Par Francis Venciton, Secrétaire Général
Mes chers camarades,
Prendre la parole en dernier pour conclure un aussi bel évènement est évidemment difficile. Il s’agit non seulement de se montrer à la hauteur des interventions et moments passés qui ont tous étés de qualité, mais encore il me faut prendre la parole à la fin du repas, donc je dois lutter contre ma propre torpeur digestive et contre votre tendance légitime à vouloir siester. Qu’importe, il me faut montrer à la hauteur de votre invitation et accomplir ma tâche modestement.
Mais je ne pourrais pas commencer à m’exprimer parmi vous sans d’abord vous remercier de m’avoir invité et d’avoir eu l’amitié de penser à moi dans l’organisation de ce magnifique évènement. Je tiens en particulier à remercier Monsieur Henri Bec, le président de la Restauration nationale sous les ordres duquel je sers, et vous, Marc Vandesande, le président de la fédération Languedoc. Mais je dois aussi féliciter l’ensemble des jeunes qui ont contribué et su si bien organiser ces deux journées de cohésion et de formation avec même un peu de sport. Cela me fait d’autant plus plaisir de les féliciter que je me souviens d’une époque, qui me parait soudain bien vieille alors que j’avais encore tous mes cheveux, où Toulouse, Montpellier ou Narbonne n’étaient pas bien représentés. Quelle surprise et quelle joie d’en voir autant maintenant ! Je m’y habitue même trop vite au point de m’attendre à tous vous revoir au CMRDS.
Mais après tout, quoi de plus normal dans le pays de Monseigneur de Cabrières ? Qu’on me permettre de digresser un instant sur cet auguste prélat, qui d’ailleurs a béni la statue de la Vierge Marie qui domine la cour. Né en 1830 à Beaucaire et mort en 1910 à Montpellier, Monseigneur de Cabrières fut le dernier évêque légitimiste français. Jamais il ne célébra un 14 juillet, mais il ne rata pas une occasion de célébrer un 21 janvier ni ne toléra qu’on s’en prit à l’Eglise. On évacue de force les Carmes de Montpellier, aussitôt monseigneur arrive mîtrer et avec la crosse pour notifier au préfet son excommunication. Mais cet homme fut aussi un membre de l’académie de Nîmes de 1868 à 1872 et fut toute sa vie un défenseur des écrivains et penseurs, notamment félibriges, et compta parmi ses amis Paul Bourget et Frédéric Mistral ou encore d’Alzon. Il dirigea même l’école où étudia le jeune Delteil. Mais surtout, il sera ce blanc du midi et évêque des gueux dont parle l’écrivain Cholvy dans sa biographie. Lors de la révolte des vignerons du Languedoc en 1907, il prend parti pour la foule, ouvrant grand la cathédrale et les églises aux manifestants. Il y a donc là une hérédité forte et terrible. La préfecture ou le conseil régional devrait se méfier de vous tous blancs du midi ! Vous avez des racines terribles et remuantes.
Si je parle de racines, ce n’est évidemment pas sans avoir une idée derrière la tête. En voyant le dynamisme de votre fédération, je pense à cette idée mistralienne : « Lo respelido ». Bien souvent, ce terme est traduit un peu trop rapidement en « renaissance », mais il s’agirait bien plutôt de « repoussage ». Lorsqu’il utilise ce terme, Mistral explique retrouver dedans le mot latin « expellere », c’est-à-dire expulser, pousser. Lo respelido c’est vraiment l’herbe qui pousse malgré tout, qui bien que tondue, rehausse la tête et tire vers le ciel.
Or ces herbes têtues illustrent bien ce principe fondamental de l’Action française. Notre mouvement politique est une école d’espérance. Nous dénonçons les maux de notre pays et les désastres de la République non pas pour le simple plaisir de la critique ou par simple esprit de contradiction, par l’un de cet esprit de nihilisme qui se retrouve dans les personnages de Tourgueniev. Non, nous critiquons parce que nous voulons que les choses s’améliorent et parce que nous savons que notre espérance sera récompensée, car l’antidote des maux de notre pays est là devant nous, accessible à l’ensemble des citoyens de notre pays : c’est notre prétendant royal.
