations de gaz de 180 milliards de mètres cubes en 2005 à 650 milliards en 2030. Les pays de l’UE sont donc les premiers intéressés à régler le problème de l’approvisionnement en produits énergétiques sur le long terme, sur une base transparente. A l’heure qu’il est, environ 20 % du pétrole et plus de 25 % du gaz naturel consommés par l’Union européenne sont d’origine russe. La Russie entend rester un important partenaire énergétique des pays de l’UE durant le premier tiers du XXIe siècle. Elle possède, pour cela, des réserves de produits énergétiques considérables. (1)
Nul doute que ce contexte géoéconomique et stratégique constitue une menace pour les producteurs et exploitants d’outre Atlantique qui cherchent à toutes fins à placer leur gaz de schiste, plus cher et plus polluant, mais frappé du sceau de la démocratie libérale. Pour Biden, ce serait un devoir moral pour les européens de renoncer au gaz russe. Mais comme l’argument commercial mâtiné d’un moralisme douteux ne fonctionne pas, il est impératif de faire monter la mayonnaise conflictuelle entre l’Europe et la Russie en appuyant sur le bouton Ukrainien.
Ceux qui suivent depuis un certain temps la situation du Donbass savent que les combats n’ont jamais totalement cessés depuis la création des Républiques de Louhansk et de Donetsk en 2014, avec parfois certes des temps d’accalmies. Aujourd’hui, aucun média ne rapporte que l’armée ukrainienne est à nouveau massée à l’Est avec du matériel dernier cris « made in América » et bombarde sporadiquement les villages tuant ou blessant des civils, en violation des accords de Minsk II signés en 2015 avec Petro Porochenko et Vladimir Poutine, en présence de François Hollande et Angela Merckel.
Le nouveau Tsar de toutes les Russies, avait prévenu qu’il y avait une ligne rouge à ne pas franchir en s’appuyant sur les accords de Minsk. Il ne laissera pas massacrer la population russophone du Donbass. Tout le monde le savait, mais tout le monde s’est étonné de voir, en réponse à la gesticulation belliciste de Kiev, à son tour l’armée Russe massée aux frontières de l’Ukraine. On n’est plus au temps d’Eltsine et Poutine ne parle pas pour ne rien dire, il annonce et il agit. Dire que Washington avec la CIA notamment, serait complètement étranger à cet échange de coups de mentons entre Kiev et Moscou, témoignerait d’une naïveté confondante. La présence des troupes de l’OTAN autour des frontières russes constitue une menace permanente qui a le don, allez savoir pourquoi, d’agacer le Kremlin.
Biden a beau jeu de se présenter en justicier et en défenseur inconditionnel de l’Ukraine. Cependant les assurances données par Washington et Bruxelles sur les nouvelles sanctions économiques contre la Russie en cas d’invasion de l’Ukraine, ne sont pas de nature à rassurer Volodymyr Zelensky, l’actuel président Ukrainien qui espèrerait un réel engagement militaire de ses alliés à ses côtés. Pauvre homme ! Il ne fallait pas choisir le camp des bavards, davantage motivés par la spéculation énergétique que par le droit des peuples. Il n’y a aucune chance en effet que les « boys » à peine sortis du piège Afghan, aillent s’embourber dans une longue et difficile guerre en Europe, sous les yeux attentifs et ravis de la Chine, laquelle reste pour l’heure la préoccupation principale des États Unis.
Pour le coup, Zemmour a raison de rappeler que l’activité diplomatique déployée par la France n’a que peu de chance de peser au Kremlin, car notre pays étant à la fois membre actif de l’OTAN, sans en être le chef, et Macron président provisoire et symbolique de l’Union Européenne, sans la moindre autorité, n’est pas un interlocuteur aussi crédible qu’ont pu l’être Chirac et Sarkosy quand la France était encore un pays indépendant et non aligné. Seuls Washington et dans une moindre mesure Bruxelles restent des interlocuteurs crédibles.
La France capétienne n’a pas vocation à demeurer plus longtemps soumise dans une vassalité humiliante à un empire, qu’il soit états-unien ou européen. Souvenons-nous de cette évidence historique et prospective en avril prochain.
(1) Article de Ria Novosti concernant un rapport réalisé par « Total » et « l’Institut de prévisions économiques » (Académie des sciences de Russie) sur le thème : «La Russie et l’Europe: alliance économique ou conflit énergétique ».