Par Peter Bannister
Quel avenir pour l’Irlande du Nord ? Sa stabilité repose sur les accords de paix signés en 1998, mettant fin à 30 ans de guerre civile en partageant le pouvoir entre les unionistes protestants, fidèles au Royaume Uni, et des nationalistes catholiques voulant réunifier l’Irlande. Malgré des épisodes parfois longs de blocage au niveau de l’Assemblée régionale (Stormont) entre les représentants des deux communautés, cette approche consensuelle a porté ses fruits, avec une modération progressive de la rhétorique des deux côtés. Nous ne sommes plus à l’époque des actions terroristes des groupes paramilitaires (l’IRA et ses opposants), ni des discours enflammés du pasteur Ian Paisley (1926-2014), leader du parti unioniste démocratique (DUP), qui avait notamment accusé le Pape Jean-Paul II d’être l’Antéchrist, en octobre 1988. L’Irlande du Nord reste néanmoins divisée : seuls 7% des enfants fréquentent des écoles mixtes accueillant protestants et catholiques, des dizaines de « murs de la paix » séparent les communautés rivales dans les quartiers chauds de Belfast. Des drapeaux de la République d’Irlande continuent à être brûlés sur des « feux de joie » – bûchers de palettes et pneus construits puis incendiés par la jeunesse unioniste désaffectée, aussi impliquée dans des émeutes en avril 2021.
Lors des élections du 5 mai, le Sinn Fein (SF) nationaliste (actif dans les deux parties de l’île) est devenu le plus grand parti de l’Irlande du Nord pour la première fois, menant certains à évoquer la possibilité d’une Irlande unifiée dans un avenir relativement proche. Selon les accords de 1998, la position du premier ministre à Stormont revient à Michelle O’Neill du SF, avec un vice-premier ministre nommé par le DUP, mais le parti unioniste a immédiatement refusé de participer aux votes de l’Assemblée, paralysant ainsi son fonctionnement. Au cœur du problème est l’opposition du DUP au protocole nord-irlandais négocié par Londres dans le cadre du Brexit pour régler les relations commerciales entre l’Irlande du Nord, le reste de la Grande Bretagne et l’UE (dont le sud de l’Irlande reste un membre). Des relations complexes : d’un côté, c’est entre les deux parties de l’Irlande que se trouve désormais la frontière de l’UE, mais l’établissement d’une frontière physique a été jugé périlleux pour la paix au Nord. De l’autre côte, le Brexit a rendu impossible la libre circulation des biens sans contrôles comme avant : l’Irlande du Nord étant restée dans le marché unique de l’UE (contrairement à l’Angleterre), la vérification des marchandises arrivant des autres parties du Royaume-Uni est devenue obligatoire. Londres a donc opté pour un compromis – une frontière maritime avec des contrôles douaniers aux ports de l’Irlande du Nord. Si cette solution est acceptée par la majorité des nouveaux députés (53 sur 90, dont le SF), le DUP la vit comme une humiliation, y voyant une frontière interne au Royaume-Uni qui menacerait l’union sacrée entre l’Irlande du Nord et le reste du pays.
Comment débloquer la situation, voyant les intérêts apparemment irréconciliables des divers acteurs domestiques et internationaux ? Les positions des partis unionistes et nationalistes sont assez bien définies, ainsi que celle de l’UE, mais c’est au gouvernement britannique à Londres qu’il incombe de trouver une solution. Accusé par le DUP de trahison en signant le protocole nord-irlandais, l’équipe de Boris Johnson se dit prête à modifier le protocole nord-irlandais de manière unilatérale afin de sauver Stormont de la paralysie et d’en assurer la stabilité. Une attitude fustigée par le SF, attaquant Johnson pour capitulation au DUP, pourtant minoritaire, tout en le soupçonnant de se servir de la question de l’Irlande de Nord pour régler ses comptes avec l’UE. Pour leur part, Bruxelles et Dublin critiquent vivement Londres pour manquement à ses obligations envers un traité international. La position de Johnson est donc très délicate et les négociations s’annoncent âpres.
Quant à l’avenir de l’Irlande du Nord à long terme, la question de la réunification ne disparaîtra pas, surtout si le SF devient également la formation politique dominante au Sud, ou sa présidente Mary Lou McDonald est convaincue que ce sont les derniers jours de la partition de l’île créée par les britanniques en 1920. Toutefois, si on peut imaginer l’organisation éventuelle d’un référendum au Nord d’ici quelques années, on voit mal comment il pourrait aboutir à la réunification avec le Sud sans une majorité écrasante en sa faveur (scénario démographique improbable), étant donné que le principe intouchable des accords de paix de 1998 reste celui du consensus entre unionistes et nationalistes. Lors d’une conversation récente avec le célèbre commentateur et activiste Eamonn McCann, le podcaster Eamon Dunphy a affirmé que « le puzzle qu’est le Nord semble impossible à résoudre », ressemblant à « un cube de Rubik quand on ne sait pas le faire ». McCann a répliqué que l’analogie a ses limites : dans le cas du cube, nous savons que la solution existe. Quant à l’Irlande du Nord, ce n’est pas sûr…