Atlantico : La droite française semble faire le choix, aujourd’hui, de s’auto-effacer. Comment expliquer qu’elle ne parvienne pas à marquer les esprits, alors même qu’elle a pourtant profité d’un contexte plutôt favorable à l’issue de la séquence “loi immigration”, par exemple ?
Christophe Boutin : Cette droite que vous évoquez, c’est très concrètement le parti des Républicains, ce que l’on appelle parfois la « droite républicaine » ou la « droite de gouvernement » pour la différencier d’une « extrême droite » où le Conseil d’État et le ministre de l’Intérieur, comme nombre de commentateurs, s’obstinent à placer le Rassemblement national et Reconquête!.
Lentement mais sûrement cette droite quitte en effet peu à peu le devant de la scène politique. Cela semble étonnant pour une famille politique qui, à ce jour, dispose de la majorité au Sénat, d’une force non négligeable à l’Assemblée nationale, et dirige un nombre respectable de régions, de départements ou de communes. D’une force politique dont on entend régulièrement les représentants dans les médias, présents sur tous les grands dossiers de politique intérieure ou extérieure. Et pourtant, dans la pratique, le sentiment est que cette famille est très largement aux abonnés absents, qu’elle est incapable de définir un programme, de se choisir un leader, d’incarner quelque chose.
Mais à bien y regarder, cette force politique réelle que l’on a décrite semble plus la conséquence de ce qui a été qu’autre chose. Comme ces navires qui mettent en panne, la droite républicaine continue de courir sur son erre et n’avance plus que par la vitesse acquise il y a maintenant des décennies. Si en effet elle dispose encore d’élus locaux, c’est parce que ces derniers tiennent depuis bien longtemps des collectivités locales et y ont bâti un réseau serré d’amitiés et d’obligations – le même réseau qui, par le biais du vote des « grands électeurs », leur permet d’envoyer siéger au palais du Luxembourg un nombre respectable de sénateurs. Et s’ils ont toujours un groupe parlementaire non négligeable à l’Assemblée nationale, c’est là encore du fait de la politique locale, de cette politique de proximité menée par leurs élus de terrain dans leurs circonscriptions qui leur a valu de ne pas être balayés lors des scrutins de 2017 et 2022. Mais dès qu’il y a une consultation nationale qui s’affranchit du poids des pesanteurs locales, dès que l’on parle leader et programme, et non subventions et ronds-points, ou rhubarbe et séné, c’est l’échec, comme en témoignent l’éviction de François Fillon du second tour de la présidentielle en 2017, l’effondrement de Valérie Pécresse en 2022, passant en dessous des 5 % de suffrage exprimés, le score médiocre du parti aux élections européennes de 2019 ou celui attendu cette année. La droite républicaine est un astre mort dont nous continuons à recevoir la lumière, et qui durera tant que les anciens de la lutte contre les « socialo-communistes » de 1981 continueront de peupler les maisons de retraite de province.
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