Une tribune libre d’Henri Temple
Universitaire, juri-économiste, expert international, dialecticien
Le malheureux téléspectateur français qui essaie de s’informer et de comprendre le drame qui se joue en Ukraine doit subir le bla-bla de quelques chroniqueurs qui parlent à perte de vue d’un sujet qu’ils n’ont pas eu l’honnêteté d’étudier. Notamment les accords de Minsk.
Comment ont été élaborés les accords de Minsk ? Ces accords de Minsk I et Minsk II ont été conclus en 2014 et 2015 pour mettre fin aux hostilités et promouvoir une solution pacifique durable. Ils ont été menés sous l’égide d’une diplomate suisse (Mme Tagliavini), signés par l’Ukraine et la Russie, en présence des représentants des zones rebelles. Une déclaration de soutien de la France et de l’Allemagne y a été annexée. Enfin, en février 2015, le Conseil de sécurité de l’ONU a demandé à toutes les parties au conflit de respecter le cessez-le-feu signé en février 2015 et les accords de Minsk de septembre 2014.
Que disent les accords de Minsk ? Outre un cessez-le-feu, le retrait des armes lourdes du front, la création d’une zone de sécurité de 70 km de large, l’échange « tous contre tous » des prisonniers, le tout sous la surveillance de l’OSCE, le plus important était les dispositions politiques et démocratiques : tenue d’élections locales conformément à la législation ukrainienne (notamment la loi relative aux modalités temporaires de l’exercice de l’autonomie locale dans les régions de Donetsk et de Louhansk), ainsi que le régime futur de ces zones dans le cadre de cette loi. Rétablissement des rapports socio-économiques, notamment des transferts sociaux tels que versement des pensions et autres paiements. Le « droit à l’autodétermination linguistique » : on rappellera en effet que, durant des années, non seulement les bénéficiaires russophones de prestations sociales ne recevaient plus leurs documents sociaux en russe mais en ukrainien, mais encore que les prestations sociales n’étaient plus versées… Et, surtout, les clauses 10 et 11 n’ont pas été respectées. La clause 10 prévoyait « sous le contrôle de l’OSCE, le retrait du territoire ukrainien de l’ensemble des unités armées étrangères, équipements militaires et mercenaires étrangers ». Et le «< désarmement de tous les groupes illégaux ». Quant à la clause 11, elle visait « une réforme constitutionnelle […] dont un élément essentiel serait la décentralisation, compte étant tenu des spécificités de certaines zones des régions de Donetsk et de Louhansk ».
Les accords de Minsk ont-ils été violés ? Oui, sans l’ombre d’un doute. Non seulement la fédéralisation de l’Ukraine est restée lettre morte, mais encore et surtout, des milices paramilitaires se sont maintenues et sont venues créer des incidents aux confins du Donetsk. Qui finance, équipe, dirige les groupes paramilitaires, les milices ? Par exemple, le bataillon Azov, qui n’est devenu, que pour la façade, une force du ministère de l’Intérieur. Quel est le rôle de l’oligarque Kolomoïsky, à la triple nationalité, ex-directeur de PrivatBank, fondateur de milices, qui, après des détournements allégués, a quitté l’Ukraine pour y revenir en 2019 en soutien encombrant de l’actuel président ?
L’histoire de l’Ukraine est une histoire infiniment tragique. Ballottée entre Pologne, Autriche et Russie, puis entre stalinisme et hitlérisme, puis à nouveau stalinisme, les massacres de Volhynie, l’ombre de Bandera, cela marque encore les mémoires d’aujourd’hui. Ignorer tout cela, c’est se condamner à dire d’ignares sottises sur la crise ukrainienne actuelle et sur la façon de la dénouer. Plus le temps passe, plus l’ignorance aggrave la crise. Les accords de Minsk étaient déjà morts quand Biden a soufflé sur les braises. Il prépare ses midterms qui, en novembre, risquent de lui être fatales : un Sénat à nouveau républicain reprendrait sans doute la ligne de paix Trump, révulsant le deep state militaro-industriel. En France, la possible défaite de Macron permettra-t-elle, dans le climat émotionnel actuel, de relancer une solution intelligente et juste en Ukraine ? Une Ukraine fédérale, lieu de coopération entre la Russie et l’Europe, neutre dans une Mitteleuropa démilitarisée et l’évacuation de la CIA fauteur de guerres ?