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Entretien sur l’Europe avec le comte de Paris

Propos recueillis par Olivier de Lérins

Tout d’abord, nous vous remercions, Monseigneur, d’avoir accepté de répondre à nos questions et de nous faire part de votre regard sur la situation européenne. Si vous le voulez bien, avant d’en venir à l’actualité, commençons par prendre un peu de recul. L’histoire des monarchies européennes est une histoire d’alliances, d’échanges culturels, mais aussi de guerres. Que pensez-vous de l’hypothèse selon laquelle ce serait l’Union européenne qui aurait enfin établi la paix en Europe ?

L’histoire des monarchies européennes est émaillée de guerres, il est vrai, mais aussi de longues périodes de paix. Et la plupart des guerres, à l’image de la guerre de Succession d’Espagne sous Louis XIV, par exemple, se soldaient par des traités de paix où chaque nation en sortait souvent par le haut. La situation géopolitique contemporaine est très différente. Mais s’il est une puissance qui décide de la paix et de la guerre, en Europe comme dans le reste du monde, ce n’est pas l’Union européenne, ce sont les États-Unis. Même si ce ne sont pas toujours eux qui provoquent la guerre, ce sont eux qui décident de la stratégie à adopter, et l’Europe suit. L’Europe a suivi en Irak, a suivi en Libye, comme elle suit maintenant en Ukraine. Nous n’avons pas veillé à l’application des accords de Minsk, et sommes partiellement responsables de ce conflit. On ne peut donc pas vraiment dire, « hic et nunc », que l’Union européenne soit un artisan de paix.

Pensez-vous que le peuple français, le pays réel, soit aussi attaché à son identité européenne que le voudrait notre président ?

Tout dépend de ce qu’on appelle identité européenne, et des catégories sociales envisagées. Il me semble que la jeune génération française est quand même assez attachée à l’Europe, notamment à la liberté de se déplacer dans les autres pays européens, d’y faire une partie de ses études, éventuellement d’y travailler. Cette Europe, d’ailleurs, a toujours existé, si l’on songe aux foires médiévales ou à la chrétienté. En ce qui concerne l’Europe politique, en revanche, les Français restent surtout préoccupés par la situation intérieure. Les classes sociales les plus défavorisées en particulier, ou celles qui ont du mal à joindre les deux bouts, ne croient pas que l’Union européenne puisse faire évoluer favorablement leur situation. Si la caste politique française n’est déjà plus en contact avec cette réalité sociale, la caste politique européenne l’est encore moins, étant plus préoccupée par la diffusion d’une idéologie progressiste, ou distraite par des conflits d’intérêts financiers (comme on a pu le voir avec l’affaire des vaccins Pfizer). S’il y a donc, dans certaines classes sociales, un attachement aux libertés de déplacement en Europe, il n’y a pas de conscience politique européenne forte.

La tradition monarchique française consistait notamment à défendre « les petits » contre « les grands ». Que pensez-vous de la récente révolte des agriculteurs ? Pensez-vous qu’on puisse toujours défendre « les petits » au sein de l’Union européenne ?

L’Union européenne est une structure éloignée de la réalité des populations. De nombreux politiques européens, dont une bonne partie n’est pas élue, ne s’intéressent qu’à leur carrière, à l’idéologie ou à leurs affaires financières. Pour plaire aux actionnaires, par exemple, elle favorisera les grandes entreprises qui détruisent les petits commerces et les circuits courts. Je crois aux bienfaits des structures locales ancrées sur le terrain, pas du tout à celui des superstructures hors-sol. Nous vivons dans une région agricole et voyons le dénuement des agriculteurs qui n’arrivent même plus à vivre de leur métier, et que personne n’écoute. C’est la preuve tragique que notre système politique a perdu le sens des réalités.