Mais en parlant d’espérance, j’en vois déjà qui m’agrippe par le bas de la chemise pour hurler que l’espérance c’est d’abord Péguy et la petite fille Espérance. Il est vrai, mais Péguy n’a pas le monopole de l’espérance et si son espérance est en marche, elle n’est pas là pour nous mener à l’action, et plus encore à l’action française.
Bernanos dit bellement dans une conférence de 1945 que « l’espérance est une détermination héroïque de l’âme et sa plus haute forme est le désespoir surmonté ». Au moment ou l’Europe sort des mauvais songes barbares du nazisme, et alors même qu’il s’est encore brouillé avec le Martégal, Bernanos ne dit pas moins que ce que ce dernier a toujours dit. Car si l’Action française met en avant l’Action, ce n’est pas par goût de l’action pour l’action, ce n’est pas pour un simple activisme vide et qui tournerait à vide. Non, il faut agir dans la cité, car la raison le veut et la nécessité fait force et parce que, pour utiliser une expression un peu triviale, tout n’est pas foutu. Je ne doute pas que l’abbé Pénon en bon jésuite, car il en existe des bons, n’a pas dû manquer de citer Saint Ignace à Maurras : « Penser comme si Dieu n’existait pas et agir comme si Dieu existait », ce que Gramsci, grand lecteur de Maurras, résumait laïquement en disant : « pessimisme de la pensée, optimisme de la volonté ». Nous agissons vers quelque chose, ou plutôt vers quelqu’un, vers notre prétendant et pour le salut de notre Patrie. Et si ces quelques traits ne vous satisfont pas sur les liens entre espérance et action chez Maurras, je vous renvois avec plaisir vers cet article de Jean de Viguerie paru en 1978 dans la revue Maurras.
Et pourtant mettre côté à côte les mots Maurras et Espérance, cela pourrait surprendre. Maurras fût un drôle de chrétien et ce n’est pas toujours l’Espérance qui prédomina chez lui. Jeune homme et déjà devenu sourd, ne pensa-t-il pas à se suicider comme il nous le raconte à mot couvert dans la Bonne mort ? Et après tout Maurras ne fut-il pas un héritier des pensées pessimistes de la fin de siècle et notamment de Schopenhauer ? Victor Nguyen dans son livre magnifique Aux origines de l’Action française, retrace l’histoire et l’importance de la pensée de la décadence de cette époque. Pourtant rien ne fut plus étranger à Maurras. Il est cette magnifique anecdote : en 1914, deux jeunes militants viennent voir Maurras en uniforme clinquant. « Maitre, disent-ils, grâce à vous nous avons appris à mourir pour la Patrie ». Et là, à leur grande surprise, loin de les remercier, Maurras leur inflige une mercuriale dont le fond est simple : « Je ne vous ai pas appris à mourir pour la patrie, mais à vivre pour la patrie ». Il est tout là, l’écart entre nous et tout les autres mouvements politiques. Le premier ordre de l’Action française est de vivre pour notre pays. Notre combat, que nous voulons gagner et que nous savons pouvoir gagner, se fera avec des vivants et non pas des morts ou des morts-vivants. Alors vivez et vivez bien !
