Par Gwendal Gauthier
Notre ami Gwendal Gauthier nous écrit d’outre Atlantique, (loin de nous mais proche du cœur) dans le courrier des Amériques, pour nous dire que Jeanne d’Arc qui nous est si chère est également très prisée aux États -Unis. Voilà un point de convergence avec les habitants de cette nation qu’il ne faut pas confondre avec ses dirigeants. (Ndlr)
ll y a un grand nombre d’églises et écoles catholiques du nom de « Sainte Jeanne d’Arc » aux États-Unis, élément culturel important vu qu’il s’agit de la première Eglise du pays (les Protestants sont plus nombreux mais divisés en plusieurs Eglises). Mais la dimension religieuse loin d’être la seule présence de la Pucelle d’Orléans dans le pays. C’est la mode romantique du XIXe siècle qui a ravivé le souvenir de Jeanne en France et ailleurs. Elle fut alors un modèle patriotique et un puissant symbole féminin, en plus d’être un symbole religieux. L’association Le Souvenir Français a fait une recension dans son bulletin de mai 2023 des grands monuments dédiés à Jeanne et, si on trouve de monumentales statues, équestres ou pas, se dressant fièrement dans les grandes villes des États-Unis jusqu’à (à peu près) la Seconde Guerre Mondiale, il est à noter que, parmi ces grandes villes, Philadelphie semble la première à en ériger une en 1890. Les autres suivront de New-York à San Francisco en passant par Washington, Portland etc…
Certaines ont des histoires poignantes d’amitié franco-américaine, comme celle de La Nouvelle Orléans, qui réhausse la « French Touch » du quartier Français : elle est en plein centre, juste à côté du Marché Français et de Jackson Square, prête à défendre la ville du capricieux Mississippi qui passe juste à côté d’elle, aussi naturellement que la sauvage Loire à Orléans. Étincelante sous son armure dorée, la statue louisianaise est une copie de la merveille érigée sur la place des Pyramides près du Louvre à Paris. Elle arrive en 1958 à la Nouvelle-Orléans, mais la ville n’a alors pas les 35000$ nécessaire pour financer son piédestal. Deux ans plus tard, le président français Charles de Gaulle visite triomphalement la ville et quand il revient en France, il demande alors de fonder un comité de citoyens afin de financer ce socle. La somme sera atteinte en 1964, et c’est finalement en 1972 que la statue sera posée (la dorure arrivant pour sa part en 1985 !).
Et le mythe continue de nos jours, puisque l’Université de Longwood, en Virginie, a inauguré sa statue en 2018 !
Passons les petites histoires pour rejoindre la grande. Bien évidemment, les représentations de Jeanne d’Arc, outre la religion, étaient de forts symboles patriotiques. Comme chacun le sait, les Américains alternent dans leur histoire les périodes amis-ennemis avec l’Angleterre, et ils aimaient parfois à se rappeler que Jeanne d’Arc avait, comme eux, un jour « bouté l’anglais » hors du pays. Et l’indépendance des USA ne précédait, il faut se le rappeler, que d’un siècle la nouvelle « mode Jeanne d’Arc » qui arriva à la fin du XIXe.
Bien évidemment, Jeanne a été sanctifiée, et elle est aussi considérée sous l’angle religieux. « Elle symbolise aussi une démarcation pour les catholiques anglo-saxons par rapport à la réforme protestante », rappelle l’abbé Marc Vernoy, prêtre français près d’Orlando en Floride. « On retrouve cette présence de Jeanne chez les catholiques au Royaume-Uni. »
Alexis Novikoff, qui enseigne l’histoire médiévale au Rhodes College de Memphis (Tennessee) témoignait sur TV5 Monde en 2012 : « Aux États-Unis, elle représente la femme forte en lutte contre la tyrannie et l’oppression, la foi, la vérité, la fidélité, la ténacité, la pureté. En France elle reste un symbole national ainsi qu’un symbole contre l’Angleterre. Elle est née du besoin de la France d’avoir une héroïne. Ici c’est l’individu qui interpelle, voire l’individu contre l’Etat. D’ailleurs les réalisateurs américains qui se sont intéressés à Jeanne d’Arc et les biographies à son sujet mettent en valeur sa personnalité : celle d’une femme aussi puissante que le roi et qui a su le convaincre de la laisser mener la charge contre les Anglais. D’autres ouvrages publiées ces dernières années font ressortir sa position de femme à une époque où peu d’entre elles jouaient un rôle. D’ailleurs Depuis les années 70, le personnage a conquis les féministes, même si l’intérêt des Américains pour Jeanne d’Arc remonte à Marc Twain, qui au XIXe siècle a écrit un conte sur elle. Tout cela fait qu’elle est universelle. Elle couvre un champ large et de ce fait elle parle à beaucoup : elle représente la foi et la fidélité à Dieu pour certains, mais elle est intéressante aussi pour tous ceux que l’art de la guerre ou l’histoire passionnent par exemple. Il n’y a pas d’équivalent dans l’histoire des États-Unis. Les guerres américaines ont leurs héroïnes, mais elles sont à la marge. Aujourd’hui il y a des femmes dans l’armée mais elles n’ont pas le droit de combattre.«
En parallèle de l’érection des statues, l’image de Jeanne d’Arc est utilisée au début du XXe siècle par les féministes américaines qui revendiquent le droit de vote. En 1909 elles fondent ainsi à New-York la « Joan of Arc Suffrage League » et vont utiliser l’image de la Pucelle lors de leurs manifestations, avec, par exemple, une militante déguisée en Jeanne à cheval en 1913.
Alors que la Seconde Guerre Mondiale frappe la planète, les « comics books » (bande-dessinées) viennent moderniser les super-héros : les costumes moulants remplacent enfin les armures médiévales ! Mais, alors que naît « Pat Patriot », cette héroïne (en jupe assez courte pour l’époque) est surnommée « America’s Joan of Arc ». La référence montre l’importance de Jeanne dans la culture populaire.
En tout cas, si certaines vedettes françaises rêvent de percer aux États-Unis… Jeanne d’Arc, elle… elle l’a fait !
ET LOUIS XVI VA REVENIR A LOUISVILLE !
Bonne nouvelle au pays des statues françaises : la mairie de Louisville (Kentucky) a décidé en fin d’année dernière que sa statue monumentale de Louis XVI serait restaurée (pour 200 000$) et replacée. Elle avait été enlevée « pour des raisons de sécurité » après que sa main ait été cassée par des émeutiers durant les manifestations de colère ayant suivi le meurtre de George Floyd par des policiers en 2020. Le pauvre roi de France n’y était évidemment pour rien, en revanche si la ville porte son nom (et sa statue), c’est bien évidemment parce que l’indépendance des États-Unis ne serait jamais advenue sans l’aide de ce roi français. La statue a ainsi pu échapper à la « cancel culture » qui faisait rage en 2020 (et est toujours un peu présente) !
C’est la Ville de Montpellier qui a fait cadeau de cette statue (qui était remisée) à la Ville de Louisville en 1966.