On assiste en Europe depuis plusieurs années à la montée de partis souverainistes, avec l’arrivée au pouvoir d’Orbán en Hongrie, de Meloni en Italie, et la progression en France du Rassemblement national ou de Reconquête. Croyez-vous que cette dynamique pourrait infléchir la politique européenne ?

La vraie question est : qui pèse le plus dans la politique européenne ? Sont-ce les pays de la communauté, ou des pays étrangers, comme les États-Unis et le Qatar, qui par leur lobbying ont une grande influence sur l’Union européenne ? La progression des partis souverainistes, comme le Rassemblement national en France, est en tout cas révélatrice. Ces partis canalisent les préoccupations des populations, et leur envie de changement. Leur croissance est compréhensible.

Le peuple français s’apprête à élire ses représentants au Parlement européen. Du moins une partie du peuple français, tant l’abstention risque d’être importante. Mais la voix du peuple français peut-elle vraiment être entendue parmi vingt-sept nations, en sachant en outre que le pouvoir législatif est aussi détenu par la Commission européenne et le Conseil de l’Union européenne ? La souveraineté nationale a-t-elle encore un sens dans ces institutions ?

Non, elle n’a plus de sens. Mais il faut tout de même être de la partie, et aller voter. Il faut voter, évidemment, dans la mesure du possible, pour des personnes qui représentent nos intérêts, qui nous défendent, pas pour les carriéristes qui désirent uniquement profiter des avantages de Bruxelles. Si nous ne votons pas, les autres décideront à notre place, et la France sera encore plus négligée. L’abstention, en outre, nourrit l’irresponsabilité et le sentiment d’impunité des élus, qui ne se sentent plus le devoir de nous représenter, et se croient libres de promouvoir leur idéologie ou celles du moment.

On prétend souvent que, sans l’Union européenne, la France serait trop faible pour rivaliser économiquement ou militairement sur l’échiquier mondial. Partagez-vous cet avis ?

Même si la France n’était plus dans l’Union européenne, il ne faudrait pas nécessairement l’envisager isolée. Il est vrai que la France, toute seule, dans l’état ou elle est aujourd’hui, serait faible, tellement elle a été démantelée pendant ces quarante dernières années. Nos institutions ont été progressivement démontées, la gestion de la covid a encore récemment affaibli notre économie, de sorte que la France est devenue très dépendante de l’Europe. Mais on pourrait regagner notre indépendance tout en ayant des collaborations pertinentes qui nous permettent d’avancer.

On prétend en outre qu’il serait désormais trop tard pour sortir de l’euro ou de l’Union européenne. Croyez-vous en la possibilité d’un Frexit ?

Je n’ai pas d’avis définitif sur cette question. Le Frexit, même s’il n’est pas défendu d’y réfléchir, me paraît difficile en l’état actuel. Nous avions un tissu économico-social cohérent, de grandes entreprises à la pointe de l’innovation, de vrais serviteurs de la chose publique, mais tout cela a été démantelé. Dans l’immédiat, je crois plus prudent d’élire des personnes qui nous feraient remonter la pente. Mais si ce n’est pas le cas, et si la population se décide à demander un Frexit, alors oui, il faudra avoir le courage de sortir de l’Union européenne. D’une manière ou d’une autre, il est maintenant urgent de prendre le taureau par les cornes et de changer la donne.

Si l’on optait finalement pour un Frexit, pensez-vous qu’une restauration monarchique pourrait y aider ?

Il faut d’abord avoir l’honnêteté de reconnaître que la situation n’est pas nécessairement meilleure dans les monarchies européennes actuelles. Mais il faut surtout concevoir la monarchie comme un moyen d’atténuer les crises, et de consolider les progrès. La monarchie s’inscrit dans le long terme, et permet ainsi d’envisager la politique comme stratégie, et non simplement comme tactique réagissant à l’immédiat. Que ce soit en période de guerre, comme actuellement en Ukraine, ou si notre pays devait sortir de l’Union européenne, la monarchie est garante d’équilibre et de paix.