J’étais en Serbie il y a quelques semaines et là on m’a parlé de ce grand théoricien du nationalisme serbe, Nikolic, qui se réclama comme un disciple de Maurras qu’il nomme « le maître du civisme ». Cet homme je crois qu’il a bien lu Maurras ! Car la pensée de Maurras nous mène au Bien commun, qui n’est pas une pensée abstraite qui danserait dans les astres, mais qui s’incarne et se joue dans la cité. Et notre combat, aujourd’hui encore, se joue dans la cité. C’est plus dur et ingrat que de se contenter d’être un rentier. Lorsque l’Action française dénonce la désindustrialisation en pleine campagne présidentielle, elle montre qu’elle est politique et que le vrai sujet n’est pas de savoir que penser du dernier scandale entourant un candidat, mais bien de savoir ce que nous devons faire dans notre pays. Nous avons été les seuls politiques au milieu d’un océan de démagogie ! Bravo à nous, mais ce n’est pas encore fini. Tant que le roi n’est pas sur le trône, tant que les cyniques dirigent, il nous reste encore bien de la tâche. Or en étant politique, en servant le bien commun, nous prenons aussi conscience que notre combat n’est pas que pour nous ou pour nos intérêts personnels, il est pour le commun, pour tous ; j’oserai même dire qu’il est pour la chose commune. Notre combat est nationaliste, car défendre la cité et le bien commun, c’est aussi défendre un peuple en toutes choses, c’est faire corps avec ceux qui nous entourent et chercher le compromis. Nous ne voulons pas sacrer le tyran, mais un roi plein de dignité. Les serbes qui me parlaient de Maurras concluaient : « Maurras nous a appris être plus qu’un peuple, nous étions une nation, déjà sans le savoir ». Nous le sommes déjà et le savons déjà, alors quoi ? Que nous manque-t-il ? Pourquoi céder au pessimisme ? Oui, un Français n’est pas un serbe. Mais parce que nous sommes cette vieille nation honorable encore pleine d’hommes toujours libres, nous comprenons bien le fameux : « Tout désespoir en politique est une sottise absolue ». Nous savons que le politique est une action qui a ses règles et qui est un exercice de liberté. Et tout cela nous ne le faisons pas à vide, mais pour un royaume le plus beau sous les cieux et pour un Roi. N’est-ce pas là une raison solide d’espérer ?
Bernanos dans cette conférence que je citais précédemment disait « L’espérance est un risque à courir ». Vous le savez bien, notre royalisme est de combat, il n’est pas un long fleuve tranquille, alors nous le courrons ce risque. Vous l’avez déjà couru : hier, l’année d’avant et même 50 ans avant pour certains d’entre vous. Et tant mieux ! Si vous ne l’aviez pas couru, si vous ne vous étiez pas battus, que serait la France aujourd’hui ? Elle serait plus ravagée encore. Mais plus encore, si vous ne courriez aucun risque, si vous refusiez l’espérance, que seriez-vous là chacun d’entre vous ? Vous seriez des gens déjà morts, vous seriez des cruches résonnant aux bruits au lieu de raisonner. Quelle pitié d’être ça ? Alors que maintenant vous êtes tous intelligents, alternatifs et même jeunes. Oui, vous êtes tous jeunes, y compris les plus vieux parmi vous ! Vous êtes jeunes, car vous savez que la vie se joue et se gagne. Vous n’êtes pas de ces vieillards que l’on croise tant aujourd’hui et singulièrement parmi les plus jeunes et qui pense que rien ne change et que tout est fini. Non rien n’est fini. En 1989, personne ne croyait en la chute du mur, et pourtant ? Il est là à bas devant nous. En deux ans, un peuple s’est rappelé que la liberté est le plus beau des biens politiques.
Mais surtout, nous sommes tous jeunes, car comme les petites herbes qui poussent de Mistral, nous ne cessons d’être là, de ressortir la tête, de pousser contre la République. Nous ne cessons de renaitre ! N’est-ce pas magnifique ? Alors il ne nous reste plus qu’à être des racines têtues et surtout à pousser. Tant pis si nous sommes de la mauvaise herbe d’après la caste politico-médiatique, nous préférons pousser aux milieux des pâquerettes et des coquelicots, avec les chardons, qu’au milieu d’un désert sans vie.
Voilà, j’ai fini mon envoi et que les femmes me pardonnent de les avoir comparées à de si modestes fleurs. Elles en mériteraient de plus belles. Toujours est-il que j’espère vous revoir cette année au CMRDS, et si ce n’est pas possible, tant pis ce sera pour la Jeanne et si ce n’est pas possible là-encore, et bien ce sera ici l’an prochain ! Nous aimons la durée et sommes patients, l’essentiel c’est de savoir que nous nous reverrons, que l’amitié perdure et que nos fidélités sont autant tournées vers nos camarades que vers notre prétendant. Car, pour que vive la France, vive le Roi.