Par Louis-Joseph Delanglade*
Début mars, M. Le Maire, oubliant sans doute qu’il était ministre et pas général en chef de l’Économie et des Finances, fanfaronnait ainsi sur France Info : « Nous allons livrer une guerre économique et financière totale à la Russie […] Nous allons provoquer l’effondrement de l’économie russe. » Un mois plus tard, M. Carenco, président de la Commission de régulation de l’énergie nous explique qu’il va falloir gérer la pénurie énergétique provoquée par les mesures concernant gaz et pétrole russes. Pénurie qui, on le sait par ailleurs, concernera aussi de très nombreux autres produits : le blé, le papier, les semi-conducteurs, etc. C’est donc pour nous que les choses vont être (très) difficiles et M. Le Maire aurait mieux fait de se taire.
Il faut de même être bien naïf pour croire que, suite à la guerre d’Ukraine, l’U.E. serait en train de se constituer en puissance politique et militaire, assurant ainsi à ses « citoyens » une sécurité qui complèterait le rôle protecteur qu’elle aurait joué au plus fort de la pandémie. Mais les faits sont là et ce sont plutôt les contradictions et inconséquences européennes qui sont renforcées. Quelques exemples : la volonté de certains membres, dont l’Allemagne, de revoir à la hausse, et de façon dûment chiffrée, leur engagement militaire, répond d’abord au souhait financier manifesté de longue date par les États-Unis ; la décision par la même Allemagne d’acheter des F-35 américains plutôt que des Rafales français porte un coup peut-être fatal au programme européen Scaf (système de combat aérien du futur) au profit des États-Unis ; l’enthousiasme de Mme von der Leyen pour le gaz naturel liquéfié américain pose des problèmes de coût et d’infrastructures et constitue un véritable reniement écologique, toujours au profit des États-Unis ; etc.
Dans les faits, ce n’est donc pas l’Europe mais bien le « bloc occidental », c’est-à-dire la coalition militaire et politique dirigée par les États-Unis, tous derrière et eux devant, qui se trouve renforcée. Comme, dans le même temps, on assiste à un incontestable rapprochement entre la Russie et la Chine, on ne peut qu’envisager la probabilité, peu rassurante, et certainement coûteuse, d’un nouvel état de guerre froide avec ses deux blocs et ses inévitables non-alignés d’Asie, d’Afrique et d’Amérique du Sud, soudés par un rejet commun du « récit » occidental. Belle avancée géopolitique !
Et c’est dans ce contexte international que se déroule notre petite élection présidentielle. L’éventuel électeur moyen serait, nous dit-on, d’abord préoccupé par son « pouvoir d’achat ». On veut bien le croire, tellement c’est vraisemblable. A cette variante un peu misérabiliste du bonheur hic et nunc répond l’habituel grand air du « demain, on rase gratis ». La plupart des douze candidats proposent en effet dans la plupart des domaines des mesures censées permettre à (presque) tous un avenir meilleur. On ne vote pas pour élire un chef de l’État mais pour choisir un représentant de commerce jugé plus persuasif. Vu la situation de la France (endettement pharaonique et tissu socio-économique dégradé) et la perspective de son enrôlement volens nolens dans un des deux blocs, la suite pourrait se révéler plus douloureuse encore qu’il est raisonnable de le craindre. Quel(le) que soit l’élu(e), son peu de légitimité et ses promesses intenables ne pourront qu’occasionner frustration et désordres.
A supposer que l’on vote, bien entendu : les abstentionnistes pourraient être, une fois de plus, suffisamment nombreux pour que se pose la légitimité d’un tel scrutin et des institutions dites « démocratiques ». Ceux-là ont déjà déchanté.
*Agrégé de lettre