Par Antoine de Lacoste
Un des drames de la démocratie moderne est son obsession de la communication. Ce que l’on dit est plus important que ce que l’on fait et si un épisode médiatisé s’est mal passé, il faut vite le remplacer par autre chose, et être prêt à dire n’importe quoi, l’essentiel c’est qu’on en parle.
Le Salon de l’Agriculture ayant été calamiteux pour Emmanuel Macron, ce qui était à peu près sûr, un contre-feu, bien au chaud, fut promptement activé. Il s’appelle Ukraine, a pour titre « la Russie ne doit pas gagner cette guerre » et pour nouvelle idée générale, il faut être prêt à tout pour l’empêcher de gagner, ce qui, en sabir macronien, se traduit par « en dynamique rien ne doit être exclu ».
L’affaire a commencé Porte de Versailles dès le samedi soir à la clôture de cette première journée calamiteuse que Macron pense cependant avoir gagnée puisqu’il est resté treize heures sur place. Cela n’intéresse personne, mais il pense que c’est important puisqu’aucun président n’est resté aussi longtemps avant lui. Après avoir épuisé ces malheureux agriculteurs par d’interminables considérations sur leur métier, Emmanuel Macron s’est ensuite lancé dans le dossier ukrainien afin de vite passer à autre chose. Il sera toujours temps de revenir sur la trouvaille des prix planchers, option qu’il ne fallait surtout pas envisager quelques jours auparavant.
En préparation psychologique de la réunion internationale, soigneusement planifiée au lendemain du Salon, Macron a affirmé à propos de la Russie : « Maintenant, elle a décidé de nous attaquer nous-mêmes ». Passons sur le français approximatif du propos, c’était à l’oral et quand on parle autant…
Sur le fond, c’est assez confondant : à quel moment la Russie a-t-elle annoncé qu’elle allait attaquer la France ? Bien évidemment cela ne fait pas partie de ses intentions dont on ne verrait ni la finalité ni la possibilité. Mais peu importe, il faut plus que jamais développer la stratégie de la peur car c’est un excellent moyen de détourner l’attention des problèmes intérieurs qui ne manquent pas et cela maintient le peuple sous le boisseau. Nous en savons quelque chose depuis la tyrannie sanitaire. De plus, au moment où l’Ukraine est en difficulté, cela permet de justifier les milliards supplémentaires que Bruxelles se propose de dépenser à fonds perdus en faveur d’un régime connu pour être un des plus corrompus au monde. Notons au passage que ce n’est pas avec les excellentes terres à blé ukrainienne que nous pourrons nous rembourser puisqu’elles ont déjà été achetées par des multinationales américaines.
C’est à l’issue de la réunion du lundi rassemblant une vingtaine de pays que Macron a dû reconnaître qu’il n’y avait pas de consensus pour envoyer des troupes de l’OTAN en Ukraine. Dommage, on aurait pu refaire la guerre de Crimée en finissant par un glorieux siège de Sébastopol. À l’époque, avec nos chers amis Anglais, nous volions au secours des Turcs pour empêcher la Russie de rendre Constantinople à la chrétienté. Maintenant ce n’est plus l’Angleterre qui nous manipule mais les États-Unis, l’ennemi étant toujours la Russie parce que le monde anglo-saxon en a fait sa doctrine depuis le XIXe siècle.
Quoi qu’il en soit, la proposition macronienne n’a pas été bien reçue par nos partenaires. Aucun, à part les pays baltes dont l’apport militaire risque d’être légèrement insuffisant, n’a approuvé ne serait-ce que l’hypothèse d’envoi de militaires en Ukraine. Certes, il y en a déjà un certain nombre sous forme de conseillers, de mercenaires et de membres des forces spéciales mais pas sous uniforme. Personne
ne veut aller plus loin. D’où la phrase historique qui prend acte mais prétend sauver la face : « en dynamique rien ne doit être exclu ».
L’idée jupitérienne n’a donc quasiment aucune chance de se concrétiser. Macron l’a-t-il compris ? Le savait-il déjà et ne cherchait-il qu’une posture pour être sur le devant de la scène, besoin compulsif chez lui ? Il est impossible de savoir ce qui se passe dans ce cerveau agité et inquiétant.
Cette proposition absurde ne se réalisera donc sans doute pas mais ce qui a tout de même été récemment signé par la France, c’est un accord de sécurité bilatéral avec l’Ukraine, prévoyant trois milliards de dépenses, sans la moindre consultation du Parlement. C’est manifestement contraire à l’article 53 de la Constitution. Or, cela n’a ému qu’un seul sénateur, Alain Houpert, qui a saisi le Conseil d’État. Avec ce Grand Corps dévoyé, il n’y a pas grand-chose à attendre mais il est tout de même incroyable qu’aucun autre parlementaire n’ait accompagné la démarche.
Toute cette agitation russophobe et belliciste serait assez banale si le calendrier avait un sens. C’est précisément au moment où il apparaît évident que l’Ukraine ne peut pas gagner la guerre que nos guerriers d’opérette veulent inverser le cours de l’histoire. C’est trop tard, l’armée ukrainienne est à bout et l’armée russe progresse partout.
Le temps joue pour la Russie et, au lieu de nous agiter stérilement et coûteusement, nous ferions mieux de réapprendre un des plus vieux métiers du monde : la diplomatie.