Par Gérard Leclerc
La campagne pour les élections européennes est-elle vraiment l’occasion d’une réflexion sur la nature de l’Europe, son histoire, son devenir ? Il semble que, dans notre cas, elle soit plutôt l’occasion de mettre en cause le gouvernement actuel et le président de la République. Par ailleurs, il existe dans l’opinion des réticences à l’égard de la construction européenne. Elles se sont manifestées à l’encontre du projet de Constitution développé en son temps par Valéry Giscard d’Estaing, qui se solda par un refus au référendum du 29 mai 2005. Les sondages sont très défavorables à la liste gouvernementale, porteuse d’un projet de nature fédéraliste – celui longuement exposé par Emmanuel Macron lors de sa récente conférence à la Sorbonne.
Mais il conviendrait peut-être de s’entendre sur cette Europe, sur le sens de sa construction. Si on se reporte au projet d’après-guerre, on retrouve des personnalités incontestablement catholiques, avec le Français Robert Schuman, l’Italien Alcide de Gasperi, l’Allemand Konrad Adenauer. On a même pu parler à l’époque d’« Europe vaticane ». Il y avait de la part de ces fondateurs une volonté de réconcilier les peuples, au lendemain de la terrible conflagration de la guerre. Et c’est surtout la réconciliation franco-allemande qui était visée. Le général de Gaulle acquiesçait à cette idée, en insistant particulièrement sur les retrouvailles entre les deux peuples, solennisées lors d’une célébration dans la cathédrale de Reims. Cathédrale du sacre des rois de France, mais aussi témoin des dommages de la discorde. Une discorde qu’il fallait exorciser.
Mais au-delà d’une telle réconciliation, y avait-il un véritable dessein en accord avec l’histoire et la sensibilité des peuples ? Que cela plaise ou non, la comparaison avec les États-Unis d’Amérique ne tient pas. Car la grande nation d’outre-Atlantique ne s’est pas fondée sur des États préexistants, doués de caractères très particuliers, avec des cultures différenciées, ne serait-ce qu’à cause de leur propre génie linguistique. L’unité de la chrétienté médiévale s’était trouvée brisée par la Réforme au XVIe siècle. Celles que l’on a appelées « les guerres d’enfer », suscitées à la suite de la Révolution, n’ont fait qu’attiser des divisions de plus en plus meurtrières.
Y avait-il une autre voie possible d’évolution de notre continent ? Marc Fumaroli, notre grand érudit, rappelle un précédent qui peut étonner. En effet, il évoque « le grand dessein de Richelieu, parachevé par Mazarin, et le gouvernement des cardinaux Dubois et Fleury sous Louis XV ». Il ose parler d’un engagement européen de la France, qui fit aller de pair l’autorité de l’État et le « vouloir vivre » de la nation : « Jamais la nation française n’a été plus elle-même, sociable, vivace, cosmopolite, paisible, brillante dans les lettres et les arts, que sous les deux cardinaux ministres de Louis XV, après les guerres de Louis XIV, avant la fatale guerre de Sept Ans, sous un État diplomate, habile et modéré ». Mais c’est bien une Europe des Lumières qui se déploie alors, où la monarchie française rayonne au-delà d’elle-même.
Est-il possible même de parler de modèle, dès lors que la notion de Lumières est réduite à un rationalisme souvent anti-chrétien, et où la simple idée d’un héritage commun est devenue problématique ? Même si l’instance bruxelloise ne peut être accusée de tous les maux, il faut bien admettre que sa nature technocratique ne nous renvoie guère à une communauté de civilisation.
Le seul refus des « racines chrétiennes » d’un continent est significatif d’une anémie intellectuelle et spirituelle. Nous sommes bien loin de la définition que nous donnait Paul Valéry : « Toute race et toute terre qui a été successivement romanisée, christianisée et soumise quant à l’esprit, à la discipline des Grecs, est absolument européenne ». Bien sûr, il y a forcément un hiatus entre une construction politique et un héritage civilisateur. Mais si ce dernier est absent, quelle lumière pourra éclairer et rassembler les peuples de notre continent ?