France Culture est toujours en pointe sur les sujets importants. Ce 23 janvier, par exemple, la radio d’État publiait un podcast ambitieux, consacré à un sujet de société brûlant : le développement en France, dans toutes les branches de l’édition, de « sensitivity readers », c’est-à-dire de personnes chargées de relire des livres (grands classiques ou sorties récentes) et de les expurger de leur contenu « offensant » (offensant pour les sacro-saintes « minorités », ça va de soi). Les candidats doivent préciser dans quels sujets leur sensibilité est particulièrement aiguisée (France Culture, citant Le Monde, évoque entre autres la culture iroquoise ou le style de vie végétarien). Un certain Christophe Riou propose une traduction française : « démineurs littéraires ». La censure se fait parfois autocensure, lorsque certains écrivains font appel à ce service de déminage un peu particulier pour savoir comment des personnages possédant telle ou telle caractéristique vivraient un phénomène « de l’intérieur ». Passons sur ce cas particulier, qui élimine d’emblée la notion de talent littéraire, qui consiste justement à toucher au plus juste en se mettant à la place d’un personnage dont on ne possède pas les caractéristiques. C’est un peu comme si Dostoïevski avait fait relire le manuscrit de Crime et Châtiment par un assassin.
Le délire ne s’arrête toutefois pas en si bon chemin, dans ce monde « culturel » raconté avec vos impôts. Le phénomène du « déminage littéraire » au nom de la sensibilité était initialement destiné à la littérature jeunesse, dans le droit fil de la disparition du passé simple dans la série Le Club des cinq ou de la réécriture des Martine à destination d’un public, tout nouveau, composé de petits illettrés. Il touche désormais la littérature pour grandes personnes, puisque bien peu d’adultes de 2022 peuvent s’enorgueillir de résister à la moindre adversité. Ainsi dévitalisé, bien plus que « déminé », le rôle de l’écrivain est à repenser intégralement.
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