Par Gérard Leclerc
L’opinion publique exprime, à travers un récent sondage, son inquiétude. La laïcité serait menacée. Et il ne s’agit pas d’un vague sentiment. C’est un trouble qui résulte principalement de la situation de notre institution scolaire – il faudrait préciser, publique. Une institution déstabilisée par des menaces continuelles à l’égard du corps professoral. Ce n’est plus seulement la question des foulards et des signes religieux qui est en cause. C’est le contenu de l’enseignement, avec des sujets interdits, tel celui de la Shoah. La moitié des enseignants s’autocensurerait par crainte des menaces directes d’élèves soutenus par les familles.
Impossible de ruser avec la réalité, même si l’islamo-gauchisme s’oppose farouchement à l’évidence. S’il y a cette situation désastreuse, c’est en raison d’une présence massive d’un certain islam en France. Et ce n’est pas jeter la vindicte sur tous les musulmans et leurs convictions religieuses que de reconnaître que cette religion n’intervient pas dans le tissu national avec une volonté d’intégration. Elle est conquérante, notamment depuis que le phénomène des Frères musulmans a pris le dessus. Un phénomène bel et bien à l’œuvre dans une population d’origine immigrée. Ainsi que l’écrit dans un essai très documenté Florence Bergeaud-Blackler : « Le frérisme cherche à rendre le monde charia-compatible, à parvenir au point où le monde en aura si bien accepté les normes et les activités, y compris missionnaires, que les principes de séparation du politique et du religieux seront relativisés ou abolis, qu’il ne sera plus question d’islam, devenu évidence – qu’il n’est plus besoin de nommer. On ne nomme pas l’évidence » (Le frérisme et ses réseaux. L’enquête, éditeur Odile Jacob).
À l’encontre d’une telle menace, nos dirigeants pensent trouver la seule réponse autorisée. Elle tient dans le mot de laïcité. Mais il ne faut pas fournir un énorme effort de réflexion pour constater qu’entre cet islamisme et la laïcité l’incompatibilité est totale. Et l’on aggrave encore la tension en opposant, comme Gérald Darmanin, la loi de Dieu à celle de la République. Pour les intéressés, il s’agit d’un pur blasphème, qui leur rend définitivement insupportable ladite laïcité. J’ai déjà expliqué, dans cette chronique, que la seule façon utile de procéder est de montrer que la loi civile correspond aux exigences du bien commun, c’est-à-dire à l’intérêt bien compris de tous, et que, comme tel, elle n’est en rien contraire à la loi de Dieu.
Mais il est vrai que, pour la mentalité musulmane, les problèmes sont plus compliqués, car la séparation de ce qui appartient à César et ce qui appartient à Dieu est d’autant moins reçue que l’islam correspond fondamentalement à une loi et à des prescriptions juridiques. De là un malentendu complet avec ceux qui brandissent la primauté de la République. Et la laïcité n’est pas mieux lotie, parce qu’elle porte en elle-même l’absence ou même le déni d’une dimension politico-religieuse.
Par ailleurs, on n’est pas suffisamment attentif à un fait historique. C’est que la législation qui correspond à la séparation des Églises et de l’État de 1905 résulte en fait d’un compromis entre la République et l’Église catholique. Compromis âprement négocié, après une période d’intense persécution. C’est Aristide Briand qui a imposé, sur le moment, une volonté de pacification, absente de l’esprit des premiers partisans de la séparation.
On oublie aussi que ladite loi de 1905 ne fut pas acceptée d’emblée par l’autorité romaine. Il fallut de nouvelles négociations après la Première Guerre mondiale, celles qui aboutirent aussi au retour d’un ambassadeur de France au Vatican, pour que les nouvelles dispositions soient pleinement reçues.
L’islam, qui n’était pas partie prenante de ce moment de notre histoire, ne saurait s’y reconnaître spontanément. De plus, sa nature singulière n’est en rien compatible avec un univers qui lui est étranger sinon hostile.