Marc-François de Rancon
C’est en étant d’abord localement de son pays, de sa province, de son terroir constitutif de ce miracle fragile qu’est la France, que l’on est le plus et le mieux français d’abord, donc européen ensuite. À propos de l’analyse de l’Institut Iliade intitulé « Élections européennes : le choix d’être Européen d’abord »…
Tout ceci est bel et bon. Parfaitement analysé et brillamment synthétisé. Cohérent également pour ce qui est des actions à mener afin de remédier aux maux du constat. Du Jean-Yves Le Gallou pur, droit, vive intelligence, haute culture, longue expérience, venant confirmer s’il en était besoin, que « ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément ». Sauf que…
Le patriotisme européen est une fiction
Sauf que, en effet, le « patriotisme européen »n’existe pas. Et pour cause. Au passé, ce « patriotisme européen » ne possède pas de racines historiques (ni l’Empire de Charlemagne, ni le Saint-Empire romain-germanique ne représentèrent entièrement l’Europe, encore moins l’Empire français napoléonien, ni le IIIe Reich allemand). À l’évidence, il n’a pas de présent non plus. Et il ne peut nourrir aucun avenir autre que celui d’une entité, c’est-à-dire une abstraction que l’on souhaite voir comme une réalité. En d’autres termes : tout sauf du concret ou du charnel, juste une idéologie fédératrice : «l’Europe».
Au demeurant, la notion de « patriotisme européen » de Le Gallou, très parallèle à celle de « souveraineté européenne » de Macron, constitue un oxymore. La contradiction réside dans la pensée même du concept. Le nom avec son adjectif accolé ne possède pas de sens.
Le drapeau européen ne représente rien
Illustration flagrante : le « drapeau européen », symbole transcendant révélateur de l’ordre hiérarchique des sentiments d’appartenance, de Macron (forfaiture courante) comme de Le Gallou (dérive navrante). Contre-sens, voire non-sens : le drapeau (ou le pavillon) rassemble comme témoignage identitaire, c’est-à-dire pour se nommer et se différencier, le peuple qui se range sous ses plis. Chaque homme le révère, avec la volonté de se battre et au besoin de sacrifier sa vie pour lui. Car ses couleurs caractérisent le cercle d’appartenance et d’identification suprême, sinon premier. Peu importe que le pavillon ne soit armé que par quelques hommes d’équipage ou que le drapeau regroupe des millions de sujets ou de citoyens, ce symbole fédérateur rassemble une communauté. Dont l’intérêt général dépasse celui de chacun de ses membres. Ce bien commun représente plus – et surtout autre chose – que l’addition des intérêts individuels qui le composent. Ceci de façon emblématique et sacrée (« nous serions là pour mourir à ses pieds » dit un hymne célèbre).
Dès lors, la fable du drapeau européen devient aussi consistante et honnête que l’argumentation d’un vendeur de voitures d’occasion. Sauf pour les gogos mentalement goulaguisés par les politiques et les médias. Eux-mêmes influencés (parfois inconsciemment) par les idéologies individualistes et mondialistes. Le drapeau européen ne représente rien : pas une nation, encore moins un État, ni surtout – et c’est ça le plus important – un peuple, au sens auquel nous venons de l’entendre.
Le « peuple européen » est un mythe, une notion abstraite
En effet, il n’existe pas de peuple européen. En revanche, il existe, historiquement et concrètement encore aujourd’hui (pour combien de temps, au rythme actuel de leur remplacement ?), un certain nombre de peuples en Europe. Certains en sont même constitutifs de façon quasiment consubstantielle. Beaucoup d’entre eux possèdent nombre de racines communes. Et de parentés culturelles. Mais l’Europe n’est pas, n’a jamais été et ne sera vraisemblablement jamais, un ensemble politique, au sens de terre etpeuple à la fois.
Alors exit le « drapeau européen » avec son cauchemar à peine voilé d’Europe supranationale. Qui souhaite se faire tuer pour défendre « l’Europe » ? Déjà, pour leurs patries respectives, les Européens sembleraient assez tièdes ! Alors, pour les intérêts économiques d’une Europe de Bruxelles multi-ethnique ou pluri-provinciale… Le principe de réalité fracasse toujours les dystopies, comme les utopies. Si certains sectateurs de « l’Europe », croyants prosélytes de la prétendue « citoyenneté européenne » et de son « drapeau », tiennent vraiment à trouver des occasions concrètes pour se battre, et mourir le cas échéant, qu’ils aillent se ranger du côté de Kiev, par exemple, en ce moment. Non, merci. Sans moi. Et pas en mon nom !
Français d’abord
Alors, tout bien réfléchi : Français d’abord, Occitan toujours ! Nulle contradiction, c’est la logique des cercles d’appartenance concentriques et complémentaires. C’est en étant avant tout – ici et maintenant – de son pays, de sa province, de son terroir de sol et sang, constitutif de la France, ce miracle fragile à pérenniser, que l’on est le plus et le mieux français d’abord, européen ensuite. Il en est de même pour les gens d’oïl, du Berry aux Flandres, de la Bretagne à l’Alsace. Idem pour les Corses.
Les solutions aux inévitables antagonismes entre nation et province doivent tenir compte d’un équilibre subtil, différencié selon les réalités locales, mais possible car il a existé historiquement. Sur la base du principe de subsidiarité, garant de logique et d’efficience. En revanche, la voie technocratique totalitaire supranationale des institutions européennes contemporaines mène dans une impasse. De même les slogans démagogiques ou pseudo-romantiques du genre régionalisme exacerbé et magnifié (« L’Europe aux cent drapeaux » par exemple), sorte de nationalisme extrémiste de substitution, constituent une fausse route.
Au sein d’une Europe raisonnable
Imaginez-vous le monstrueux et mortifère foutoir ? Déjà à six en 1957 avec le « Marché commun », la coordination n’allait pas de soi. Avec l’élargissement, à douze et plus, ça ressemblait à un bateau ivre. À une trentaine, la pétaudière bureaucratique est devenue un « système à tuer les peuples ». La barre du navire a été prise, de manière a-démocratique, par une oligarchie apparemment technocratique, mais en réalité animée d’une doxa politique. Son projet est exactement contraire aux intérêts et à la survie des nations et des peuples européens. Alors à trente-sept demain, et plus encore à « cent drapeaux », ceci signifierait inéluctablement la disparition des nations avec dissolution de leurs peuples autochtones en Europe, et concomitamment la disparition de l’Europe.
Alors « Européen » ? Peut-être, mais pas ainsi. Pas « d’abord », en tout cas.